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Paroles paroles

"Caramels, bonbons et chocolats /Merci, pas pour moi mais / Tu peux bien les offrir à une autre / Qui aime le vent et le parfum des roses / Moi, les mots tendres enrobés de douceur / Se posent sur ma bouche / Mais jamais sur mon cœur / Paroles, paroles, paroles" Delon et Dalida en 1973 (pochette du disque)

« Caramels, bonbons et chocolats /Merci, pas pour moi mais / Tu peux bien les offrir à une autre / Qui aime le vent et le parfum des roses / Moi, les mots tendres enrobés de douceur / Se posent sur ma bouche / Mais jamais sur mon cœur / Paroles, paroles, paroles » Delon et Dalida en 1973 (pochette du disque)

On connaît la formule, attribuée à Boris Vian : une chanson à succès, on appelle cela un tube parce que c’est creux. Belle formule pleine d’esprit, mais ô combien porteuse de préjugés, qui aura contribué à creuser ce fossé persistant entre les chansons commerciales (comme si ce n’était pas le rêve de tous les artistes de vendre leurs disques…) et les chansons pas commerciales (c’est à dire les bonnes, les seules, les vraies). Pourtant, une œuvre comme Foule sentimentale peut à coup sûr être cataloguée « tube », sans qu’il soit possible de trouver un esprit sensé pour la qualifier d’inepte. Et à l’inverse, il existe quantité de chansons « non commerciales » qui méritent amplement de rester méconnues (je laisse à chacun le plaisir de remplir sa propre liste !).

Trop facile dès lors de considérer comme qualité négligeable les nombreux airs populaires qui peuplent l’univers de la chanson française, morceaux pas forcément très bien fagotés certes, mais qui ont su trouver l’oreille d’une foule d’auditeurs et marquer profondément les mémoires.

"Foule sentimentale / On a soif d'idéal / Attirée par les étoiles, les voiles / Que des choses pas commerciales"

« Foule sentimentale / On a soif d’idéal / Attirée par les étoiles, les voiles / Que des choses pas commerciales »

Bien de ces tubes incontournables ont vu le jour dans les années 60, 70 et 80. Ils furent très souvent le fruit d’une collaboration entre ces deux artisans de l’ombre – l’interprète prenant toute la lumière – que sont le compositeur et le parolier. C’est à ces derniers que s’est intéressé Baptiste Vignol, journaliste et blogueur émérite, auteur de nombreux ouvrages sur la chanson française (entre autres, une biographie de Guy Béart, dont il fut question voici quelques mois dans NosEnchanteurs).

Le livre porte un titre péremptoire : Les tubes, ça s’écrivait comme ça. Le sous-titre nous révèle la teneur du projet : La parole aux paroliers. Point question ici des compositeurs (un livre reste à écrire sur les Jacques Revaux, Pierre Billon et autres Jean-Pierre Bourtayre de la grande époque…), mais bien de quinze paroliers importants, du plus ancien Maurice Pon (95 ans aux prunes, auteur de la Chanson douce de Salvador) au plus récent Vincent Baguian (54 ans quand même, auteur des comédies musicales Mozart ou 1789, les amants de la Bastille), en passant par Vline Buggy, Claude Lemesle, David McNeil ou François Bernheim (pourtant plutôt connu pour ses talents de compositeur). S‘agissant d’un recueil d’entretiens récents, on comprendra qu’il n’y est pas question des monstres sacrés que furent Pierre Delanoë, Etienne Roda-Gil, Maurice Vidalin ou Louis Amade. On regrettera par ailleurs l’absence de quelques autres auteurs (comme on aurait aimé y trouver un Jean-Loup Dabadie ou un Jean Fauque, voire un Didier Barbelivien), tout en appréciant la mise en lumière de certains auteurs discrets (comme Jean-Paul Dréau ou Jean-Michel Rivat…). Enfin, on aura une pensée émue pour trois de ces quinze paroliers, qui sont allés proposer leurs services au grand barbu depuis la parution de l’ouvrage : Robert Nyel (auteur du fameux Déshabillez-moi de Gréco), Pierre Barouh et Frank Thomas (parti le 20 janvier dernier).

"La petite biche / Ce sera toi, si tu veux / Le loup, on s'en fiche / Contre lui, nous serons deux / Une chanson douce / Que me chantait ma maman / Une chanson douce / Pour tous les petits enfants..."

« La petite biche / Ce sera toi, si tu veux / Le loup, on s’en fiche / Contre lui, nous serons deux / Une chanson douce / Que me chantait ma maman / Une chanson douce / Pour tous les petits enfants… »

Quoi que laisse entendre le titre du livre, nous n’apprendrons pas la méthode infaillible pour écrire un tube en or. Bien au contraire, la constante de chacun des auteurs interrogés est de souligner combien le succès est imprévisible. Bien malin qui pourrait prétendre pouvoir écrire une chanson destinée à rester dans les annales populaires ! Tout au plus le lecteur sera-t-il ébahi par la facilité apparente avec laquelle il était possible dans ces années 60-70 bénies de rentrer en contact avec l’entourage d’un artiste (a priori, pas de barrage insurmontable comme aujourd’hui). Chapeau bas également pour les maisons de disques et éditeurs, qui faisaient sérieusement leur boulot et étaient à l’affût des talents. Période bien révolue puisque, comme le constatent aussi nombre des intervenants, le parolier est à présent en voie de disparition ! Les interprètes purs ne sont plus guère nombreux – hormis les chanteurs d’élevage des télé-réalités – et la mode est aux ACI (pour un raison économique également : le marché du disque s’est tellement rétréci que le chanteur préfère écrire lui-même ses chansons, histoire de percevoir le maximum de droit d’auteur). Faut-il le regretter ? A tout le moins peut-on se demander si le manque de chansons actuelles facilement mémorisables ne trouve pas sa source dans l’absence de ces auteurs chevronnés, artisans capables de s’adapter aux goûts et personnalités de chaque artiste et à même de trouver les mots qui font mouche.

51E9XkH44vL._SX258_BO1,204,203,200_Pour le reste, selon sa sensibilité et son intérêt pour la grande variété, le lecteur se régalera des témoignages des intervenants, habilement cuisinés par un Baptiste Vignol fin connaisseur du sujet. On pourra relever des incohérences dans les déclarations (Frank Thomas et Jean-Marie Rivat n’ont pas vraiment la même version de leur rencontre), des images conformes à la légende (Claude François aussi professionnel que généreux et tyrannique, Michel Polnareff totalement ingérable…) ou des considérations qui l’égratignent quelque peu (Joe Dassin obsédé avant tout par les chiffres de vente), quelques règlements de comptes ou mises au point, des hommages reconnaissants…Le tout d’une lecture facile et agréable pour un résultat passionnant de bout en bout.

Comme NosEnchanteurs défend prioritairement, selon la formule consacrée, la « chanson à texte », nous ne résisterons pas à l’envie de laisser le mot de la fin à Boris Bergman, parolier historique de Bashung : « Je pense qu’il est temps que les français de tous âges, de toutes générations, enterrent définitivement Descartes. Ça m’arrive souvent de ne pas comprendre mes textes. L’important, c’est l’émotion que ça véhicule. Un texte de chanson, ça s’entend, ça s’écoute, ça n’est pas un texte qu’on lit. Faut arrêter d’essayer de trouver des explications à tout. Il n’y en a pas et Dieu merci ! »

Reconnaissons que la chanson actuelle, dans sa dominante pop-rock, a fait sienne cette position. Faut-il le regretter ?

 

Baptiste Vignol, Les tubes, ça s’écrivait comme ça, La tengo 2016. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Baptiste Vignol, c’est ici.

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2 Réponses à Paroles paroles

  1. Catherine Laugier 31 janvier 2017 à 21 h 28 min

    La judicieuse publication de Yapad Papa me fait découvrir le livre que Laurent Baladras a consacré aux chansons de Nougaro et qui me paraît indispensable. Il y décrypte entre autres les sources de cette chanson : « [Il] joue avec les sons pour livrer la clef du jeu de mots à la toute fin du titre « Y’a pas d’paroles à cette chanson » sur une mélodie de Marc Hemmeler, qui l’a lui avait proposée depuis longtemps. Rapporte ce que Nougaro aurait confié à Jacques Chancel « J’éprouve de plus en plus de difficulté à me coltiner avec la langue française. Il est très dur de lui redonner sa force et son dynamisme, sa puissance évocatrice. Le peuple français n’est pas tellement doué pour recevoir une parole vivante »
    Les commentaires sur cette chanson de Nougaro ont été désactivés. C’est dire ce que suscite comme passion les débats sur le texte, ou l’absence de texte, des chansons.
    Quant à la dernière remarque de Bergman, oui, le texte vaut aussi pour ses sonorités, pour les émotions qu’il procure, plus que pour son sens intellectualisé. Il me semble que c’est vrai aussi en poésie.

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  2. Michel Trihoreau 3 février 2017 à 18 h 43 min

    Il y a de cela quelques années, je faisais partie d’un jury qui auditionnait de jeunes chanteurs francophones, sous le regard bienveillant d’un portrait de Georges Brassens.
    Une jeune femme d’origine africaine a chanté, dansé, sur une musique trépidante, des onomatopées avec juste quelques courtes phrases en français du genre « Non, papa, je ne veux pas », « ça fait mal » ou quelques mots du même sens, le tout savamment mis en scène et orchestré. Bien que tous les poils des gens présents se soient dressés sous le frisson, des esprits chagrins prétendaient que ce n’était pas de la chanson, avec des vraies paroles, que l’on était bien loin de Brassens, etc.. J’ai eu toutes les peines du monde à les convaincre qu’avec quelques mots seulement, bien entourés de musique, de gestes, de sons vocaux, on pouvait créer une émotion formidable et que la chanson aussi c’était ça. La jeune femme a atteint la finale.

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