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M’enfin, une polnacritique du polnadisque

Michel Polnareff (photo Vincent Capraro)

Michel Polnareff (photo Vincent Capraro)

Est-il possible d’émettre un jugement objectif sur Enfin !, l’album de Michel Polnareff que l’on n’espérait plus ? C’est que les chiffres sont là, qui brouillent l’appréhension de l’ouvrage. 28 ans d’attente ! Depuis son Kama Sutra de 1990, l’homme n’avait en effet rien produit, hormis 3 disques live et 3 chansons isolées (dont 2 sont reprises dans ce nouvel album). A titre de comparaison rigolote, sur le même délai, le stakhanoviste Jean-Louis Murat a sorti – au moins – 17 albums… Autre chiffre effarant pour ce disque à maturation lente : son coût. La presse parle en effet d’un budget de 5 millions d’euros (même si on ne sait ce que cela recouvre exactement). Pensez simplement que Polnareff – il le confie lui-même dans le livret – aura passé 14 mois au studio ICP de Bruxelles, un des plus réputés du monde, pour en ressortir avec RIEN d’utilisable, ou si peu ! Une liberté créatrice qui fait rêver, certes, mais qui peut pousser aussi à revêtir un gilet jaune… Quoi qu’il en soit, comment, dans de telles circonstances, éviter la conclusion du tout ça pour ça ???

On a d’autant plus de mal à esquiver ce sentiment que l’égo surdimensionné du chanteur n’incline guère à l’indulgence. On sait l’homme très satisfait de lui-même et de son œuvre. Nul ne contestera que Polnareff a révolutionné la chanson française, par sa science musicale volant trois coudées au-dessus des yéyés d’alors, par les sujets de ses chansons (la libération sexuelle en premier plan) ou par son personnage charismatique au look unique. Mais n’est pas David Bowie qui veut et il ne suffit pas de se prétendre toujours avant-gardiste pour l’être encore. Popol s’est fait petit à petit rattraper par le temps et apparaît aujourd’hui à bien des égards comme une baudruche gonflée de suffisance, qui ne semble percevoir le monde qu’à travers son propre prisme (il fait des polnabébés, enregistre au polnastudio, vous donne rendez-vous sur le polnaweb, et autres polnaconneries…).

Et donc, ça donne quoi, cet album ? 66 minutes de musiques. 3 instrumentaux et 8 chansons, dont les Ophélie flagrant des lits et L’homme en rouge déjà connus. Le tout pour un disque qui part dans tous les sens. Comme si l’artiste avait voulu goûter à tout et n’avait su fixer une ligne directrice. 28 ans d’hésitations…

Le morceau d’ouverture, l’instrumental Phantom, musique symphonique d’un film imaginaire s’achevant comme un rock progressif, est réjouissant de bout en bout et rassure sur les qualités de compositeur de l’artiste. L’oreille déchante malheureusement avec le morceau suivant, Sumi, hard rock FM lourdingue aux paroles indigentes (J’voulais lui faire du mal / J’voulais lui faire le mâle / Elle l’a pris très très mal / Ma geisha m’a bridé). Une simple balade dédiée à son fils, Grandis pas, rétablit l’équilibre. Un beau piano-solo où la voix de Polnareff monte dans les aigus, comme lui seul sait le faire. Pas révolutionnaire, tant il a déjà beaucoup donné dans ce style, mais presque émouvant. Son gamin est mis une nouvelle fois à l’honneur avec le 2ème instrumental, Louka ‘s song, morceau dansant sur lequel il pose sa voix de chérubin pour des messages essentiels (Daddy, I love you). On poursuit dans le survitaminé avec l’Ophélie déjà connue, totalement réorchestrée (sans lésiner sur le too much, y’a même un passage en tango !), dont il faut admettre la souriante efficacité rythmique.

Doh-oI0XgAEOexW.jpg largeOn souffle un peu ? Pas question, puisque débarque Longtime, formidable mélodie rappelant les grandes heures de l’artiste, aux paroles en forme d’aveu d’impuissance (Longtime / J’trouve pas les mots pour cette chanson-là / J’ai trouvé que ça / Dalalilalila). On passe alors à Positions, énième variation érotique sur les obsessions du chanteur, qui prend la forme d’un swing pour grand orchestre de jazz, façon Ray Charles. Surchargé mais dépaysant. Claquements de doigts difficiles à réfréner. On oublie bien vite la chanson conscientisée de l’album, Terre Happy, qui ne vaut guère mieux que les 2 balles du jeu de mots qui lui sert de titre, même si c’est l’occasion d’encore une fois apprécier les qualités vocales de l’Amiral. On passe de même à la trappe le grandiloquent et mélodramatique Homme en rouge, pourtant censé nous toucher. Dans ta playlist s’avère heureusement plus réussi dans l’émotion, message d’amour d’un artiste à son public (Mais dis-toi que si j’existe / C’est d’être dans ta playlist), sincère et sans boursouflures. Vient alors le moment de clore le périple par un ultime instrumental, Agua caliente, concerto pour orchestre et guitare électrique.

Enfin ! n’est certainement pas la polnabouse dénoncée par certains. Certes, il n’ajoute pas grand-chose à la gloire de l’immense artiste qu’il est, mais espérer davantage d’un chanteur de 74 ans était-il raisonnable ? Car ces 28 années d’attente n’étaient évidemment pas une volonté de sa part de peaufiner à l’extrême un chef-d’œuvre qui mettrait tout le monde à genoux. Elles sont au contraire l’indice d’une créativité bloquée, d’un égo faramineux, d’une volonté forcenée de ne s’en remettre à personne d’autre que lui, le Maître. Il est ainsi évident que Polnareff aurait eu tout à gagner à faire appel à des paroliers aguerris, comme jadis Dabadie ou Delanoë qui lui ont forgé ses plus belles chansons, au lieu de s’entêter à tout faire lui-même (Doriand est bien venu l’aider sur certains titres, mais on pressent que son apport fut minime). Hélas, « qui trop embrasse mal étreint » n’a pas cours en polnalangage…

Dans l’état, le nouveau et ultime disque de Polnareff (qui peut croire, vu son rythme, qu’il nous en mitonnera encore un ?), bien qu’hyperproduit et foutraque, recèle de bien chouettes morceaux, qui restent en tête sans qu’on les ait vu venir. Un album à écouter sans arrière-pensées, juste pour le fun qu’il procure. Laissons donc le temps agir, lui seul décantera l’affaire. Et en attendant, réjouissons-nous : Polnareff est bien vivant et il bande encore.

 

Michel Polnareff, Enfin !, Enough Records/Universal Music, 2018. Le site de Michel Polnareff, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Image de prévisualisation YouTube

Une réponse à M’enfin, une polnacritique du polnadisque

  1. kerluen 28 décembre 2018 à 16 h 08 min

    Globalement d’accord avec vous.comme vous le dites, il faut essayer d’ecouter sans arrieres-pensees et s’interroger: y-a-t-on pris plaisir, a-t-on envie d’en reprendre un coup? Pour moi, oui (par ex le 1er, Phantom, qui n’est pas anodin!), et de fait j’ai déjà écouté plusieurs fois chacun des morceaux en écoute libre, parce que j’en avais envie tout simplement.N’est-ce pas le premier des critères, ici et en musique en général, le reste n’étant que variations sur le thème de la « modernité » qui sont dépassées 5 ans après! Ceci étant, dommage que les paroles soient »justes » et peut-être tant mieux qu’on ne les comprenne pas bien. Polna a tout de même écrit de beaux textes dans sa carrière.Pour finir je souhaite que ce disque marche, car au moins c’est de la musique, et je n’en dirai pas autant de l’essentiel de la pop contemporaine qui est bien de son époque de marchands de soupe.

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