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Angélique Ionatos, 1954-2021

Angélique Ionatos (photo Anne-Marie Panigada)

Angélique Ionatos (photo Anne-Marie Panigada)

Il est des gens, entre autres des artistes, à qui ça ne nous viendrait pas d’associer l’idée de la mort, de l’imaginer. Angélique Ionatos est de ceux-là… Intemporelle, forcément immortelle, sociétaire perpétuelle de l’Olympe des poètes qu’elle ne pouvait qu’être… « J’ai habité un pays surgissant de l’autre, le vrai. Avec le temps je le mettais sans cesse à l’épreuve. Alors je me suis mis à broder des mots… »

C’est ainsi qu’elle nous est arrivée, en 1969, d’abord en Belgique. Elle venait de quitter, à quinze ans, la Grèce des colonels. Trois ans plus tard, elle rejoint la France où elle enregistre un premier album, Résurrection, avec son frère Photis, 33 tours récompensé d’un prix de l’Académie du disque Charles-Cros : un cri de révolte adolescent. Des textes d’eux, et déjà quelques poètes. Le second, introuvable depuis longtemps, est entièrement en français, sur des textes d’un poète liégeois. Très vite, elle ressent l’impérieuse nécessité de renouer avec sa langue maternelle et met en musique de nombreux poètes contemporains grecs (qu’elle a tous connus), à l’exception d’une femme, Sappho de Mytilène, née au VIe siècle avant notre ère, qu’elle met en musique en grec ancien et en grec moderne. Les acquéreurs de ses nombreux albums avaient l’avantage des traductions imprimées sur les livrets. Pas sûr qu’ils les aient lues. Car la voix d’Angélique Ionatos est elle même poésie, superbe, qui vous prend, vous enserre dans ses vers, dans la richesse de ses tonalités. C’est comme un rêve musical emprunté à l’Histoire d’un pays, d’une culture et de ses poètes, d’une femme qui ne pouvait être que marquise. Marquise des anges, indomptée Angélique.

Angélique Ionatos composera aussi sur des textes de la Mexicaine Frida Khalo et sur quelques uns des cent sonnets d’amour de Pablo Neruda.

Grecque, sans jamais en utiliser le moindre instrument traditionnel, certes très appréciée de la diaspora, mais insolite aux oreilles des habitants de son pays d’origine : « Je suis étrange dans mes musiques parce que je suis le résultat de mon itinéraire, nourrie que je suis aussi bien par les Beatles que par la chanson française, la musique répétitive ou le classique, par Atahualpa Yupanqui ou par le flamenco. Et ça donne une musique qui ne leur est pas familière. Qui les étonne ». Si elle a de grands fans en Grèce, elle y a aussi de grands détracteurs…

Angélique Ionatos est femme résolue qui, si elle se posait la question de savoir qui elle était, savait parfaitement ce qu’elle voulait, changeant pratiquement tout à chaque disque. Tant que le code était mal barré : si on l’a étiquetée « world music » ce fut sans réelle conviction.

Sa discographie est composée de vingt albums, dont deux compilations. Sa Chanson de révoltes et d’amour, son « étrange et belle patrie », la beauté de son chant, de sa voix, resteront longtemps, ou c’est à ne plus rien comprendre, dans nos mémoires. Rien de que l’avoir entendue, mieux encore, vue, et c’est à jamais, gravée à cœur, émotion pure.

Depuis trois ans, Angélique Ionatos résidait en Ehpad : c’est là qu’elle est décédée aujourd’hui.

 

Hommage par Michel Kemper, avec l’aide de Catherine Laugier, Anne-Marie Panigada et Robert Migliorini (les propos entre guillemets sont tirés d’un entretien en juillet 2005 avec l’auteur de cet article)

 

 

Angélique Ionatos au Triton, aux Lilas

Jean Pierre Vivante, fondateur du Triton, scène des musiques présentes, ouvert depuis 2000 aux Lilas en région parisienne, a été un des premiers à partager son émotion à l’annonce du décès d’Angélique Ionatos. « L’immense artiste, l’incroyable chanteuse, guitariste, musicienne, compositrice, la femme libre, lumineuse, drôle et grave, la marraine du Triton, notre compagnonne de la première heure, mon amie chère » écrit-il sur les réseaux sociaux. L’artiste, rappelle-t-il, avait toujours été aux côtés des responsables de ce lieu dédié aux nouvelles pratiques, résidences et créations. « En 2007, Angélique Ionatos entamait une nouvelle et fructueuse collaboration avec la chanteuse et guitariste Katerina Fotinaki. Aussi, durant 15 ans, Angélique Ionatos a été également artiste associée au Théâtre de Sartrouville. La plupart de ses créations y seront coproduites et présentées au Théâtre de la Ville à Paris ». Parmi les outils promus par Le Triton figure depuis janvier 2015 une web TV riche en documentaires, interviews d’artistes, reportages sur les coulisses du Triton et concerts. Parmi les pépites de cette web TV figurent le concert avec son complice musical Henri Agnel et le multi-instrumentiste et percussionniste Idriss Agnel. Par ailleurs on y retrouve un entretien évoquant en 2015 la situation de la Grèce le pays natal Angelikí Ionátou (Angélique Ionatos). « Le rôle d’un artiste est de témoigner de son temps », tels sont les premiers mots d’un entretien où s’impose sa voix unique et où elle partage sa colère légitime. On rappellera encore, mentionne Jean-Pierre Vivante, la musique écrite pour la dernière œuvre, « Le prince heureux », conte musical, opéra, d’après Oscar Wilde. Sans oublier l’évocation de Frida Kahlo (Alas Pa’Volar) sur des musiques de Christian Boissel. Et l’album qui avait révélé à un large public l’univers d’Angélique Ionatos, « Sappho de Mytilène » (1991), réalisé avec la chanteuse Nena Venetsanou, consacré aux vers de la poétesse de l’Antiquité grecque, couronné par l’Académie Charles-Cros. ROBERT MIGLIORINI

La page Angélique Ionatos sur la site du Triton, c’est ici.

 

« Ο Ήλιος ο ηλιάτορας – Hymne au soleil » : Image de prévisualisation YouTube

« Courage » : Image de prévisualisation YouTube

« Mon Paris » de Claude Nougaro : Image de prévisualisation YouTube

Interview Angélique Ionatos au Triton : Image de prévisualisation YouTube

11 Réponses à Angélique Ionatos, 1954-2021

  1. Martine Scozzesi 8 juillet 2021 à 8 h 45 min

    Merci Michel Kemper pour ce bel hommage. Combien j aime cette artiste. Je me sens bien triste.

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  2. François Le Méner 8 juillet 2021 à 8 h 46 min

    Ému de cette triste nouvelle, Angélique Ionatos avait ce don de marier la musique et la poésie mettant en avant ses racines grecques. Une belle artiste disparaît.

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  3. babou 8 juillet 2021 à 9 h 30 min

    Infiniment triste. Inoubliable concert à Barjac il y a quelques années. Angélique, la voix des anges…

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  4. Elisabeth Marie 8 juillet 2021 à 10 h 11 min

    Merci. Quelle tristesse… Je savais qu’elle allait mal, qu’elle ne mangeait plus depuis un temps très long… Mon dernier grand souvenir à Avignon avec Katerina Fotinaki… Morte en Ephad…

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  5. Maï 8 juillet 2021 à 10 h 39 min

    Merci Michel Kemper pour cet article qui decrit si bien cette femme et artiste exceptionnelle… oui vraiment pour moi un être d’exception…voire un ange descendu parmi nous

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  6. Georges Cuffi 8 juillet 2021 à 11 h 19 min

    Très bel article exhaustif Michel… Encore une belle artiste envolée…

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    • Michel Kemper 8 juillet 2021 à 12 h 41 min

      J’avais eu le chance de faire un long entretien avec Angélique Ionatos il y a seize ans de cela (déjà…) où elle me déroulait toute sa vie… J’aime beaucoup cette dame. Pour moi c’est la beauté faite femme, faite art, faite chanson…

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  7. Natasha Bezriche 8 juillet 2021 à 14 h 34 min

    Elle me manque déjà et, surtout, elle va manquer à l’univers de la chanson et des poètes !!! Nous étions amies depuis plus de trente ans !!! On avait partagé trois scènes ensemble (à la Ste Baume, au Forum des halles puis au théâtre de l’Européen). De très beaux souvenirs… Nos deux voix du sud, ensemble, c’était vraiment bien !! Condoléances à Alexis, son fils, et à tous ses proches !

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  8. Véronique Merveille 9 juillet 2021 à 9 h 29 min

    Merci Michel pour cet hommage. Quelle femme, quelle artiste, quelle force. Sa musique, sa voix m’ont tant accompagnée. Oui, elle faisait partie de ces personnes que l’on pense immortelles… et… non…

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  9. Jacques Ferret 9 juillet 2021 à 9 h 47 min

    Il faut se rappeler que Costa Gavras venait juste de terminer son film « Z » quand il a accueilli Angélique. Ajoutons, pour ceux, trop jeunes, que Z traite justement du régime des colonels en Grèce et que Mikis Théodorakis avait fait la musique du film. Film événement, pour la première fois les spectateurs applaudissaient à la fin de la projection. Angélique, Costa, Mikis et Mélina Merkouri étaient tous de la même trempe, de ceux qui défendent partout et de belle manière la liberté…

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  10. MI-MAZE 13 août 2021 à 17 h 33 min

    Oh NON !!!… J’ignorais le décès d’Angélique Ionatos, artiste et femme à qui je voue une admiration sans borne…
    Merci pour ce bel article et les hommages rendus.
    Ils font remonter à ma mémoire quelques concerts parfaits, enchanteurs ; J’ai 80 ans….et j’ai eu le grand bonheur de suivre, de VOIR et d’entendre sur scène, ces « grecs » chantant leur terre et les incroyables et dramatiques récits du temps des colonels (Théodorakis, Maria Farantouri etc.)
    Mais aujourd’hui, c’est Angélique que je pleure…Je vais me replonger dans ses chants, sa poésie !
    (Sait-on si elle était malade et de quoi elle est morte ? )

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