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Chapeau, Monsieur Fersen ! (suite)

suite de l’entretien avec Thomas Fersen, par Pol de Groeve

 

 

36758855_10214873364095036_7650639817188835328_nNosEnchanteurs : Vous voudriez qu’on se souvienne de vos chansons, et pas de vous ?

THOMAS FERSEN. Je n’ai pas l’ambition qu’on se souvienne de moi. Mais qu’on continue à m’écouter ou me lire après ma mort, comme moi-même j’ai pu lire des auteurs disparus, dans une sorte de compagnonnage, là d’accord. Alimenter cette sorte de trésor commun et universel, que l’auditeur inconnu, qu’il soit né ou pas, pourra découvrir, là ça me fait plaisir. Mais qu’on se souvienne de moi en particulier m’importe peu. Après tout, le premier roman français, Le Roman de Renart, personne ne sait qui l’a écrit. Si mes chansons continuent à être chantées dans 100 ans, tant mieux pour les gens de cette époque-là. Mais moi… De toute façon, l’éventuelle postérité ne dépend pas de nous.

Vous écrivez donc de plus en plus de longs textes qui s’affranchissent du format chanson. Vous les interprétez sur scène mais le spectateur voudrait pouvoir en profiter aussi à domicile. Comment pensez-vous les transmettre ? Un disque est envisageable ?

Je pense plutôt les éditer en livre. Mais ce qui me ferait surtout plaisir, c’est qu’un comédien monte un spectacle avec ces écrits. Pour moi, ce serait un aboutissement qui me rendrait très heureux. Mais ce n’est pas encore envisageable : je n’en ai pas assez encore et surtout, ils ne sont pas construits pour former un ensemble cohérent.

Et un spectacle de vous où il n’y aurait que des textes parlés et pas de chansons ?

Non, ce ne serait pas possible car les gens qui viendraient me voir attendraient les chansons. Ils seraient déçus de ne m’entendre que réciter mes écrits.

Laisser-vous mûrir lentement  vos textes, avec un stock d’ébauches en cours d’écriture, ou êtes-vous du style à ne passer au texte suivant qu’après en avoir fini un ?

Parfois ça m’arrive de faire un texte d’une traite, dans la journée. Mais souvent, c’est plus long. Je travaille beaucoup et puis, j’abandonne temporairement, parce qu’après beaucoup d’acharnement,  je me rends compte que je suis sur une fausse route.  Du coup, je pars sur autre chose, tellement ce n’est plus drôle. Il faut que je m’amuse avant tout. Et puis un jour, je retombe dessus, avec un œil étranger d’une certaine façon, et là, j’ai des nouvelles idées qui m’arrivent, qui permettent de trouver une solution au blocage. Par exemple, la chanson Le phénix, sur le centenaire, il m’a fallu 10 ans pour en venir à bout.

Donc, pour répondre à la question que les gens se posent souvent, vous faites d’abord les paroles et puis la musique ?

Oui. Je pense qu’avoir d’abord le texte induit une certaine forme de chanson. Une chanson écrite sur une musique préexistante n’a pas la même forme, même si certains auteurs ont développé une habilité à faire rentrer un texte en français sur une musique existante et font même parfois de belles trouvailles. Moi, quand j’écris un texte, j’entends la musique qu’il appelle.

36948580_10214873356094836_800938527993888768_nPourtant, vous signez toutes vos chansons « paroles et musique ». Dans votre méthode de travail, puisque le texte est préécrit, pourquoi ne pas parfois le confier à un musicien qui se chargera de la partie musicale ?

Le résultat serait certainement étonnant. Mais comme j’écris en vers réguliers et en rimes généralement assez riches, le compositeur serait fort contraint, comme je le suis moi-même. Il serait obligé d’écouter le vers. Pas question de me le casser car souvent, l’humour de mes chansons vient de la rime et de l’esprit qu’il y a dans la rime et la forme. Si vous enlevez ça, si vous le détruisez en faisant les césures au mauvais endroit… Je suis très pointilleux sur ce sujet. Je refuse, par exemple, que dans le livret du CD, un quatrain soit coupé pour une question de mise en page. Le maquettiste qui me fait ça est prié de revoir sa copie ! C’est pas parce qu’il a un problème de mise en page qu’il va me couper mon texte n’importe où.

Certaines de vos chansons ont la même structure. Par exemple, dans l’album  Le Pavillons des fous, les 2 chansons Hyacinthe et Mon iguanodon sont bâties pareillement : des quatrains de 3 vers de 7 pieds suivi d’un vers de 5 pieds. C’est posé dès le départ ou alors ce sont les mots qui vous guident et vous poussent ?

Les octosyllabes, avec les alexandrins, sont les vers les plus répandus. Naturellement, on penche vers eux. Dans mon album Trois petits tours, quasiment toutes les chansons sont en octosyllabes (c’est Dominique A qui me l’a fait remarquer !). Alors, souvent, je me force à adopter une autre forme, à réécrire mon texte. Mais ce n’est pas facile parce que la longueur du vers induit le ton. Celui qui s‘exprime en alexandrin, c’est un autre personnage que celui qui parle en octosyllabe. Celui-là, c’est un personnage de rue, quelqu’un du peuple.  Celui qui s’exprime en alexandrin, c’est peut-être un personnage de rue, mais qui veut faire l’aristocrate ! Dès lors, les idées énoncées sous une forme ne fonctionnent pas forcément sous une autre forme.

Mais dans les deux cas, vous êtes adeptes de la rime riche.

Ce qui me plaît, c’est de faire parler des personnages populaires avec la rime la plus riche possible. Pour moi, c’est l’antagonisme français : le goût du château avec l’illusion d’avoir fait la révolution. Y’a qu’en France que ça existe, cette envie d’être riche mais sans oser le dire. J’aime traduire cette contradiction dans la forme de mes chansons, avec des gens du peuple qui s’expriment en rimes riches.

L’imaginaire est débordant dans votre œuvre. Il y a des sujets de chansons que personne d’autre que vous n’a jamais abordés.

On peut faire des chansons avec plein de choses. Mais là encore, ça me fait sortir du circuit. On se dit parfois « Mais qu’est-il raconte ? » et, du coup, on ne me demande pas de chansons, de peur que je leur sorte un truc comme La cabane de mon cochon. Surtout qu’il y a des a priori bizarres parfois. Ainsi, un chanteur m’avait demandé un texte, mais il me l’a refusé en fin de compte car il y avait un mot qu’il ne s’imaginait pas chanter. Le mot, c’était « champignon ». Pour lui, ce n’était pas un mot de chanteur ! La chanson est parfois un truc très limité. Ou plutôt qui s’autolimite. En dehors du pathos et du sentiment, pas d’issue. Moi ce style-là, ça ne m’intéresse pas tellement. Ça ne m’a d’ailleurs jamais attiré, même enfant ou adolescent.

Vous êtes clairement dans le créneau peu fréquenté de la chanson narrative.

Moi j’aime raconter des histoires. On me dit parfois que je fais des chansons pour les intellectuels. Mais c’est faux. Mes histoires sont simples. Je ne suis pas un universitaire qui a fait des études de lettres, je suis juste un autodidacte qui a beaucoup lu. Je fais des sous-entendus littéraires, c’est vrai, et je pratique très fort l’ellipse car j’aime ça. Cela suppose donc que l’auditeur fasse un petit effort d’imagination et devine ce que je n’ai pas dit explicitement. Mais c’est ça qui est marrant : comprendre ce qu’on dit sans le dire. Tout le sel est là !

Mais qu’est-ce qui se passe dans votre tête pour écrire une chanson sur un curé qui se baigne (Qui est ce baigneur, sur l’album The Ginger Accident) ?

C’est tout simplement une histoire vraie : un ami, rentrant aux petites heures d’une soirée, a vu quelqu’un qui se baignait dans la mer et a reconnu le curé de Lomeur. Ce qui était intéressant dans l’histoire, c’était d’imaginer ce curé qui, discrètement, allait au contact charnel avec les éléments. Ça avait un côté insolent et désobéissant, qui ne pouvait que me plaire !

Et Zaza, elle existe vraiment ?

Elle a existé, mais elle est morte à présent. C’était la chienne d’un copain, qui allait et venait librement, et qui un jour m’a suivi et est venue habiter chez moi durant trois jours, avant de retourner chez son maître. Elle avait un côté cabossé qui m’a inspiré.

Une autre source d’inspiration, ce sont les objets, comme le parapluie, très présent dans votre œuvre.

Le parapluie, c’est un objet très humain, qui est censé protéger des éléments. Esthétiquement, il est très intéressant aussi, par sa ressemblance avec une aile. C’est aussi un objet qui a de la personnalité, puisque socialement, il y a plusieurs formes de parapluie, pour les femmes, les hommes, les veuves… Toute cette humanité cachée dans les objets, ça me parle. Mais je me méfie à présent. J’ai écrit une histoire sur un parapluie oublié chez quelqu’un, mais je ne sais pas si je vais l’utiliser car je sens qu’on va me dire « oh, encore un truc avec un parapluie »…

Et pourquoi cette obsession du chapeau ? Votre dernier album est le seul dans lequel, sauf erreur, ne figure aucune chanson contenant le terme « chapeau ».

Notez que les cigarettes ont disparu de mes chansons, alors qu’elles étaient très présentes au début ! Un chapeau, comme un parapluie, c’est déjà quelqu’un ! Mais encore une fois, ce qui m’intéresse, c’est tout ce que les hommes mettent dans l’objet, l’esprit qu’ils y glissent quand ils le fabriquent ou qu’ils l’utilisent. Il y a cette histoire extraordinaire de Marcel Proust, qui a retrouvé le canapé de sa tante, qui était issue de la grande bourgeoisie, dans une maison close pour homosexuels ! Le destin de cet objet, c’est extraordinaire, non ?

L'album indispensable de Thomas Fersen

L’album indispensable de Thomas Fersen

Quand je veux faire découvrir Thomas Fersen à quelqu’un, je lui conseille toujours de commencer par l’album 4. Vous êtes d’accord avec mon choix ?

Totalement. J’ai eu la chance qu’on m’ait permis d’apprendre mon métier et de me développer, tout en travaillant déjà comme chanteur. On m’a fait confiance alors que j’étais encore à la maternelle, en quelque sorte. Il y a d’ailleurs des gens qui s’en rendaient compte à l’époque, qui disaient que c’était trop tôt pour me faire enregistrer un disque. Pourtant j’avais déjà 30 ans.

Mais c’est vrai que c’est un album important car c’est dans celui-là que j’ai trouvé des personnages qui ont ouvert la porte aux autres : Monsieur, la chauve-souris, Dugenou

Cela fait longtemps que je ne vous ai plus vu la chanter sur scène, celle-là.

Dugenou, je ne la chante plus depuis des années car je trouve qu’elle a un côté trop Souchon, trop Allô maman bobo, alors que moi, j’aime les personnages un peu coriaces. Mais c’est vrai que les gens l’aiment bien et me la réclament souvent. Je vais donc la remettre dans mon prochain spectacle, car c’est important aussi de faire plaisir à son public, qui vient avant tout pour entendre les chansons qu’il aime. C’est d’ailleurs pour cela que je me demande souvent si c’est bien utile d’encore faire des nouveaux disques : est-ce que les gens vont l’acheter et le découvrir, est-ce qu’ils ne sont pas suffisamment contents avec les anciennes chansons qu’ils apprécient ?

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