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Chansons de boue d’hommes encore debout

De-la-boue-sous-le-ciel_Francois-Guernier-300x298« Nous, nous avons vingt ans, la gloire et des cercueils ! »

Ils se nomment Paul Verlet, Joseph Cahn, Eugène Gaudet, Jacques Lavoine, Dieudonné Grancier, Eugène Capdeville… Mal rasés, pouilleux, boueux, la main au fusil, on dit d’eux qu’ils sont des poilus.

Elles se nomment Claire Virenque, Marie-Louise Dromart, Cécile Perrin. Elles sont sur le front, en infirmières. Ou restées au foyer, à tenir seules la maison, dans l’attente du retour de leur compagnon : « Nous, nous n’avons pas eu le séjour des tranchées / Au vent de la mort déployé / Mais, sur le souvenir et l’angoisse penchés / Nous avons gardé le foyer. »

Ils, elles nous ont laissé des poèmes, des rimes, pas encore des chansons, longtemps consignés dans des correspondances, parfois parus en des recueils alors posthumes. Des plumes qui, si la vie l’avait voulu, seraient peut-être célébrées dans nos anthologies de poésies. Leur chemin de poésie ont croisé celui des dames. « J’affrontai la mort avec certaine ivresse / Et je la vis alors la monstrueuse ogresse. » L’heure de mourir est venue, tuant dans l’oeuf d’autres rimes pas encore couchées sur le papier. Les derniers vers furent bien souvent ceux griffonés dans les tranchées, juste avant l’assaut qui étête la poésie aussi sûrement qu’il ampute ceux qui ne demandaient qu’à vivre, aimer, sourire.

« Sales, on attend, souillés d’âcres débris / Tigres dont les yeux morts dorment sous les poils gris / Incapables d’armer le déclic de nos haines / A bout de nerfs, au bout de la détresse humaine. »

L’inspiration de ces moments-là ? La boue et les barbelés, les obus et les balles, la mort du copain, la sienne qui vient, les croix qu’on compte, sa bien-aimée qu’on regrette, son foyer lointain…

« On pue les pieds et la misère / On fum’ sa grosse, on crach’ par terre / On est tatoué sur le buffet / Quand ça nous chante, on lâche un pet… / Qui qu’a des poux ? / C’est nous ! »

François Guernier est un chanteur de l’Aisne, qui justement habite sur le Chemin des dames. On l’a connu sous le nom de Tichot, son précédent groupe. Avec Tichot d’ailleurs, dès le premier album, en 2004, il chantait déjà 1916, comme si c’était une évidence. Avant de consacrer tout un album (14-18 avec des mots. Une vie de bonhomme) trois ans plus tard, fait de poèmes et de chansons de la période de la Grande guerre. C’est à ce moment-là qu’il a découvert le recueil de poèmes de Paul Verlet, De la boue sous le ciel, qui donne son nom au présent album. Verlet mourra en 1923, d’une longue agonie suite à une blessure reçue en Champagne, sur le front.

Là, Guernier (et Caroline Varlet, elle-aussi venue de Tichot, qu’on connait sous son nom de scène de La Mordue, dont Guernier est tant l’un des musiciens que l’auteur et le compositeur)) redonne vie, rend justice à des poètes inconnus, à des presque amis, ravive la flamme de leurs vers, les mène à destination… Interprétation sobre dans une sorte de parlé-chanté, instruments (parmi eux un quatuor de cuivres) qui surlignent chaque phrase. Ce disque est digne et exemplaire.

 

François Guernier, De la boue sous le ciel, Toccata 2014. Le site de Tichot/François Guernier, c’est ici.

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6 Réponses à Chansons de boue d’hommes encore debout

  1. Danièle Sala 15 décembre 2014 à 11 h 40 min

    Une interprétation très personnelle de La chanson de Craonne. « On prend la pile » devient « on est pas tranquille », « tous ces gens qui font la foire » devient « les gens qui se paient notre poire », « les malheureux pantins » deviennent « de ces fumiers là », entre autres. Si il y en a qui ont édulcoré ou tronqué cette chanson, là, elle est en version hard !

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    • Michel Kemper 15 décembre 2014 à 12 h 02 min

      Non, Danièle, ce n’est pas une interprétation personnelle. « La Chanson de Craonne » s’est transmise oralement et s’est donc modifiée souvent lors des transmissions, de pas grand chose à chaque fois (et surtout pas le sens), comme toute chanson de tradition orale (cf les chansons « traditionnelles »). Quand des gens ont transcrit ces paroles, on a constaté nombre de versions légèrement différentes les unes des autres. Ainsi cette « Chanson de Craonne » sur ce disque de François Guernier, est un peu différente de celle interprétée par le même Guernier, sur son disque Tichot « Une vie de bonhomme ».

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  2. Danièle Sala 15 décembre 2014 à 13 h 05 min

    Il y a de nombreuses versions en effet, depuis la première , celle qu’on chantait en Artois en 1915, La chanson de Lorette . et j’aime bien celle que j’ai écoutée sur le site de Tichot .
    https://www.youtube.com/watch?v=2vQTy-Ga_4A

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  3. François Guernier 16 décembre 2014 à 20 h 37 min

    Bonjour Danièle

    Celle que j’interprète sous le pseudo de Tichot est une version éditée dans le livre Pain de soldat dans les années 30 et celle que j’interprète aujourd’hui, sur le nouveau cd, est datée de juillet 1917 et a été transmise par Robert Moignet a sa famille alors qu’il se trouvait sur le front de l’Aisne.

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    • Danièle Sala 16 décembre 2014 à 23 h 43 min

      Merci François pour ces précisions , c’est une chanson qui a voyagé , de tranchées en tranchées , de voix en voix, bravant la censure , l’important est qu’elle ne soit pas amputée , et merci de porter la parole des poilus qui sont les grands-pères, les oncles que l’on a pas connus , parce que morts à la fleur de l’âge .

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  4. catherine Laugier 16 décembre 2014 à 21 h 51 min

    Beaucoup de reprises actuellement de ces chansons des tranchées qui nous parlent de l’humanité malgré l’horreur, des choses les plus importantes de la vie, celles qui nous touchent à travers les générations. Et la voix douce de François Guernier me rappelle celle d’Alexandre Poulin. Très touchant.

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