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Bacchus, Toulis, Solleville : humour, amour et luttes

Eric Toulis, Francesca Solleville et Nicolas Bacchus (photos Babette Richard)

Eric Toulis, Francesca Solleville et Nicolas Bacchus (photos Babette Richard)

« Résonances de luttes », 15 juin 2019, salle Daquin, La Ricamarie,

 

Cette scène, vous la connaissez, pour avoir lu Germinal ou en avoir vu des adaptations au cinéma : ce moment précis où la troupe tire sur les mineurs en grève. Un tel massacre se déroula au lieu-dit Brûlé, à La Ricamarie, près de Saint-Etienne. On dit qu’il inspira Zola. Les mineurs réclamaient une augmentation de salaire et la mise en place d’une caisse de secours. L’armée leur répondit par les armes : 14 morts, dont une gamine d’à peine dix-huit mois. « On a tué l’enfant dans les bras de sa mère / Égorgé lâchement la femme à genoux / Un paisible vieillard qui défrichait sa terre / On parlera longtemps soldats de ce « fait d’arme » » composa par la suite le chansonnier stéphanois Rémy Doutre, qui ajouta « Soldats, quand vous frappez l’ennemi de la France / Dans un loyal combat, vous êtes des héros / Mais quand vous massacrez vos frères sans défense / Vous n’êtes plus soldats, vous êtes des bourreaux ». C’était il y a pile 150 ans.

NBETFS1Ce soir, trois chanteurs se succèdent, pas loin du Brûlé, sur la scène de la salle Daquin. Rien a priori ne les relie. A priori. Vous pensez : Nicolas Bacchus, Eric Toulis et Francesca Solleville. Un grinçant, un désopilant, une grave et poétique. Sacrés cocos !

Hier, en ce même lieu, Jean-Luc Perrot improvisait au piano sur un film muet [1] qui nous relatait, par l’horreur, une grève dans une mine, la répression patronale et policière, les huissiers, les expulsions, la misère…

Ce soir, nul n’est besoin de longuement fouiller le répertoire de chacun des trois artistes, si différents soient-ils, pour en trouver comme des échos, une mise en perspective. Les temps ont finalement si peu changé, que la pellicule et la chanson consignent aussi sûrement.

Si Nicolas Bacchus fait résolument dans cette chanson d’amour qui vous tourne le dos (Soyez pédés, chante-il, tirant le Font de son répertoire), son propos n’en est pas moins résolument engagé. Et quand il chante une nouvelle et plus récente mouture de l’Hexagone de Renaud, il n’oublie pas de faire le portrait de Macron et des conséquences sociales de cet En marche à reculons.

S’il trompette facilement de son humour élégant et dévastateur, Eric Toulis a lui-aussi son lot de chansons sociales : même dans celles pleines d’humour et d’amour, on trouve trace de la lutte des classes, c’est dire. Les images de la veille nous reviennent sans mal quand il nous chante ce déclassé qui désormais dort dans la rue, dans ses cartons d’emballage Ikéa, lui qui y travaillait encore six mois auparavant : « C’est là que je bossais comme un con / Avant qu’ils n’aient plus besoin de moi ».

Des chansons qui ont sale mine, Francesca Solleville (accompagnée au piano par Michel Précastelli) en a, elle-aussi. Ces mineurs du Brûlé c’est cette France « Celle du vieil Hugo tonnant de son exil / Des enfants de cinq ans travaillant dans les mines / Celle qui construisit de ses mains vos usines / Celle dont monsieur Thiers a dit qu’on la fusille ». Avec elle, on perd certes en fantaisie (encore que) ce qu’on gagne en émotion. Son récital est fait d’Aragon, de Ferrat, de Piton, de Morel (non le Gérard mais le François), de Bühler, de Leprest. De ces autres fusillés de L’affiche rouge.

Le plateau est inédit et ne peut se prêter qu’à des moments collectors, que seuls les privilégiés de ce soir sauront longtemps garder en mémoire. Quand, en toute fin, la maire adjointe à la culture, Marie-Pascale Dumas, remet à Francesca la médaille d’honneur de cette Ville de luttes, celle des martyrs du Brûlé et du syndicaliste Michel Rondet, ce n’est pas rien. Et quand auparavant, Toulis et Bacchus, ont osé l’aubade à Francesca, en des mots périlleux, équivoques, où tout peut prêter à confusion, à contusions cause aux chocs de l’amour torride dont une vielle dame ne saurait tout à fait renoncer. Je parle d’amour mais c’est ça : l’amour – et le respect – que portent deux chanteurs bien plus jeunes à leur prestigieuse et superbe aînée. Ça donne un moment précieux qu’un jour tenteront de restituer les biographes, les historiens. C’était le jour anniversaire de la fusillade du Brûlé et ces deux-là brûlaient d’amour pour la belle Francesca qui, en retour, les fusillait du regard.

 

Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Nicolas Bacchus, d’Eric Toulis et de Francesca Solleville. On retrouve Bacchus et Toulis dans le nouveau livre hors-commerce de Michel Kemper, Concerts de louanges, à paraître en fin juin 2019 : on le commande ici. Quant à Francesca Solleville, on la retrouve sur le précédent livre, qu’on commande là.

[1] Misère au Borinage (film muet de 1933), réalisé par Henri Storck et Joris Ivens. Longtemps interdit, ce film explore les conditions de vie difficiles des mineurs ainsi que l’exploitation ouvrière au Borinage (région belge wallonne).

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Une réponse à Bacchus, Toulis, Solleville : humour, amour et luttes

  1. jean Paul ACHARD 18 juin 2019 à 12 h 56 min

    Lien pour les photos que j’ai faites ce soir là
    http://achard.info/albums/190615-LaRicamarie.html

    Répondre

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