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Ce qui nous vient de Jacques Bertin

Jacques Bertin (photo Ouest-France)

Jacques Bertin (photo Ouest-France)

Plus que jamais à la marge de l’air du temps, indémodable donc, à jamais intemporel. N’a-t-il pas dit jadis : « Je n’ai pas besoin d’être moderne pour être contem-porain »… Jacques Bertin est depuis toujours un chanteur à part, qu’on ignore superbement ou qu’on adule. À ses débuts il fut effectivement encensé par une partie de la presse. À croire que la presse a depuis bien changé, que des ignares ont succédé aux érudits, toujours est-il que ce 29e album (en 52 ans) ne devrait pas, c’est dommage, faire couler beaucoup d’encre ou faire frissonner les claviers…

Quinze titres dont l’intitulé est souvent long comme un jour sans pain, tel À force de solitude j’ai acquis l’art de la mer ou encore Le jour baisse ; la pluie, à la clarté des lampes. D’une poésie immédiate, de grande simplicité, de proximité, tant qu’on pourrait croire que ça n’en est pas. Comme dans celle qui ouvre ce nouvel opus, Fini, le bistrot à Dédé, qui peut aussi s’écouter comme on lirait un reportage sensible sur la désertification rurale.

On ne parlera pas ici de mélancolie même si l’accompagnement musical la suggère, là étant peut-être la limite des notes, de ce qu’elles peuvent traduire ou non. Ce que nous chante Bertin est plus que désenchanté. Le chanteur traduit en mots la grisaille de notre temps, d’une société qui sombre plus encore à chaque pas, chaque loi, chaque reniement.

cd BertinOn dira que chaque musique ressemble à la précédente, à la suivante, raccord et faite de peu d’accords. Ce n’est peut-être pas vrai mais en donne la singulière impression. Étrange mélopée sans mélodie, aux vertus hypnotiques, qui porte la plainte d’un monde désajusté de toute dignité, absent de toute humanité. C’est notre misère coutumière, notre grogne quotidienne que Bertin chante en continu, 50 minutes durant. De quoi nous plomber en toute logique. Et pourtant on entre dans cette plainte, en ce débit qui jamais ne fait crédit, lent, en retrait de tout sentiment, sans relief. Hypnotique, j’insiste. Tant qu’on a l’impression, je ne saurais vous dire en quoi, de côtoyer l’épure qui s’accouple à la beauté. L’étreinte est étrange mais séduisante.

Au mitan de cet album, on aimera – mais ce n’est pas nouveau – en Bertin ses fidélités. A la poésie, c’est certain : il convoque à ses côtés celle de François Porché, de Lucien Massion aussi. Et Le petit bal perdu de Robert Nyel, jadis créé par Bourvil, enregistrement dû à un hasard, une opportunité de studio. Fidélité à ses amis : il chante le souvenir des Vasca, Juvin, Brua et Elbaz (Adieu, amis de ma jeunesse, qui figurait sur le disque, aujourd’hui épuisé, La bande des cinq) ; à des amies programmatrices et aux animateurs de l’Éducation populaire, et c’est tout Bertin ça.

On remarquera aussi la pochette de ce disque, portrait où s’estompe Bertin : le visage y prend la couleur de l’automne, soleil couchant, contre-jour, les arbres se préparent à l’hiver…

 

Jacques Bertin, Ce qui reste ce qui vient, Disques Velen 2019. Le site de Jacques Bertin, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

Les 10, 11 et 12 janvier 2020 au Forum Léo Ferré à Ivry.

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4 Réponses à Ce qui nous vient de Jacques Bertin

  1. Gallet 16 novembre 2019 à 9 h 17 min

    J’apprécie ton article et le partage, sauf, peut-être, quand tu évoques une absence de mélodies. Elles existent, belles et bien. Sûr,l ‘accompagnement est très sobre ! mais on a de quoi faire avec les mots…Je partage sa « grogne quotidienne », depuis bien longtemps. J’ai vieilli avec ses chansons et y reviens. Impression aussi de mieux comprendre sa solitude et de la partager, encore. Donc solitude… relative !
    L’état du monde et celui de la chanson ne sont pas drôles… mais J.Bertin peut souvent l’être, peut-être davantage dans ce dernier disque…sombre…

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  2. Tocade 17 novembre 2019 à 17 h 52 min

    Un nouveau disque avec sur certains titres un style plus ´parlé’ mais encore des textes merveilleux de poésie , un peu comme des mélopées dans la suite de titres plus anciens comme « à la
    pointe nue de l’averse » des tous premiers disques ou « ils s’allongent côte à côte «  un peu plus tard et tant d’autres…quelle œuvre! Et la source n’est pas tarie…

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  3. Joël Luguern 18 novembre 2019 à 13 h 02 min

    Solitaire, Jacques Bertin ?
    C’est certain. Il ne dira probablement pas le contraire. Mais tout son parcours politique, journalistique et même bien souvent artistique le prouve: c’est un solitaire solidaire.
    Son intérêt pour autrui n’est pas feint.

    « Le mal du monde est mon tourment » dit-il dans sa chanson « Comme si… comme si… ».
    Qui, à part peut-être Victor Hugo, aura, mieux que lui, défini en si peu de mots et d’aussi belle façon son intérêt et son souci de l’autre, des autres, de ceux qui l’entourent, qu’ils soient dans sa ville ou beaucoup plus loin, au Chili par exemple?

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  4. André Robert 25 novembre 2019 à 16 h 18 min

    Je le dis sans vouloir contrarier qui que ce soit, j’ai rarement pu aller au bout de l’écoute des chansons de Jacques Bertin.
    Si j’admire le poète et reconnais la profondeur des textes, j’ai trop de mal avec la musique.

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