Thomas Louise, la complainte de ceux qui n’ont pas le premier rôle
Thomas Louise n’est pas un inconnu pour Nos-Enchanteurs. Pendant quinze ans il a officié au sein du duo Un costard pour deux dont il était le chanteur, 2007, Pourvu qu’on ait l’ivresse, 2009, Propre sur soi, puis en 2014 un Cinq titres, (bonne) Impression sur scène, que nous relatait Michel Kemper. Sur la dite scène il a côtoyé tant Leprest que Delpech ou les Fatals Picards, dont il assurait les premières parties, collaboré aussi avec un gang des lyonnais tout à fait bienveillant et talentueux sous leurs plumes incisives, Buridane, Lucas Rocher, Frédéric Bobin, Evelyne Gallet… Les chansons de ce nouvel album en solo ont traversé des tempêtes, nous dit l’auteur. « Elles portent l’intime, le doute et les possibles »
Damien Joëts, le musicien d’alors, reste toujours présent à la coréalisation, à la composition de trois titres et aux arrangements, claviers et programmation : un résultat discrètement contemporain qui fait un écrin naturel à la belle écriture de Thomas Louise, colle aux images qu’il sait créer, transformant un tapis de caisse en tapis volant, au gré des rêves de l’hôtesse de caisse qui rêvait de voler au-dessus des continents.
L’auteur ne se place pas du côté de la France qui gagne, on pourrait à deux lettres près, le nommer Thomas Lose. Pas faute de se lever tôt, ni de traverser la rue, pas faute de talent non plus. Il rend ici hommage à tous ces vrais essentiels qui font tourner le monde, « ceux qui ne sont rien », et pourtant… loin des phares du vedettariat : « J’en ferai quoi de cette horreur, de ce hochet, de ce trophée » (Meilleur second rôle, qui ouvre l’album). Hommage à ceux qui sont passés à côté des chances de leur vie « Agathe ton amoureuse de sixième », qui culmine dans ce titre court, La vie sans la voir passer, en gardant l’espoir pourtant « Copier Bacri qui fait la tête mais garder le sens de la fête ». C’est d’ailleurs de ce film éponyme où joue Bacri que vient le nom de l’album.
Un talent indéniable à peindre les petites choses de la vie, à les détailler d’une voix fragile et tendre à laquelle on s’attache immédiatement, et sous la délicatesse de son expression, une analyse profonde des maux de notre société. S’il fait parfois des satires plus directes à la manière de goguettes (Manger des caramels mous…avec François Bayrou – avec un peu d’attention elle résonnera à vos oreilles), ici la critique se fait poétique, il y a du Baudelaire dans cette grinçante Stand by Rita, en duo avec Fred Bobin, son cousin d’empathie, qui a dû bien apprécier aussi cet Oh dès « V’la trente ans qu’on l’attend la reprise du boulot » .
Mais aussi du Vigny, du Musset ou du Victor Hugo dans cette Nuit murmure, ouverte par un prélude dit par une voix féminine « Ici des saisons sans passion qui ne sourient plus sans raison (…) Cent ans que ce temps est si froid, étroit et moi je reste las ». De ce spleen qui revient toujours comme un Clair obscur.
Pourtant c’est peut-être plus encore cette chanson au mitan de l’album, Assistez-moi, qui m’a le plus touchée. Cette prière vient de celui que les élites, qui ne connaissent ni les licenciements, ni les radiations, ni les loyers impayés, accusent de ruiner le pays, « On a trop mangé faut payer », veulent encore plus priver de droits, spolier du nécessaire et même du minimum vital. Celui qui à genoux supplie « Ne me lâchez pas s’il vous plaît, vous qui savez comment on fait / Comment multiplier les pains, comment chanter les lendemains ». Et son dernier cri : « Laissez-moi encore les gamins, je sais que vous n’y êtes pour rien ».
Pour rien… Pour rien ?
Thomas Louise, Le sens de la fête, 2025, autoproduit. Inouïe Distribution. Le site de Thomas Louise, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. En concert les 9 et 10 janvier 2026 au Connétable à Paris pour la sortie d’album, autres dates sur le site.
« La vie sans la voir passer » session 2025 




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