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Avignon 2012 : Thomas Pitiot, les liens du chant

Thomas Pitiot (photo d’archives Chantal Bou-Hanna)

Évoquer le festival d’Avignon incite irrémédiablement à utiliser le terme qui brûle les lèvres de ceux qui y participent : fournaise. En effet, outre la profusion de spectacles, en ces temps météoro(pas très)logiques, l’un des immuables éléments est bel et bien cette accablante chaleur qui écrase tout ce qui bouge (ou pas).

Aussi, en ce début d’édition 2012, la perspective d’un rafraîchissement nocturne au Théâtre des Vents m’est-elle apparue comme providentielle. Mais, mon esprit de contradiction aidant, pour mon tour de chauffe dans ce cadre festivalier, j’ai choisi d’aller voir et entendre le tourbillonnant Thomas Pitiot, que je connaissais pour son énergie partageuse, ses saines colères et sa gouaille improvisatrice.

Mais là, surprise ! Moi qui attendais plutôt d’allants alizés, c’est avec une petite bise que le griot du neuf/trois et le pianiste Michel Kanuty nous accueillent : « Je t’écris depuis mon océan clinique… de mon universalisme en peau de chagrin… des langages qui informatisent nos émotions… »

Le ton est donné : Pitiot ne se plaint pas, il porte plainte. La musicalité tranquille tranche alors avec la virulence d’un propos dénonçant clairement l’arrogance d’un occident post-colonialiste, qui écrase le reste du monde de sa sourde suffisance. Et le duo enchaîne avec « On aura tout compris de l’espace / Mais qu’est-ce qu’on aura compris de nous ? Walou ! » (« rien du tout » en arabe dialectal), avant de nous entraîner de Paris à Gao pour un doux voyage en direction de cette Afrique que l’on sait chère au coeur du chanteur (« J’écoute le rythme des dunes et la syncope des silences »). Mais, la saine revendication n’est jamais loin : « …et je détournerai le fleuve Niger dans les bureaux du FMI. »

À tout moment, la sémantique originale et maîtrisée de l’auteur trouve sa place dans l’écrin de ses écrits. Par exemple, lorsque l’intime Thomas se ravale la façade : « Je suis ce mur sans haine devant lequel tu passes… je suis ce tableau libre pour l’expression des rues… je suis le mur, écoute mes murmures. » Pour autant, le désenchantement (ou la lucidité) n’est jamais bien loin : « …mais, dans un temps péri, je tomberai poussière. » Victime d’un vent mauvais, « le cloude s’enrhube » alors et son nez rouge reste sa seule protection contre le monde du dehors : « Derrière ta jolie p’tite mine se cache un vieux conservateur » (Ramatoulaye) / « Ils vendent l’idée laïque en dépeçant l’universel » (Ils vendent tout).

Lorsque advient l’hommage réussi à Ferrat (avec une version ensoleillée de Ma môme), j’ai l’impression qu’il réveille une prestation intimiste de grande qualité, mais monotone du point de vue des arrangements. Et il en va ainsi durant un peu plus d’une heure d’un spectacle qui, s’il fait du bien à la tête et à l’âme, ne m’emballe pas plus que ça, musicalement parlant. En effet, si la subtilité du toucher de Michel Kanuty et la singularité du timbre de Thomas Pitiot sont de belles et douces évidences, j’ai assez tôt eu le sentiment d’être plus bercé qu’entraîné. Peut-être est-ce l’effet recherché, mais ce tour de chant me semble plus porté par la brise que par le mistral. Sans attendre les tempétueux élans des grands-messes de Barjac ou Aubercail, j’aurais aimé des ruptures de tempo plus sensibles. Et ainsi pouvoir, comme le préconise un Pitiot devenu chorégraphe le temps d’une chanson (« Je me révolte, je danse, je sue donc je suis… »), parfois me mouvoir autant que m’émouvoir.

Le fougueux Thomas a poli et arrondi ses angles pour pouvoir entrer dans le costume étriqué du festival (environ 1 heure de spectacle). Lui-même s’en explique en disant qu’il a dû réaménager son tour de chant en fonction de ce besoin de maîtrise du temps. Il a eu tort : en privilégiant le nombre de chansons à des digressions qui auraient eu le mérite d’affirmer la dimension spectaculaire de l’improvisateur qu’il sait être, il ne montre qu’une partie de qui il est. C’est dommage !

Pour autant, ce choix de proximité douce peut se défendre et le talent de cet humain à mains nues l’emporte haut-la-main sur ce léger bémol. Entre tout ce chant qui coule dans ses veines et tout ce vent keep cool dans ses scènes, Thomas Pitiot ne nous vend pas du vent : en nous entraînant sur les ailes de ses désirs (en occultant, certes, certains de ses délires), il ne perd rien de sa cohérence. En persistant à (mé)tisser ce « lianage d’humanité » entre ses semblables si différents, il nous convainc aisément qu’on n’a rien sans liens.

 

 

 

 

Thomas Pitiot au Festival Off d’Avignon 2012, tous les jours impairs jusqu’au 27 juillet inclus à 22H45 au Théâtre des Vents, 63, rue Guillaume Puy (à 2 pas de la rue des Teinturiers) – Réservations : 06 20 17 24 12. Le site de Thomas Pitiot, c’est ici.

6 Réponses à Avignon 2012 : Thomas Pitiot, les liens du chant

  1. Michel Kemper 12 juillet 2012 à 9 h 25 min

    Fier du retour dans l’équipe rédactionnelle de NosEnchanteurs de l’ami Franck Halimi.
    Dans le N°60 de Chorus, au top 60 des albums des quinze années Chorus, j’avais écrit : « Il en manque, des artistes, à ce Top 60 pour faire bon poids (…) c’est à Thomas Pitiot que je veux consacrer ces lignes, Pitiot dont l’indignation colorée aux sourires d’Africaines, ou aux youyous des banlieues, va nous être d’une rare utilité pour franchir ces cinq années qui nous languissent d’une future élection présidentielle… Ses chansons sont comme un arc-en-ciel, un pont naturel qui suggère liberté, égalité et fraternité. Par lui, ça existe encore. Sa Terre à Toto est l’un des plus beaux disques qui soient. Elle suinte l’espoir : on en a besoin ! »
    Cinq années sont passées depuis. Le petit à talonnettes est parti. Thomas Pitiot est toujours là, tout aussi nécessaire, infiniment précieux…

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  2. Michel TRIHOREAU 12 juillet 2012 à 11 h 56 min

    Thomas Pitiot est l’un de ces trop rares artistes qui ne se complaisent pas dans l’analyse de leur nombril et dans le culte de leur ego, mais qui savent avec talent mettre en mots et en musique la réalité du monde dans lequel ils évoluent. Son regard est lucide, sans complaisance, mais aussi sans amertume. C’est un artiste qu’il ne suffit pas d’entendre, encore faut-il l’écouter.

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  3. danièle 12 juillet 2012 à 13 h 25 min

    C’était donc la colère tranquille ce soir là, mais je viens de « l’écouter » sur son site, et j’ai bien pris conscience de sa « nécessité ».

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  4. Anne-Marie 12 juillet 2012 à 19 h 13 min

    Oh !!! Lire cet article qui évoque la fournaise en… pull d’hiver et chaussettes tant il fait froid à Reims me… réchauffe.
    Bravo à l’auteur pour cet excellent article qui fait vibrer l’air de ce site… enchanteur. Je ne connais pas encore Thomas Pitiot mais ces lignes fort bien écrites donnent grande envie de chercher dès demain un CD.
    A suivre après découverte.
    MERCI.
    AM

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  5. Claude Festiv'Art 12 juillet 2012 à 22 h 56 min

    Merci à Franck Halimi pour la plume et le sujet : Thomas Pitiot …Je ne vais pas rajouter à vos élans Franck, Michel …Je risquerais de faire un peu piètre figure … Vous dites si bien la place qu’occupe cet artiste généreux dans la vie comme en scène.
    Une rencontre décisive, vraiment !
    Quel cadeau il nous a fait en venant sur notre petite scène l’an passé avec tous ses musiciens. ! Je serai le 27 Juillet au théâtre des Vents pour la clôture…J’ai hâte de l’entendre et de le voir dans cette intimité là …

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  6. Dran 13 juillet 2012 à 11 h 27 min

    Des années qu’il nous fait le coup du soleil dans le baobab Pitiot toubab. J’espère arriver jusqu’en Avignon pour l’écouter à nouveau, au Théâtre des Vents où souffle le sens enchanté. Je me trompe ou c’était Joyet, Miravette et Albert Meslay l’année passée ? Thomas, c’est une urgence qui fait plus que dire ah! si seulement, que dire regardez là. C’est du courage ensoleillé. Et ça te parle ; comme une main sur l’épaule.

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