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Cantat, Orelsan, Sardou : dangereux jeux de rôles

Orelsan (photo DR)

Orelsan (photo DR)

Une pétition vient d’être lancée pour réclamer l’annulation du concert de Bertrand Cantat au festival Les Papillons de Nuit, à Saint-Laurent-des-Cuves (Manche). Encore une, comme cette annulation au festival Les Escales de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Tel Sisyphe et son rocher, l’ex leader de Noir Désir, devenu symbole des violences faites aux femmes, n’en finit pas d’expier, de payer, pour le crime qu’il a jadis commis, malgré le fait qu’il ait effectivement purgé sa peine. « Dans une République, quand on a fait sa peine, on a le droit à la rédemption » à réagit Sébastien Pernice, le manager de Cantat.

« Mais ferme ta gueule, ou tu vas te faire marie-trintigner », ça ce n’est pas de Cantat mais d’Orelsan, le triple primé des récentes Victoires de la Musique (1) : les juges de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris avaient souligné, en 2013, que le néologisme « marie-trintigner » employé dans la chanson Saint-Valentin marquait le point culminant de la « banalisation des violences faites aux femmes ». Le rappeur fut condamné non pour cette seule chanson mais pour injure et provocation à la violence envers les femmes pour plusieurs de ses chansons : il y avait sinon récidive au moins constance. Ainsi avec Sale pute : « Si j’te casse un bras, considère qu’on s’est quitté en bons termes », « J’vais te mettre en cloque (sale pute) et t’avorter à l’Opinel ». Il fut néanmoins relaxé en appel l’année suivante. Car pour Orelsan, il s’agissait d’une fiction, faisant ainsi valoir et prévaloir sa liberté de création. Le tribunal lui a finalement donné raison.

Fiction ? Remarquez que l’argumentaire fut le même chez Michel Sardou, qui prétendait endosser un rôle à chacune de ses chansons, comme dans Les villes de solitude. Souvenez-vous, en 1973 : « J’ai envie de violer des femmes / De les forcer à m’admirer / Envie de boire toutes leurs larmes / Et de disparaître en fumée ». Sardou se mettait ici dans la peau d’un homme qui se réfugie dans l’alcool afin de lutter contre la banalité de son existence et exprime ses pulsions brutales… Un rôle ? C’est possible, c’est sans doute vrai. Mais qui le sait, qui peut le comprendre ? Sur des millions d’auditeurs à chacun de ses passages radio, combien l’ont pris pour argent comptant ? Une chanson entendue à la radio, à la télé, est livrée sans explication. Pas comme en préambule d’un film qui souvent précise que « les personnages et les situations étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. » D’ailleurs, aucune pochette d’aucun disque de Sardou ne le stipule. Si tant est que la musique soit bonne et aide à la mémorisation, le texte d’une chanson s’inscrit durablement en tête et peut n’en être que plus dangereux : la parole de l’idole est pour certains quasi sacrée, on peut donc violer des femmes et boire toutes leurs larmes en toute impunité.

Puisque Sardou l’a dit. Puisque Orelsan l’a dit. Puisque…

 

(1) Là aussi, circule actuellement une pétition, à l’adresse de la ministre de la Culture, exigeant l’« annulation des prix du rappeur Orelsan aux Victoires de la musique » pour « certains propos lus et entendus dans ses chansons ».

Ce que NosEnchanteurs a déjà dit sur l’affaire Cantat, c’est ici.

18 Réponses à Cantat, Orelsan, Sardou : dangereux jeux de rôles

  1. Marie GUYOT 27 février 2018 à 15 h 00 min

    Enfin des paroles pleines de bon sens!
    Cantat a payé sa dette à la société et en fait son geste et la gravité des conséquences (elle est morte) aurait pu conduire à une réflexion sur les conséquences d’un geste que beaucoup encore considèrent comme banal.
    La violence n’est pas que dans les gestes. Les paroles aussi peuvent être meurtrières, d’autant que les termes utilisés diffèrent bien peu du langage utilisé dans certains jeux virtuels.Est-il nécessaire de rappeler que certains ne savent pas toujours faire la différence entre réalité et Fiction?

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  2. Camerlynck 27 février 2018 à 15 h 03 min

    Je suis assez d’accord avec ton analyse. Toutefois je suis contre ce genre de pétition demandant la suppression d’un prix attribué par un Jury, une académie, ou la programmation faites par les administrateurs d’un festival. Si le public n’est pas d’accord il a des tas de façons pour manifester son dégout. Je n’aime pas Sardou, Cantat, Orelsan je ne connais pas. Il y a des Rappeurs dont j’aime les textes. des Rockeurs comme Damien Saez que j’affectionne, je me souviens de la censure exercée sur une affiche de Damien Saëz dénonçant la marchandisation du corps des femmes et des pétitions de l’époque contre cette affiche : une femme nue dans un Caddie.

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    • Michel Kemper 27 février 2018 à 15 h 25 min

      Je me contente de la signaler, Christian, mais ne donne pas l’adresse de cette pétition : je trouve aussi, pour ma part, que cette initiative est mal venue. Sauf à pétitionner carrément pour la suppression ses Victoires de la musique, ce qui est un autre débat qui d’ailleurs ne m’intéresse pas plus.

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  3. Daphné Swân 27 février 2018 à 16 h 04 min

    (commentaire publié sur facebook)

    Le billet est assez juste. À mon sens, le souci ne serait pas dans l’existence même de ces chansons mais dans leur contexte de diffusion. Des films violents y en a plein, mais ils ne circulent pas librement n’importe où n’importe quand. Il y a sans doute une réflexion de cet ordre à avoir pour les chansons.

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  4. Néda Yazdanian 27 février 2018 à 16 h 28 min

    (commentaire publié sur facebook)

    A priori sur les 3, un seul a la fâcheuse habitude de cogner sur les femmes qui l’aiment. Ça fait une petite différence me semble-t-il…

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  5. Jean Lapierre 27 février 2018 à 16 h 33 min

    En fait c’est un problème d’écriture… Quand on se met dans la peau d’un autre on le dit… Les folksingers ont su (savent) très bien le faire… « He said »… « Il dit »…
    En tout cas c’est bien que tu refasses de tels « papiers » cher Michel… C’est ce que j’attends…

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  6. Daniel Maillot 27 février 2018 à 17 h 05 min

    Cantat, Orelsan et les victoires de la musique, les provocations répétées de la pseudo chroniqueuse à Ruquier, la tribune de Catherine Deneuve et ses copines, les aveux de l’assassin présumé de la petite Maelys, ceux du mari de la jeune femme assassinée en Haute Saône et les appels au retour de la peine de mort qui ont suivi… Tout cela crée un contexte de violence généralisée sur les réseaux sociaux depuis le début de l’année, parce que tout s’est beaucoup trop mélangé peut-être…: Je sais, je déborde du cadre de la chanson, mais tout ça mis ensemble donne ce que j’appellerai une somme de choses qui ont provoqué des discussions plus que virulentes, avec parfois pétition à la clé. Pour ma part, j’ai vu passer tout cela avec une certaine affliction, j’en étais parfois à désespérer de l’espèce humaine !
    Pour ce qui concerne Sardou, concernant une autre chanson, je n’ai jamais considéré « Je suis pour » comme étant à prendre au second degré… Second degré dont l’auteur interprète ne s’est jamais réclamé il me semble ?

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  7. Roucaute 27 février 2018 à 18 h 49 min

    Ah la la, Michel, tu as visé et touché le filon qui génèrera à coup sûr tout plein de commentaires. Faut-il limiter la chanson aux bons sentiments ? A ma connaissance, on a le droit d’être pour la peine de mort et même de le dire, donc a fortiori de le chanter. On n’a pas le droit de tuer les gens et pourtant je réclame le droit d’écrire une chanson où j’occis ma belle-mère ou mon marchand de journaux. Je réclame le droit de voter Front National dans mes chansons et pas dans la vraie vie, d’y être un Minotaure qui dévore des jeunes femmes (faut-il que je précise que je ne le fais pas dans la vraie vie ?). Je réclame le droit pour les collègues de Bodie de jouer les meurtrières dans leurs concerts et dans leurs clips. Tout ça c’est de la fiction, DE LA FICTION. Tel chanteur qui chante les bons sentiments n’y croit pas une seconde, tel autre qui participe aux Enfoirés ne donnerait pas un croûton de pain à un mendiant dans la rue, tel homosexuel notoire chante la femme éternelle tel enfin qui chante le meurtre est le plus doux des humains. Et je retiens l’idée de placer « toute coïncidence etc… » sur mes pochettes d’albums. Mais qui achète encore la musique en CD ? Les autres devront se débrouiller. Si on ne fait pas le pari de l’intelligence du public, autant ne pas faire artiste, non ?

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  8. Théo W. 27 février 2018 à 19 h 16 min

    Parier sur l’intelligence du public ? c’est un pari risqué

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    • Roucaute 28 février 2018 à 8 h 48 min

      Etre artiste est un pari risqué.

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      • Michel Kemper 28 février 2018 à 9 h 35 min

        Je le concède sans mal, Gilles.

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  9. POMMIER Marc 27 février 2018 à 20 h 53 min

    La pétition concernant ORELSAN existe, je ne la signerai pas !!!

    Pourquoi le second degré est crédible chez certains artistes pas les chez les autres ???

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  10. Campapadale 27 février 2018 à 21 h 20 min

    Je suis entièrement d’accord avec Roucaute, merci pour ce commentaire.
    Cher Michel Kemper, votre réflexion sur le sujet est d’un conservatisme et d’un bigotisme désopilant. Tout juste bon à paraitre à la page culture de « Valeurs actuelles ».
    Savez-vous pourquoi le théâtre fut interdit en Angleterre au XVIeme siècle par les Puritains ? Pour les mêmes raisons que vous évoquez ci-dessus. Ils avaient peur que le public ne face pas la différence entre une fiction et la réalité.
    Quand Brassens disait préférer les flics « sous forme de macabé », qu’auriez-vous écrit à l’époque ? « Le pense t-il vraiment ? Son Public risque de passer à l’acte ! »
    Non un peu de sérieux, s’il y’ a un point qu’on ne peut pas demander aux artistes c’est d’être révérencieux dans leurs oeuvres.
    Ensuite, mettre Mr Cantat, Sardou et Orelsan dans la même catégorie est un raccourci purement Zemmourien. Mr Cantat a été jugé pour un crime qu’il a commis tandis que les deux autres ne font que des chansons. De quoi parlez-vous donc ? Du propos d’ une oeuvre ou des actes de son interprète ? Dans ce cas, le débat n’est pas le même.

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  11. Catherine Laugier 27 février 2018 à 21 h 39 min

    Près de 61 000 pétitionnaires contre Cantat, près de 84 000 contre Orelsan. Où est la logique, si logique il y a ? Orelsan n’a jamais été condamné pour violences ni sur un homme ni sur une femme, me semble-t-il. Et son dernier album est plein de dérision et d’autodérision. Plus de questionnements que d’appels à la violence. Aucun en fait. Regarder notamment les paroles de Notes pour trop tard.
    On n’aime pas ? On ne va pas les voir, on n’achète pas leurs albums. C’est sûr que j’aurais préféré que Cantat se produise dans des lieux discrets…
    Et puis faire sa justice soi-même n’a jamais donné rien de bon, il faut arrêter toutes ces pétitions contre des personnes. Et réclamer la censure, ou le retour de la peine de mort, ce n’est pas une preuve que l’on va vers une société plus juste, c’est même tout le contraire…

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  12. POMMIER Marc 28 février 2018 à 19 h 11 min

    Je ne vois pas ce que le commentaire de Michel KEMPER « conservateur », « bigot ». Michel relate des impressions, puis son point de vue !!! Cela a le mérite de déclencher une discussion.

    Parmi la plupart des commentaires, cela est réfléchi, sensé et sans intolérance, c’est nuancé !!!!

    Que SARDOU et ODELSAN défendent leur point de vue si c’est vraiment du second degré ! peut-être l’ont-ils fait ???

    Tout comme Gilles ROUCAUTE, je ne suis pas favorable à l’interdiction donc aux pétitions qui circulent !!!

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  13. Catherine Laugier 28 février 2018 à 19 h 35 min

    Fiction ? Un élément de réponse avec ce clip de Défaite de famille, où tous les personnages sont joués par Aurélien Cotentin (Orelsan), et où je pense, la seule chose de vraie est le « Je t’aime, Mamie ».
    Un Monsieur qui aime sa grand mère qu’il fait chanter avec lui ne peut pas être complètement mauvais :
    https://www.youtube.com/watch?v=tOq65m0gc5g
    On écoute l’avis de Mamie : https://www.youtube.com/watch?v=yDfGXA7gYi8

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  14. Patrick Engel 1 mars 2018 à 11 h 34 min

    Avec tout cela, on oublie un peu de dire que l’album de Bertrand Cantat, descendu à sa sortie par un feu nourri croisé issu de critiques bien pensants, est tout simplement un putain de bel album. Mais pour cela, il faudrait peut-être prendre le temps de l’écouter…

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    • Michel Kemper 1 mars 2018 à 11 h 52 min

      Pour ma part, j’ai adoré le disque de Détroit (de Bertrand Cantat, donc). J’espère avoir l’occasion d’écouter ce nouvel album : ça ne m’étonnerait pas que ce soit effectivement un « putain de bel album ».

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