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Jean Baptiste Soulard, bulle de cristal

Jean-Baptiste Soulard © Hugues Anhes

Jean-Baptiste Soulard © Hugues Anhes

Jean-Baptiste Soulard, retenez bien ce nom. Vous l’avez peut-être connu dans le groupe Palatine, dont il était cofondateur avec Vincent Ehrhart-Devay, Adrien Deygas et Toma Milteau. Un rock folk voyageur mâtiné d’électro, dont l’album anglo-français, Grand Paon de nuit, mêlait Paris et les grands espaces américains.

Guitariste, compositeur pour le Théâtre, Jean-Baptiste Soulard a relu il y a deux ans le récit de Sylvain Tesson Dans les forêts de Sibérie (chez Gallimard, prix Médicis en 2011).  Récemment récompensé du prix Renaudot 2019 pour La panthère des neiges, Tesson est un écrivain aventurier qui a voyagé dans le monde entier, à pied, à vélo, à cheval, en toute autonomie, et tenté les expériences humaines et les expéditions les plus délicates. Et grimpé au sommet des cathédrales ou des maisons, jusqu’à une chute impressionnante qui lui a laissé quelques traces physiques sans entamer son goût du dépassement.

En 2010, il a vécu six mois en Sibérie, tel un ermite ou un survivaliste, dans une cabane près du lac Baïkal, à 120 km de la ville la plus proche, vivant de pêche, de marches, de lecture et d’écriture. « Je suis venu me rapprocher de ce que je ne connais pas. Le froid, le silence, l’espace, et  la solitude… ». Son récit a donné lieu à un documentaire, un film, une BD, et donc, par le truchement de Soulard, à cet album-concept.

A la première écoute de l’album, alors que je ne savais rien du roman et n’avais pas encore prêté attention aux paroles, j’étais déjà dans ce paysage ouaté, où tous les sons paraissent atténués, où la lumière est blanche, douce et faible, à l’abri sous les peaux de mouton dans une cabane en bois.

La voix soyeuse et chaleureuse de Jean-Baptiste en fusion avec celles, discrètement charmeuses, des chanteuses partenaires de l’album suffisent à dessiner le paysage. Ces femmes, absentes de la retraite de Sylvain Tesson, semblent des personnages mythiques, des muses prêtes à éclairer la solitude de l’ermite. Les textes, tous de Jean-Baptiste Soulard sauf celui d’Asile, peuvent être carnets de bord, objectifs, «J’ai préparé tous mes vivres /  pour mon Atlas, compté les 600 jours /  J’irai là bas au bord du lac / Tout prêt du grand Baïkal ». Mais bien plus souvent rêve et poésie. Bessa, la chanteuse méditerranéenne  prête sa voix d’enchanteresse aux deux premiers titres : « Sois le premier à me faire croire au chant des sirènes allongées ». Luciole, de son souffle limpide chante dans les voix contraires « vivre au nord, vivre perdus, vivre en héros / Et nous irons narguer les sirènes au bord de l’eau (…) vivre au pluriel, comme ces oiseaux ». Et c’est Jacinthe qui lui répond « Ils nous regardent, tous petits dieux de chair et de peau ». Achille, longtemps pianiste, est une autrice compositrice interprète qui fut voyageuse poétique de son album Iris – N’est-elle pas la messagère des dieux ?-, elle l’accompagne sur ce dernier titre, Respirer, de sa voix grave et douce : « Parvenir à décoller sans écarter les bras, réussir / Parvenir à respirer sans forcer la voix, je respire ».        

SOULARD 2020 Le silence et l'eauLe duo Isba tout en douceur avec Blick Bassy, le chanteur compositeur percussionniste camerounais, insiste sur la tranquillité de la cabane, refuge, asile pour l’homme qui y devient dans sa bulle l’enfant au sein de son liquide amniotique : « Isba je compte les jours, d’une main docile. Loin des heures, 9 m2 se faufilent, sous son toit tranquille ». L’ extraordinaire outro, improvisation en douala du Camerounais, s’intègre étonnamment dans sa chaleur et son âpreté, aux cordes, aux claviers et aux percussions, pour s’enchaîner suavement aux cordes pincées d’Asile. C’est à la deuxième écoute, en découvrant le texte de Sylvain Tesson lu par Raphaël Personnaz (qui incarne Tesson dans le film tiré du roman), que je m’aperçois qu’il décrit exactement ce que j’avais imaginé à l’écoute.

Cette expérience d’isolement volontaire résonne étrangement, aujourd’hui, avec la situation actuelle d’inquiétant  confinement qui nous est imposée. Ne peut-on tirer partie de ce passage difficile pour se poser de bonnes questions, tenter de renouer avec l’essentiel et le vital, pas seulement physique, mais surtout humain, spirituel : « Si on me demande pourquoi je suis venu m’enfermer ici, je répondrai que j’avais de la lecture en retard. » Être au seuil d’un rêve, mettre ses aspirations d’un monde moins futile en accord avec sa propre réalité, son espace naturel : « aligner nos actes avec nos idées (…) Pour fou une mésange, pour sujet nos souvenirs ». 

Le  merveilleux paysage sonore – dont au mitan un instrumental, Débâcle, charrie de ses touches les glaçons – densifie le temps. Saluons Jean-Baptiste Aubonnet au son et le beau violoncelle de Florent Chevallier. Le disque de onze courtes séquences ne dure qu’une demi-heure, alors qu’il nous fait voguer dans un autre univers, hors du temps et de l’espace : « Tout prêt de mon baïkal, dans ma station baïkonour. »  Il nous rend la conscience de nos forces intérieures cachées, de notre appartenance à la nature. Il nous baigne de sa  lumière, épure les toxines qui empoisonnent notre cerveau et notre corps, nous rend « libre, le Cerbère  de ses eaux glacées ». Il est aux albums de musique d’ambiance zen, abondants aux supermarchés, ce qu’est aux sardines en boîte le saumon vif remontant les rivières – et plus précisément cet omble chevalier qui fait l’objet d’une chanson, en duo avec JP Nataf . Dégustez.

 

Jean-Baptiste Soulard, Le silence et l’eau, Horizon 2020. La page facebook de Jean-Baptiste Soulard, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.

Ce concept est aussi un spectacle, avec Lisa Robert, à la chorégraphie, la danse et le chant, et Christophe Gendreau à la mise en scène. Nous ne savons pas en ce moment quand nous pourrons avoir le plaisir de le revoir sur scène. Il a cependant été programmé à Marseille au Festival Avec le temps, et à Vitrolles, juste avant que le Festival ne soit annulé.

Grand Baïkal
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Une réponse à Jean Baptiste Soulard, bulle de cristal

  1. Michel Kemper 23 mars 2020 à 20 h 47 min

    En attendant la livraison de l’album physique, reporté vu la situation de confinement, on peut écouter ce superbe album ici :
    https://www.youtube.com/watch?v=3_yIREdtC3M&list=OLAK5uy_muUr58jAYWVEx_3kWet8kmjuTWRdeDgFw
    NosEnchanteurs

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