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Du Texas au Québec : Emilie Clepper dépayse… en français !

(détail de la pochette de l'album d'Emilie Clepper)

(détail de la pochette de l’album d’Emilie Clepper extrait du site internet d’Emilie Clepper)

21 septembre 2018, Le Détour, bar du Grand Théâtre, Québec (Canada),

 

« Je suis un oiseau migrateur / Un peu au Sud un peu au Nord / Il me manque toujours quelque part / De vieux morceaux abandonnés / Sous l’autre ciel où je suis née ».

La voix d’Emilie est faite d’accents de courbes de vents, peut-être comme les vents d’hiver québécois, peut-être comme les routes du désert Chihuahan, peut-être comme les rives du St Laurent qui peuplent ce nouvel opus, mais surtout comme les intonations dont elle a hérité – née d’un père texan et d’une mère québécoise. Ecouter sa voix est un peu une chanson à elle toute seule, vibrante – dirait les français, à la Barbara – et enroulant le tout d’une grosse chaleur peuplée de petits frissons hivernaux (ça vous grimpe dans le corps et le cœur à l’entendre comme cela).

21 septembre, Québec, capitale-nationale : rues pluvieuses. Il fait bon s’installer au Détour, le bar du Grand théâtre de Québec où le lancement du dernier album d’Emilie Clepper est annoncé dans un 5 à 7, petit verre de vin à la main (qui n’a rien à voir avec le 5 à 7 français, pour ceux dont l’expression titillerait l’entendement !). Très vite la salle passe du vide au plein – vases communiquant, mon verre du plein au vide. Chaleur humaine. Ils semblent tous attendre un grand évènement. Emilie Clepper, vous connaissez ? Peut-être autant que moi.

Moi je ne la connais ni d’Eve ni d’Adam ; c’est par un incongru hasard que mes oreilles ont croisé sa voix. Certains dans la salle connaissent bien la « version anglophone » d’Emilie Clepper, plutôt folk, americana, country – bref les influences de son père texan auteur-compositeur-interprète. Quatre albums en anglais. Et « une belle présence sur scène », me dit mon voisin qui aime autant Paul Mc Cartney que Richard Desjardins. Dans l’attente de cette présence, on distingue dans la salle pleine à craquer d’un brouhaha de gens qui se retrouvent, des titres inconnus : ceux de son nouvel album.

« Trois pas derrière, un pas devant / On danse une valse à quatre temps ».

Mon verre est maintenant bien vide et la salle bouillonnante. Enfin, on monte sur scène : la voilà. Ou dirais-je plutôt : les voilà. Dès les premiers mots, on reconnaît la même chaleur de voix entendue sur Youtube dans des vidéos chant-guitare ; mais c’est un timbre plus lyrique – enroulé entouré des instruments de ses musiciens qu’Emilie Clepper tient d’ailleurs à mentionner lorsqu’elle parle de l’album : au violon, Claude Amar ; Patricia Deslauriers sur contrebasse, Vincent Gagnon aux claviers ; et à la batterie Pierre-Emmanuel Beaudoin, accompagnent ces nouveaux textes.

emilie clepper a« A l’approche de l’eau / Je t’ai vu l’écouter / Et je l’ai entendue / Cette belle oubliée / La chanson du monde ».

Dans des mélodies tantôt dépouillées (le piano qui lui sied tant sous « les grands vents ») tantôt fantastiques (l’étrangeté suspendue aux cordes du violon et des arrangements du grand « désert blanc ») on plane, en vol sur une voix-pansement aux blessures que les mots égrènent ; la voix de cet « oiseau migrateur un peu au Nord, un peu au Sud » nous embarque ainsi dans des paysages où le connu (« mes rêves de St Laurent ») glisse l’air de rien l’air de tout vers l’inconnu (« un océan de rêves »).     

« On m’a déshabillé de ma vérité, d’un scalpel on a tranché mes secrets / Les grands vents se lassent parfois de souffler sur des mots qui ne changeront rien / Marcher en rang et scander des refrains ».

Des refrains qui ne sont d’ailleurs pas que les siens : si Emilie Clepper signe un des titres de ce nouvel album (« La chanson du monde »), les neuf autres proviennent de la plume de son amie d’enfance Sara Garneau, point de départ de cette aventure en français. « J’ai passé 20 ans à écrire en anglais », confie-t-elle, « en français, c’est vraiment un nouveau médium, même si je le parle couramment, écrire est vraiment différent. Je suis très difficile avec ce que j’entends en français ! ». Et d’ajouter : « Piaf, Barbara, Gréco, Brigitte Fontaine, ce sont les chanteuses que j’écoutais dans ma jeunesse, ça fait que (notre « du coup » français) j’aime un français bien articulé, proche de la poésie. » La présence poétique de Sara Garneau a été « réconfortante » pour « migrer de l’anglais en français », pour reprendre ses expressions prêtées à l’interview donnée à ArpMedia ce 20 septembre 2018 dernier. D’où bien sûr, le titre de son album intitulé à raison – La Grande Migration.

C’est peut-être une évidence mais le choix de la langue « fait vraiment une différence dans la façon de chanter ». Si nous avons été habitués dans notre Hexagone à des chanteurs français s’exprimant en anglais for the sake of it (et le but « louable » de toucher plus de public), pour l’interprète de cet album, rien n’est plus différent : « je n’entends pas le français musicalement comme l’anglais ; la bouche ne bouge pas de la même façon ; les consonnes et les voyelles ne sont pas les mêmes. L’imagerie n’est aussi pas la même : il y a des images qui passent mieux dans une langue que dans une autre, c’est vraiment deux mondes différents ».  Au point que, d’après elle, « ce n’est pas nécessairement les mêmes personnes qui aiment ce je fais en anglais, qui vont aimer ce que je fais en français ». Pourtant, mon voisin de concert a bien l’air conquis de l’un comme de l’autre…

Mais il est vrai qu’ici, à Québec, s’implanter en anglais est plus difficile : ce sont des publics différents, ou tout du moins « une partie du public est différente », nous dit-elle. La télévision, la radio ont des quotas francophones et un nombre de concours leur sont réservés (aux francophones !). Cette « dualité » que l’album chante – « la francophonie et l’Amérique – les deux font partie de moi » semble finalement se former métaphore de l’industrie de la musique québécoise. Qui sait, peut-être cette migration langagière viendra « dessiner un pont » entre ces publics.

A l’écoute des dix titres de l’album, on se dit en tous cas que cette migration langagière lui va fort bien. D’où vient en effet cette idée que la musique en français coulerait donc moins que l’anglais ?  Emilie Clepper « chanterait le bottin de téléphone que ça serait génial de toutes façons », nous lance le co-réalisateur « sans qui rien de tout cela n’aurait été possible ». La boucle est bouclée : cet album n’est pas duel (entre anglais et français), il est pluriel !

 

Album « Emilie Clepper ou la grande Migration » (La Tribu, 2018). Réalisation : Tire-le-coyote et Stéphane Rancourt ; piano, claviers : Vincent Gagnon ; batterie : Pierre Emmanuel Beaudoin ; contrebasse : Patricia Deslauriers ; violon : Claude Amar. Le site d’Emilie Clepper, c’est là ; on en parle aussi ici.

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