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Solleville, qui fait rimer les oubliés

Archive. Pour ses cinquante ans de chanson, Francesca Solleville s’offre le luxe d’un coffret de cinq cédés, Venge la vie (102 chansons enregistrées entre 1959 et 1983) ainsi que de Je déménage, compilation de 15 titres de 1995 à 2007, survols d’autant de décennies d’engagement. Ce papier a presque six ans déjà, récital capté en live salle des Tilleuls à Viricelles, petit village et havre de chanson entre Lyon et Saint-Étienne.

Francesca Solleville et sa pianiste Nathalie Fortin (photo Michel Kemper)

« Le monde autour de nous ressemble / A un océan démonté / La tendresse est à reconstruire». Solleville est interprète qui, depuis des lustres, se met en bouche des mots écrits par d’autres, parfois spécialement pour elle. Des propos qu’elle lustre de sa voix, qu’elle magnifie de superbe. On se l’imagine clamer le chant de Victor Jara ou celui des partisans : si son choix de textes est désormais autre, la tonalité est restée pareille. Le temps n’a pas de prise sur Francesca Solleville. Et rien de ce qu’elle chante ne lui est étranger : elle est colère, elle est tendresse, impressionnante et bouleversante à la fois. La salle est bondée. Francesca arrive sur scène : Al dente en guise de présentation, de carte d’identité. C’est son passé de gamine rital qu’Allain Leprest lui a écrit. Un Leprest omniprésent dans ce répertoire : une chanson sur deux, comme une évidence, comme la signature d’un des plus grands auteurs d’aujourd’hui. L’enfance donc, puis premier mensonge : On s’ra jamais vieux, texte de Bernard Joyet, autre monstre de la chanson qui l’a précédé de quelques mois sur cette même scène. Demi-mensonge plutôt : sera-t-elle vieille un jour Francesca, elle qui, à l’orée de son hiver, a la sève d’une jeune pousse, porte les prémices d’un k.o. social qui lentement bourgeonne, a la toux d’une marmite à cheval sur le Vésuse et l’Etna. Avec Vanina, de Véronique Pestel, Solleville fait rétro du siècle passé, par l’entremise d’une femme qui traîne sa militance des suffragettes à la résistance, de l’Algérie au caritatif catho d’aujourd’hui : siècle d’une femme debout, magistralement interprétée par une autre, tout aussi lancée en militance, droiture faite chanson. C’est un récital de fulgurance, une voix puissante gorgée de combats, en constant devoir d’espoir. « Voici un texte de Louise Michel : c’est pas très gai, tout ça. J’ai hésité avec un autre, d’Anne Sylvestre, sur Bagdad… ». Mais Solleville c’est ça. Si on veut le futile, ce n’est pas elle qu’on ira entendre. Francesca est la gravité d’un monde brutal fait de colonisation, de racisme, de charrettes sociales. Comme le lui écrit Paccoud, sa chanson fait rimer les oubliés, magistral poing levé qu’elle est contre l’indifférence : « Ça claque aux matins noirs / Et ça fait douter les soldats / Ça porte le grand soir / Et ça fait beaux les gens d’en bas / Quand elle étend ses blanches croches / Quand les hommes ont le vin qui triste / Elle fait des clowns au yeux des poches / Quand y’a plus d’oiseau sur la piste… ». Louis Aragon, Jean-Michel Piton, Jean Ferrat, Gilbert Laffaille, Pierre Tisserand, Michel Bühler, Gérard Pierron, Jean-Max Brua, Louise Michel… le générique de Francesca, cette petite femme aux cheveux d’or, est fierté d’une chanson qu’on dit moribonde au seul fait qu’elle est absente de l’écran télé, privée d’antenne. Mais pas de public : la salle de Viricelles était, une fois de plus, pleine à craquer. Gorgée d’émotion et remplie de fierté. Celle d’accueillir une des plus grandes chanteuses en exercice.

Francesca Solleville sera en concert à la Salle des Rancy à Lyon les 22 et 23 ,janvier 2010.

Une réponse à Solleville, qui fait rimer les oubliés

  1. nanougk 16 janvier 2010 à 17 h 38 min

    Merci pour ce beau billet digne de Francesca Solleville, que de bons souvenirs, malheureusement invisible dans les médias et pourtant si nécessaire par les temps qui courrent !!!!!

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