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Frasiak : chapeau bas !

Eric Frasiak (photos Catherine Cour, Barjac 2016)

Eric Frasiak (photos Catherine Cour, Barjac 2016)

Quand on lui refuse une chanson, Renaud la remet dans sa guitare. Georges Brassens aussi, et dare-dare, quand son public n’en veut pas. Romain Didier range ses chansons – les siennes et celles qui comptent pour lui – dans son piano noir. Frasiak, lui, c’est sous son chapeau, là où il y a « des fleuves de mots pour s’y baigner / du fer dans mon sang rouge drapeau / pour y forger nos amitiés… » Y’a du monde, y’a tout un monde, sous son chapeau, des pleurs et des joies, de la tendresse, de l’émotion, des colères, des révoltes. Comprenne qui peut, Frasiak ne travaille pas pour autant du chapeau : c’est même un des auteurs les plus sains qui soit. Ni escroc ni démago, il s’évertue à chanter la vie telle qu’elle est vécue, telle qu’elle est ressentie. Il fait partie de ceux, finalement pas si nombreux que ça, qui fixent notre époque en chansons, peut-être plus finement encore que le ferait un prétendu philosophe ou un possible historien.

CHANT’APPART À CARRY : FRASIAK DE BAR EN LOUP (DE MER) Grand salon non loin des flots bleus pour écouter Éric Frasiak, de retour au pays des vacances. Bleus le ciel et la mer, mais pas si Blues qu’à Bar-le-Duc, sa patrie d’adoption, d’origines encore plus à l’Est puisque ses parents viennent de Pologne. N’en profitez pas pour rajouter un Z à son patronyme, ni un K à son petit nom : ça le contrarie tant qu’il en a fait une chanson. À enseigner dans les écoles au chapitre Z du vocabulaire. Comme l’est déjà son tube T’étais pas né sur la vacuité de notre cybermonde virtuel. Convivial pour les spectateurs, mais session intimidante pour l’artiste sans la convention de la scène et  des lumières qui le protègent. Il y a longtemps qu’il ne s’est pas  retrouvé seul, sans clavier ni basse, avec ses deux guitares, une classique et une folk, nylon doux, métal rock. Son dernier album a été enregistré avec guitares,  percussions, nombreux cuivres de toutes sortes, cordes frottées et accordéon, tant sa musique s’est encore enrichie au fil du temps. Pourtant d’emblée il nous accroche en solo avec ce titre devenu confession plus intime encore : « Sous mon chapeau / Y’a tous ces vers qui prennent leur pied / A me bousculer les neurones / Qu’écrivent des trucs qui font chialer / Ou qui gueulent dans l’vent des cyclones ». Tout est là, le Frasiak tendre comme le révolté, un peu anar, un peu désabusé. Sa guitare sait sonner ou s’amortir en accords assourdis, poser de délicats arpèges, ses doigts font percussion, ses silences font rythme. Le contact se fait dès qu'il découpe ses Tranches de vie, les siennes, les nôtres, comme celle de François Béranger qui lui a donné l’envie de chanter. D’ailleurs, lui aussi donne envie d’applaudir, de chanter, de battre la mesure, même si, comme il nous le fait remarquer, chacun suit un peu son rythme !  Sa vie, c’est un papa qui conduisait un camion, parti trop tôt, dont le jardin où « tout c’qui pousse de travers » pourrait bien symboliser le monde actuel, où « Une des graines que t’as s’mé c’était moi » arrache des larmes. Une maman qui mettait en garde le petit rebelle, Tais toi, des frères, et une sœur qui habite tout près, à Marignane. Un monde où le travail avait valeur, avant que Mr boulot ne se tire. C’est une jeunesse un peu folk, un peu blues, où J’me traîne donne le la, entre bières et refrains, « caillou qu’la brume inonde ». Ce sont les « cheveux d’indien » partis trop tôt, eux aussi, « qui poussent à l’intérieur », une voix claire et chaude qui n’a pas pris une ride, des yeux bleus, « des épaules en oreiller », une grande silhouette habillée de noir « parce que ça affine ». C’est De l’amour dans l’air, de la Poésie, de la satire politique, et l’art de chanter joyeusement le drame du Migrant qu’il revit dans sa chair « Paix, y’a pas papa la paix… » comme un scat, ou le monde pas très COP21 sous un Bebop, on est où là ?  Un beau choix équilibré sur dix ans de chanson, un grand  bonheur d’humanité et de convivialité.  CATHERINE LAUGIER

CHANT’APPART À CARRY : FRASIAK DE BAR EN LOUP (DE MER)
Grand salon non loin des flots bleus pour écouter Éric Frasiak, de retour au pays des vacances. Bleus le ciel et la mer, mais pas si Blues qu’à Bar-le-Duc, sa patrie d’adoption, d’origines encore plus à l’Est puisque ses parents viennent de Pologne. N’en profitez pas pour rajouter un Z à son patronyme, ni un K à son petit nom : ça le contrarie tant qu’il en a fait une chanson. À enseigner dans les écoles au chapitre Z du vocabulaire. Comme l’est déjà son tube T’étais pas né sur la vacuité de notre cybermonde virtuel.
Convivial pour les spectateurs, mais session intimidante pour l’artiste sans la convention de la scène et des lumières qui le protègent. Il y a longtemps qu’il ne s’est pas retrouvé seul, sans clavier ni basse, avec ses deux guitares, une classique et une folk, nylon doux, métal rock. Son dernier album a été enregistré avec guitares, percussions, nombreux cuivres de toutes sortes, cordes frottées et accordéon, tant sa musique s’est encore enrichie au fil du temps.
Pourtant d’emblée il nous accroche en solo avec ce titre devenu confession plus intime encore : « Sous mon chapeau / Y’a tous ces vers qui prennent leur pied / A me bousculer les neurones / Qu’écrivent des trucs qui font chialer / Ou qui gueulent dans l’vent des cyclones ». Tout est là, le Frasiak tendre comme le révolté, un peu anar, un peu désabusé. Sa guitare sait sonner ou s’amortir en accords assourdis, poser de délicats arpèges, ses doigts font percussion, ses silences font rythme. Le contact se fait dès qu’il découpe ses Tranches de vie, les siennes, les nôtres, comme celle de François Béranger qui lui a donné l’envie de chanter. D’ailleurs, lui aussi donne envie d’applaudir, de chanter, de battre la mesure, même si, comme il nous le fait remarquer, chacun suit un peu son rythme !
Sa vie, c’est un papa qui conduisait un camion, parti trop tôt, dont le jardin où « tout c’qui pousse de travers » pourrait bien symboliser le monde actuel, où « une des graines que t’as s’mé c’était moi » arrache des larmes. Une maman qui mettait en garde le petit rebelle, Tais toi, des frères, et une sœur qui habite tout près, à Marignane. Un monde où le travail avait valeur, avant que Mr boulot ne se tire. C’est une jeunesse un peu folk, un peu blues, où J’me traîne donne le la, entre bières et refrains, « caillou qu’la brume inonde ». Ce sont les « cheveux d’indien » partis trop tôt, eux aussi, « qui poussent à l’intérieur », une voix claire et chaude qui n’a pas pris une ride, des yeux bleus, « des épaules en oreiller », une grande silhouette habillée de noir « parce que ça affine ». C’est De l’amour dans l’air, de la Poésie, de la satire politique, et l’art de chanter joyeusement le drame du Migrant qu’il revit dans sa chair « Paix, y’a pas papa la paix… » comme un scat, ou le monde pas très COP21 sous un Bebop, on est où là ?
Un beau choix équilibré sur dix ans de chanson, un grand bonheur d’humanité et de convivialité.
CATHERINE LAUGIER

A connaître le bonhomme et son œuvre, rien de ce que contient ce nouvel album ne nous surprend. Mais c’est sans doute son plus beau disque, le plus abouti, le plus puissant, le plus émouvant. Celui qui, à n’en pas douter, fait d’Éric Frasiak définitivement et sans discuter l’héritier de François Béranger (auquel il a déjà consacré une chanson et tout un album de reprises) : ça globule pareil dans les veines où le sang est porté à ébullition, même si, pas plus que Béranger, ses p’tites chansons ne sont tout à fait la révolution (va savoir par contre si elles ne seront pas reprises le jour où en déboulera une…) « mais dire les choses c’est déjà mieux que rien… »

Ce sont des fresques peintes aux couleurs de la souffrance, que ce soit sur les eaux assassines de la Méditerranée qui chaque jour engloutit son lot de réfugiés ou dans Colonie 6, nouveau goulag ; « C’est la Russie de Poutine / La nostalgie de Staline ». Avec le renfort de Jérémie Bossone, Frasiak nomme les espèces par leur nom : « C’est pas une espèce protégée / Y’a pas d’danger qu’elle disparaisse ». « Espèce[s] de cons » lancent-il à l’Homme qui génocide, vocifère, apartheide et terrorise « pour le pouvoir / pour un bout de terre ».

D’aucuns parleront de charges à propos de telles chansons ; moi je n’y vois qu’une sincère et talentueuse transcription de nos vies monotones et sans espoir, de la constante trahison des politiciens (le dernier titre, Cuisine politique, est sur l’actuel processus électoral qui nous mènera à la Présidentielle) et de la réalité d’un système économique sans issue : « Y’a qu’une seule cartouche d’encre noire / Dans mon stylo désarmé / Juste une plume trempée dans l’espoir / D’un monde de fraternité . »

Utile repos du guerrier, une chanson, une seule, fait oasis dans la morosité et la privation : « Jarretelles tendues sur sa peau blanche / Elle m’invite à rompre le jeûne… » Et une autre encore, sur son papa, parti…

Jamais les musiques de Frasiak (redoutables musiciens au générique) n’ont autant servi les textes, intimement, sans surligner inutilement ni surjouer. Mais à l’unisson des mots, trouvant chaque fois l’équivalent des émotions et des colères.

pochettechapeauIl y a quelques décennies, Lavilliers a beaucoup chanté – et en conséquence marqué – les villes de l’Est, celles dont invariablement le nom finit par « ange ». Les villes et leur désindustrialisation. Mais c’est peut-être celle-ci de Frasiak, Une ville de l’Est, qui remporte la palme, sans doute parce que Frasiak est plus impliqué encore, parce qu’il est fait du sang, de la chair et des éléments de cette région, de cet acier : « Tout s’en va, moi je reste / C’est plus fort que tu crois, une ville de l’Est / Ça n’abandonne pas, une ville de l’Est / Ça ne s’explique pas ».

Pas besoin d’explications à ce disque (son sixième album studio) passionnant d’un bout à l’autre, pièce prépondérante d’au moins tout amateur de chanson. Signalons aussi qu’il y a quelques mois, Frasiak a sorti un DVD intitulé Tournée Sous mon chapeau (il y a de la constance dans le couvre-chef…) qui éventait quelques titres de ce nouvel album. – Michel Kemper

 

Connaissez vous les concerts en appartement ? Par l’intermédiaire d’une association, ici Vous prendrez bien une chanson, avec la MJC de Venelles, une série de quatre concerts a été organisée en Provence pour accueillir Frasiak, vingtième artiste de cette formule, à Carry le Rouet, Le Val, Miramas et Venelles par « Chansons d’hôtes », créée en 2009, rebaptisée et labellisée « Chant Appart PACA » depuis trois ans. Par ailleurs, depuis l’automne 2003, la Maison des Jeunes et de la Culture de Venelles propose chaque mois un concert de chanson française. 
Afin de pérenniser cette formule, de développer les premières parties et de mettre en place des résidences d’artistes, la MJC (reconnue d’intérêt public) de Venelles fait appel aux dons, donnant droit à déduction fiscale. – Catherine Laugier Tous renseignements ici.

 

Frasiak, Sous mon chapeau, Crocodile studio 2016. Le site d’Éric Frasiak, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

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7 Réponses à Frasiak : chapeau bas !

  1. Nardino Alain 12 décembre 2016 à 9 h 59 min

    Je ne peux que confirmer et approuver le contenu de cette chronique , pour avoir rencontré Eric l’an dernier et avoir eu le plaisir de l’écouter dans le chaleureux contexte d’un de ces « concerts à la maison » que nous affectionnons tous les deux (un chouette lieu, où j’ai pu chanter à deux reprises dans les mois qui ont suivi) ; non seulement son récital avait été un vrai bonheur (déjà à ce moment là nous avions eu droit à quelques chansons de ce nouvel album, et puis en fin de concert, quelques morceaux choisis de Béranger qui nous ont permis de chanter avec l’artiste ) mais l’après-concert avait été un enchantement; peu de mots échangés mais des mots vrais, sincères … Oui, chapeau bas à l’un de nos artisans en chansons préférés.

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  2. Odile 12 décembre 2016 à 10 h 24 min

    Magnifique!
    Je viens de regarder sur son agenda, si il revient chez nous!
    Il me faudra attendre le mois de Mars.
    Merci Michel pour ce bel article.

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  3. Francette Colin Chapelle 12 décembre 2016 à 10 h 37 min

    (commentaire publié sur facebook)

    Avant même de recevoir tant d’éloges, Eric, tu savais bien au fond de toi que cet album était le meilleur !!!

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  4. Jean Pierre Gleize Bourras 12 décembre 2016 à 13 h 48 min

    Quelle année pour Eric, il a eu l’honneur de la dernière émission de Philippe Meyer avec « Monsieur Boulot »,il a chanté au débotté, pour rendre service, et « en tong » à Barjac , et tous cela « Sous son Chapeau ».
    Il est toujours disponible pour répondre avec gentillesse a une petite Radio Bretonne.
    Qui ne lui en veut pas de chanter : »Il pleut sur mes chansons au Festival Breton ».
    Ses plus proches date en 2017 sont à quelques kilomètres de Nantes et dans les Cotes d’Armor.
    Bretons du Finistère qui me lisez!!!
    Eric attends de nos nouvelles???

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  5. Pol de Groeve 12 décembre 2016 à 17 h 51 min

    Juste un truc : Renaud, ses chansons refusées, c’est pas dans sa guitare qu’il les remet (ou alors, seulement au pire !), mais dans sa culotte. Comme on dit, les amateurs auront rectifié d’eux-mêmes…

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  6. corinne 12 décembre 2016 à 19 h 28 min

    que de beaux articles élogieux mais tellement justes car oui cet album est le meilleur d’éric – et éric je le connais depuis … quelques dizaines d’années ! il chantait déjà au début des années 80 et déjà on programmait « hotel complet » dans notre radio « libre » – on s’est perdus de vue et retrouvés grâce à une critique de Fred Hidalgo sur « parlons nous » ! et son premier passage à la Mj de Venelles ! Sous mon chapeau est magistralement mené ! je ne me lasse pas de l’écouter – bravo Eric !!

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  7. christian valmory 13 décembre 2016 à 14 h 18 min

    quel bel et bon commentaire sur ce bel et bon artisan de la chanson que nous voyons tracer son chemin avec persévérance et amour du travail bien fait.
    merci à lui d’exister;

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