Julien Clerc, la vie est une danse
Dans ce vingt-huitième album, l’accent est mis non sur la nostalgie, mais sur une certaine mélancolie heureuse. La voix se brise quelquefois, le vibrato s’accentue, pas seulement avec l’âge, mais surtout avec l’émotion : les sujets peuvent être graves, voire tragiques, mais Julien Clerc a voulu qu’ils se chantent sur des mélodies joyeuses. Même s’il garde une allure de jeune homme et semble éternel, il ne chante pas à cet âge comme à vingt ans, moins d’insouciance mais plus de confiance aussi peut-être, les bonheurs et les épreuves d’une vie. Ayant définitivement renoncé à écrire ses propres textes, comme à confier l’ensemble de ses albums à un seul auteur, dont la personnalité pourrait dissimuler la sienne – tout en contrastes, lui-même avouant côtés sombres comme lumineux – il invite, pour chaque sujet qu’il a choisi d’évoquer, l’auteur qui lui semble le plus à même d’exprimer son propre ressenti, en lui laissant carte blanche.
Benjamin Biolay a réalisé l’album, confiant même à l’interprète une chanson paroles et musique qui le clôt, Mes nuits en centre-ville, où ressort son empreinte. Pour autant Julien Clerc y rajoute son âme, et l’on frémit à écouter « J’ai envie d’aviation / Où tout survole ». Chanson étonnamment lente pour relater la ville moderne, mais plus sa solitude que sa précipitation : « Dans le ventre de la ville rien ne presse (…) Je voudrais que le bleu reste indélébile ». Blues final.
Mais à tout Seigneur tout honneur, l’album démarre avec le duo d’auteur-compositeur du siècle, enfin du demi-siècle passé, Serge Lama et Julien Clerc. Serge, pour la première fois auteur pour Julien, et qui en était intimidé. La modestie des plus grands.
Cet En serais-je moins fou de toi est une réussite de belle écriture classique, interrogeant le sens du monde tout en soulignant que l’amour sauve de tout même quand on perd ses illusions, même en sachant que « vivre n’est rien qu’un rêve / A peine une minute brève », sur ses accords de cordes suspendus. On a envie de tourner sur cette valse lente, comme le compagnon d’Agnès Lassalle fait tourner le fantôme de sa compagne « quelques pas de danse à titre posthume / La vie se rallume » sur les mots sensibles de Paul Ecole « Dans ses bras il tient l’absence / Son bel amour qu’on a ravi / Il tourne, il tourne et il danse / Et c’est encore de la vie » . Qui détient le record d’émotion sur l’album, avec cette autre chanson sur un vieil homme qui oublie tout, mais qui « sait que dans les yeux noirs / de celle qui vient tous les soirs / il y a une larme qui tremble / et un reflet qui lui ressemble ». À Paul encore est dû cet hommage délicat au frère de Julien, le journaliste Gérard Leclerc mort accidentellement en avion « Nous n’avons pas eu la même boussole / J’étais sur les planches et toi vers Éole ». Des ailes très présentes dans l’album, dans les rêves de Julien, avec les mots de David Mc Neil pour ce Drôle d’oiseau : « Mais moi, je rêvais d’être un cerf-volant / De déployer mes ailes au vent / Fou de Bassan ou cormoran »
La vie n’est faite que de rencontres, ne vaut d’être vécue que pour elles : l’amour d’un père pour sa fille, qui lui prête son épaule après un premier chagrin d’amour (Un père c’est fait pour ça, de Barbelivien), qui tient au-delà de l’oubli, pour un frère, ou pour un chien un peu fou (Duke, de Biolay). L’amour tout court, qui vous donne un Avenir qui « en fait est un tout, et s’écroule sans l’un d’entre nous ». Les mots de Gaëtan Roussel « Une minute juste toi et moi », percutent ceux de Carla Bruni, plus joyeux « Toi et moi », comme une ritournelle « quand je sens monter la joie de l’enfance comme autrefois ». On peut penser que Julien Clerc a en tête la séparation de ses parents, la fin de ses propres amours (souvenez-vous de Souffrir par toi n’est pas souffrir…), mais s’émerveille toujours de « Cet éclair dans ton regard / Qui fait jaillir le bleu du noir », mots trouvés par Lama, qu’il fait danser sur un air de Boogie. La vie est une danse.
Julien Clerc, Une vie , Warner Musique France, Parlophone 2025. Le site de Julien Clerc, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. En tournée de concerts dès février 2026, à l’Arena Paris pour ses 80 ans le 9 octobre 2027.
« En serais-je moins fou de toi »
« Saint-Nazaire »
« Les yeux noirs »
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