Fil, moins tordue, bien plus fil.. osophique
Fil (photo Laurent Guizard)
« Je n’ai rien d’autre à faire / Je viens d’où je suis... » C’est de Fil, extrait de la chanson-titre de son nouvel et premier album. Mais, d’abord, d’où vient-il ?
Même si leur séparation remonte à il y a déjà vingt-deux ans, vous vous souvenez tous de La Tordue, ce trio phare de la « chanson néo-réaliste » : Benoit Morel, Pierre Payan et Éric Philippon dit « Fil ». Et, comme pour d’autres groupes, d’autres chanteurs, vous vous posez parfois la question : que sont-ils devenus ? On le sait en ce qui concerne le chanteur, Benoît Morel, connu aussi sous le nom « Le B du chat », qui désormais se produit en solo, « écrit et chante des chansons faites à la main, anime une collection de livres, des ateliers de dessins et d’écriture, fait du graphisme, des illustrations, de la mise en scène, de la mise en pages… ».
Après avoir, avec Fil, créée Mécanics, ciné-concert dédié aux tout-petits, Pierre Payan est devenu musicien de studio, compositeur qui plus est de films et de documentaires. Il accompagne depuis quelques années Christian Olivier dans son spectacle sur la révolution russe.
Et Fil donc, qui y jouait à peu près tous les instruments et composait l’essentiel des titres de La Tordue. Lui, a poursuivi, non dans la totale obscurité mais un peu dans l’ombre d’autres artistes, sur des scènes théâtrales souvent, des musicales aussi. On l’a ainsi vu aux côtés de Loïc Lantoine : rien de tel pour délier le verbe.
Fil qui nous revient en pleine lumière avec ce J’aime, son premier album, bel événement de cette fin d’année dans le milieu de la chanson. « Fil a pris le temps avant d’exister en son nom » dit avec raison sa bio.
C’est une chanson étrange, réellement fascinante, où la musique prend parfois le pas sur le texte, chacun se disputant le terrain. « Ce sont des chansons sculptées par des guitares électriques, méditatives, mutines, qui s’aventurent dans de larges et limpides étendues mentales » lit-on dans sa bio.
La voix est claire, en avant. Un folk-song qui, dès l’entame, vous saisit, nouveau et déjà familier. « Je marche sur la Terre / Je cours dans ma vie / Je peux boire la mer / Si le cœur m’en dit… / J’aime l’endroit, l’envers, / Le plein, le vide aussi / Les choses de travers / Les moments passés ici ». D’un titre l’autre, la douceur du propos sera parfois secouée, heurtée par batteries et trompettes, violons aussi, qui sculptent plus encore les mots, leur conférant plus encore de gravité : « Le pire est à craindre / Les temps sont viciés / Demain peut s’éteindre… »
Introspection, considérations. Nous, notre sort, la vie la mort, la chance ou non, notre dépendance, notre docilité, notre environnement, notre devenir plus incertain encore : Fil « filosophe », nous entraînant dans ses réflexions qui font chansons. « A vouloir tout descendre / On atteint de sommets / A vouloir tout prendre / Plus rien n’est donné ». Belle tendresse aussi sur Toujours, en duo avec sa co-autrice Fanie Mottier…
Le propos se muscle, se politise, quand Fil appelle à la rescousse Jules Jouy, avec Les Inconnus, un texte de 1889 qu’on croirait avoir été écrit maintenant, pendant les gilets jaunes ou autres manifs, en ces « grands courroux populaires » qui, signe des temps, se multiplient à nouveau.
Il nous faut accorder l’importance qui lui est due à cet album, inattendu et si singulier à la fois. L’ami oublié nous est revenu avec une remarquable contribution.
Fil, J’aime, Irfan/L’un dans l’autre 2025. Le facebook de Fil, c’est ici.



Que dire… C’est beau, c’est clair, c’est tranchant, c’est tendre. L’équilibre entre les instruments – part majeure à la guitare, évidemment, si prenante, mais aussi les trompettes, les percussions, les violons – et les mots, si justement superposés pour ajouter le rythme au sens. Bel exercice avec ce Comment Dire, ce jeu du jamais et du toujours pour l’amour, ces anaphores, cette déclinaison sur Les mots. C’est simple et évident, la voix est chaleureuse et nette, nous accompagne tout du long, avec en pause trois instrumentaux. Un album à écouter et réécouter… et à regarder, le livret de Fanie Mottier, (également autrice de Dormir bancal et co-autrice de Toujours) sur un beau papier ivoire épais, avec ses dessins essentiels ouvrant l’imaginaire, est un régal…