Alissa Wenz, voleuse d’ambiances
Alissa Wenz (photo © Chloé Vollmer-Lo)
Elle est de cette rentrée littéraire, par la sortie de son troisième roman, Le Désir dans la cage, publié aux éditions Les Avrils. Elle est aussi de cette rentrée chanson, par ce nouvel album, Voleuse, son quatrième, chez EPM. L’année est fructueuse pour Alissa Wenz, qu’on a vu il y a peu à l’Olympia, avec Les Goguettes en trio mais à quatre, puis sur la scène du Café de la Danse, en première partie de Jean Guidoni. Là, elle a pu éventer quelques-uns des titres de cet album qui vient tout juste de sortir. Superbe disque que celui-ci : rien que le visuel donne le goût, en donne le ton. Mais pas l’heure : l’horloge est sans aiguilles.
Au moment où, pour la chanson qui a accès en radios et télés, les chanteuses se ressemblent à tel point qu’on finit par les confondre dans leur inaudibilité, bien souvent leur inconsistance, Alissa Wenz est de celles qui font rempart et nous rassurent, nous consolent.
Si un de nos confrères de la presse national voyait en Alissa Wenz « un petit quelque chose de Barbara », nous y verrons pour notre part un grand quelque chose de Juliette Gréco tant dans l’intonation que par la préciosité du chant. De Gréco, aussi de Juliette, de Sylvestre, de Barbara, de celles singulières qui impriment durablement la chanson. Enfin, de la chanson… parfois d’un rendu entre chanson et narration, tant il est vrai qu’elle est tout autant chanteuse que récitante, dans une lointaine proximité avec le slam.
Douze titres, qui ne sont que succession de situations, d’ambiances, courts-métrages qui en valent des longs, dans une focale cinématographique, et pas uniquement dans cette évocation de Musidora, la voleuse, « combinaison moulante et cagoule serrée / Toute gainée de noir et la jambe acérée », dans « un film ancien, dix-neuf cent quinze je crois / Au temps du cinéma sans couleurs et sans voix ». Autres filous, ces Voleurs de feu « voyous brigands bandits de grand festin » qui s’inventent « un royaume clandestin ». L’empathie est en chaque titre, parfois avec des pleurs : « Gouttes de coeur / Saule pleureur / Branches nues / Si vous saviez / Tout ce qu’on a tu ». Sa bio parle d’« une voix, une fièvre, des chansons qui cherchent leur chemin de tendresse dans un monde toujours plus opaque ». Et nous chaque fois de plonger corps et âme dans ces scénarios, ces dramaturgies, « cruauté sociale et révolte intime », ces descriptions réalistes, ces formules infiniment touchantes.
Si cet album sera pour certains une intéressante et prometteuse découverte, Alissa Wenz n’est pas pour autant une inconnue. Son premier album est sorti en 2019, enregistrement public d’un concert au Forum Léo-Ferré. Le second, Je, tu, elle, est paru en 2022 à l’enseigne d’EPM. L’année suivante, ce fut la sortie, toujours chez EPM, de l’enregistrement public de Je pense encore à vous, spectacle partagé avec son complice Olivier Philippson. Que l’on retrouve sur ce nouvel album en tant qu’arrangeur, directeur artistique et musicien, aux guitares, basse, accordéon et célesta. D’autres musiciens complètent l’effectif, aux percussions, saxophones, trombone, alto et violoncelle.
-Michel KEMPER
Respectant la parité jusqu’au bout, voici ma vision de cet album qui m’a enchantée…
Voleuse, c’est peut-être Musidora, qui vole ce à quoi elle aurait droit mais qui lui a été refusé « Dans ce monde en folie que l’angoisse dévore / Dans ce monde arraché où je pleure mes morts ». Ou, au masculin, ces « Voleurs de feu », originale façon de parler des gosses des quartiers.
Les courts-métrages d’Alissa, qui n’oublie pas qu’elle a étudié à la FEMIS, répondent à ses livres : lettrée, elle est aussi une fine observatrice des absurdités de notre monde, et si sa vision est féministe, elle est avant tout humaniste, prête à dénoncer toutes les injustices : violences policières – Ulysse, le prof de philo accusé à tort d’avoir mis le feu à une poubelle, gardé à vue 36 h, alors que les flics reconnaissant qu’ils se sont trompés, maintiennent pourtant la sanction « On ne va pas te rayer / Maintenant tu es fiché ». Un fait divers réel « On dit aussi gardien de la paix / Un nom si doux ».
Violences familiales, conjugales, et notre indifférence ou notre peur : « Qu’est-ce que tu fais » ; emprise patriarcale, pouvant aller jusqu’à l’agression sexuelle : « ça fait combien de temps » que l’homme prend toute la place, jusqu’à prendre un corps soumis…
Vivants fait liste de toutes les atteintes à la liberté, à la beauté, à la tendresse, les aberrations de notre société déshumanisée ne fonctionnant qu’à l’argent.
Stéréotypes de genre : « T’as le droit » de pleurer, toi l’enfant, toi l’homme « Soyez doux / Si vous saviez / Toute l’eau qui est en nous ».
S’il fallait une inspiratrice, ce serait d’abord Anne Sylvestre, « J’ai tellement / fait la femme et j’ai voulu vous plaire » raconte le sort d’une sorcière comme les autres, et La grande famille est celle des sensibles, des fragiles, des tremblants devant la menace, la violence du monde, celle des gens qui doutent. Ceux qui disent « Pardon » quand on leur marche sur les pieds. Elle-même n’a « pas d’billet, [ne]connai[t] pas la destination », s’étonnant des « gens des gares » guidés par des écrans et des machines, mais qui semblent savoir où ils vont. Pour autant Alissa ne copie personne, son écriture, son style sont bien trop originaux ; si elle dénonce franchement de sa voix douce et ferme, parlant, chantant, sur les riches arrangements concoctés avec Olivier Philippson sur de vrais instruments d’excellents musiciens, elle manie l’humour comme personne, et sait aussi nous faire réagir, prendre la « Rue du départ » vers l’amour, vers la joie.
- Catherine LAUGIER
Concert de sortie d’album ce 10 octobre 2025 à Paris, aux Trois Baudets.
Le site d’Alissa Wenz, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
Pas encore de vidéo correspondant à ce nouvel album. Par défaut, une vidéo captée l’an passé par notre confrère Hexagone, « Le Square de Clignancourt » :
Et les versions audio de « Vivants » 
et de « Rue du départ » 




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