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Pascal Mathieu, 1961-2025

Pascal Mathieu

Pascal Mathieu (photo Ici Radio-France)

On ne tarira pas d’éloges à l’évocation de Pascal Mathieu qui vient de nous quitter à l’âge de 64 ans. N’empêche, il fut parmi les plus inconnus des artistes talentueux. Son décès lui offrira un sursaut d’audience, fera naître le regret de ne pas l’avoir connu plus tôt, de ne pas l’avoir vu en scène. A ce « magnifique auteur » (dixit son ami et complice Romain Didier, avec qui il a partagé aussi « des soirées, des bières, des vacances, de l’amitié et des fou rires »), on osera, par la qualité de ses textes, des comparaisons parmi les plus flatteuses : on parlera entre autres de Leprest et ce n’est pas un vain mot. Outre ses propres albums qu’il nous faut redécouvrir, on retrouvera le nom de Pascal Mathieu sur des disques d’autrui : de Romain Didier (tout l’album Chapitre 9 et le livret de le conte musical Pinocchio court toujours, prix Charles-Cros), de Florent Marchet, d’Enzo Enzo et Laurent Viel (le spectacle Chacun sa famille), de Jean Guidoni…

Rien que les titres de ses spectacles et disques semblaient, depuis longtemps, depuis toujours, annoncer le pire. Baptiser son premier spectacle, en 1986, « Pascal Mathieu court à sa perte », et son premier album, en 1995, « En attendant des jours pires » (qui s’était déjà adjugé au passage un prix de chez Charles-Cros, fin connaisseur en chansons comme chacun sait), ça présage, ou conjure selon l’état d’esprit du moment, à des choses compliquées.

Ça faisait déjà pas mal de temps que cet ex-poète punk chantait, avec une violence scénique rare, s’avérant d’emblée comme l’un des auteurs majeurs de sa génération : « comme un ouragan » comme le décrivait mon confrère Michel Trihoreau dans les colonnes de Chorus, récoltant auprès du chanteur ses confidences : « Bien des personnes trouvent mes chansons désespérantes et révoltantes. J’ai eu une adolescence très noire, très morbide, mes textes s’en ressentent… La révolte est la seule attitude qui soit saine devant ce que l’homme fait de son existence. La simple écoute de la bande FM est révoltante… je déteste les mièvreries, vivre est une chose violente. » Textes en conséquence sinon violents au moins sans concessions, à l’humour décapant qui, au gré des collaborations, se sont comme apaisés sans pour autant abdiquer l’autodérision et les mots percutants en des créations très rock sinon dans la forme au moins dans l’esprit.

Mis à part quelques incursions toujours remarquées en des scènes ici et là dans l’Hexagone et quelques fameuses créations, ce Bisontin costard-cravaté connut une réputation hélas surtout confinée à sa région. Accompagné par le guitariste Claude Mairet (complice historique de Hubert Félix Thiéfaine), il a secoué, même et hélas de manière confidentielle, le microcosme de la chanson par ses vers souvent bouleversants qui reflétaient l’absurdité du monde et des sentiments amoureux.

Nous garderons pour toujours ses chansons, plus précieuses encore depuis qu’on sait qu’il n’y en aura plus d’autres. Et notamment ses derniers vers extraits de son ultime opus : « Vous qui êtes noyés / Qui avez envoyé / Votre existence par le fond / Est-ce que l’asphyxie / Vous apporte l’oubli / Devant le vide du plafond ». Pascal Mathieu était un auteur fulgurant. Il est mort d’une maladie fulgurante.

 

Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

Présentation album « Sans motif apparent » 2013 Image de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Pascal Mathieu, 1961-2025

  1. Michel Buzon 19 octobre 2025 à 8 h 29 min

    Après toi, Pascal, la page ne se tourne pas, elle se déchire et se conserve précieusement dans le socle de nos vies.
    Tant de scènes et d’émotions partagées depuis le début des années 80, des instants de complicité, de fidèle attachement sur nos chemins de traverse.
    Il nous reste ta poésie écorchée, ciselée, d’une densité à nulle autre pareille.Un talent immense et un phare qui nous guide pour ne pas sombrer « en attendant des jours pires »

    À jamais avec nous au coeur de nos élans poétiques.

    Michel Buzon

    Répondre
  2. Jean-Michel ADAM 30 octobre 2025 à 21 h 34 min

    Cher Pascal,

    c’est le hasard d’une recherche sur ton nom (pourquoi aujourd’hui?) qui m’amène à cette page où je découvre qu’il y a deux semaines tout juste, tu as cassé ton Chalandon. Le lecteur de passage ne comprendra sûrement pas. Normal, c’est presque une private-joke. Casser son Chalandon, c’est comme casser sa pipe. Allez j’explique :

    1986, en plein mouvement contre la loi Devaquet, « Café des Images » à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen, petit concert devant une trentaine de personnes, dont un pote et moi, arrivés là sans savoir à quoi nous attendre. Le jeune chanteur (que nous ne connaissons pas encore) débarque en trombe sur la toute petite scène, vêtu d’un pagne, sorte de Tarzan post-industriel, une chambre à air enroulée autour du bras, le torse recouvert de suie, complètement destroy. Et puis il chante, gueule et déclame. Surtout déclame. De la poésie brute, crue, rock, déchirée, déchirante… et si élégante ! Ce chanteur, c’est toi bien sûr.

    Au milieu du concert, tu te roules un joint, un vrai, et expliques que tu te « roules un Chalandon » (le ministre de la justice ultra-répressif et pote à Pasqua, c’est dire). Provoc amusante vue de mes 19 ans. Tu fais tourner le « Chalandon » parmi les premiers rangs. Mon pote et moi en sommes. Tous fiers de tirer une taf sur le joint de l’artiste.

    Un choc. Je découvre un artiste qui me chavire autant que quelques temps auparavant Jean Guidoni. Je viens t’en parler à la fin du récital : l’analogie ne te convient guère, tu me dis préférer Louis Arti (« La voix de Louis Arti dans le petit matin glauque » Le Galérien) et le compter davantage parmi tes influences. Je me rue dans les jours qui suivent le concert pour découvrir cet autre artiste que je ne connais pas encore à ce moment. Cette autre découverte que je te dois est un autre merci que je te dois.

    J’ai bien sûr aussitôt voulu t’acheter ta cassette d’alors, la seule, « Pascal Mathieu Court à sa perte ». (Putain, j’ai eu ça… je ne la retrouve plus, je l’avais heureusement dupliquée, mais bon). Bien sûr, je n’ai pas une thune en poche, tu me files donc la cassette en confiance, me demandant de t’envoyer 30 francs en billets pliés dans du papier carbone pour que la poste ne les détecte pas.

    Pas eu besoin. Trois jours plus tard, te revoilà à Caen, à la fac, cette fois pour chanter gratos pour les étudiants en grève. Je règle ma dette avant que tu ne montes en scène et pour solde de tout compte tu me tends ta bouteille de rhum coca en me disant de n’en prendre qu’une petite gorgée, il t’en reste juste le nécessaire pour aller chanter. Débute alors le concert le plus fou et le plus court auquel il m’ait été donné d’assister. Moins d’un quart d’heure ! Une meute de connards et de connasses te huent, et finissent par te virer au cri de « on veut du rock ». Tu tiens bon, le plus longtemps possible et, avant de partir, tu leur craches littéralement à la face un poème qu’iels ne comprennent pas mais qui leur dit quelque chose comme « j’ai toujours été à côté de la plaque ». Avec quelques amis nous sommes en rage, en larmes, honteux de faire partie de cette meute débile. Nous les laissons poursuivre entre eux leur concert (un petit groupe local et minable, façon Indochine) et te rejoignons… tu es étonnamment zen, beaucoup plus que nous. D’apparence en tout cas. Tu te dis juste fatigué et leur pardonne « ils n’étaient pas là pour ça ».

    Je n’ai jamais recroisé ta route depuis, quel dommage. Pourquoi je raconte tout ça ici ? Pourquoi ce souvenir vieux de quarante ans est resté si précis et semble encore si proche ? Et bien voilà : ta poésie, le sentiment profond d’y avoir trouvé une expression incroyablement juste du sentiment que j’éprouvais à l’époque d’être moi même à côté de « la » plaque, de « leur » monde.

    Ce concert au Café des Images reste aujourd’hui pour moi comme une balise, une référence. Un des trois concerts les plus marquants de ma vie, avec Ferré et Guidoni. C’est con, j’aurais dû te le dire avant. Allez tiens, je vais me servir un whisky. A la tienne, merci, et ciao.

    Jean-Michel

    Répondre

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