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Interview : la genèse de Malicorne (1)

Même si c’est un disque par nature « exceptionnel » qui n’aura pas de suite, force est de reconnaître que la sortie, hier en bac, des CD et DVD en public de Malicorne, ce « Concert exceptionnel aux Francofolies de la Rochelle », est un événement peu commun. Qui peut, avec délectation, nous ramener loin en arrière… Flash-back avec Gabriel Yacoub, lors d’un entretien, resté à ce jour inédit, où le fondateur de Malicorne retrace à grands traits la genèse de ce groupe folk entre tous mythique.

Entretien inédit avec Gabriel Yacoub, Champvoisy, décembre 2003.

« Pierre de Grenoble », sorti en 1973, avec Gabriel et Marie Yacoub, Marc Rapilliard, Dan Ar Braz, Alan Kloatr, Dominique Paris, Gérard Lavigne, Gérard Lhomme et Christian Gour’han

« Avec Alan Stivell, je suis resté deux ans. Mais dans une situation ambiguë, à faire les chœurs et chanter en breton, en gallois, gaélique et écossais. Je me disais que, s’il existe de si belles musiques en Irlande ou en Bretagne, ça devait bien exister chez nous. Ma réflexion a alors commencé. Mais j’étais très jeune, j’avais dix-huit ans. J’ai cherché longtemps, les exemples étaient très pauvres. Et c’était tout ce que nous détestions : Guy Béart chante les belles provinces, Nana Mouskouri… Non seulement ça ne me touchait pas, mais ça me repoussait. Mais j’en avais envie, j’ai persévéré, j’ai trouvé. Et quand j’ai trouvé, c’est là qu’on a fait Pierre de Grenoble, qui était vraiment un disque expérimental : on allait voir ce qu’on pouvait faire avec de la musique folk de chez nous. Nous étions tous heureux du résultat et on s’est dit « On va aller plus loin, on va faire un groupe. » J’ai enregistré Pierre de Grenoble alors que je n’étais pas encore avec Stivell. En, en même temps que j’ai travaillé avec lui, avec beaucoup de bonheur, je pensais à ce que j’avais vraiment envie de faire. »
Pierre de Grenoble c’est en partie avec du personnel vu et connu chez Stivell, justement…
« Bien sûr, c’étaient mes amis musiciens à l’époque. Un disque produit par Hugues de Courson qui allait devenir le producteur historique et membre de Malicorne. La démarche était à peu près logique ; c’était le temps qu’il fallait pour que je digère un peu tout ça et que j’affûte ma curiosité. Parce qu’à l’époque, la manière que j’ai réuni ce répertoire, ça passait essentiellement par les discothèques. Il n’y avait pas de publications alors, ou pas bien : il fallait creuser, fouiller… »
Pas de publications, ou alors très vieilles…
« Oui mais, en musiques traditionnelles, c’était quasiment inexistant. Ou inaccessible. Quand j’ai commencé à gagner ma vie, j’ai pu m’acheter des bouquins, des trucs du 19e qui coûtaient très chers. Maintenant, il y a un répertoire disponible d’une grande richesse mais, à l’époque, il n’y avait rien du tout. Moi je grappillais le moindre recueil de chansons de scouts. Sur deux cents chansons, il y en avait à peu près une de décente, encore fallait-il en changer la musique parce que ringarde ou abâtardie. Il y avait tout ce travail de sélection, souvent un peu frustrant…
Pierre de Grenoble est un disque de plaisir. J’avais envie de faire ça, voir où on pouvait aller avec ça, en combinant… L’idée n’était pas particulièrement originale, c’était un petit peu comparable avec ce que faisait Stivell : mélanger des chansons trads avec des instruments électriques, sans limite ni de territoire ni d’époque. Les anglais avaient commencé bien avant avec Fairport Convention et autres. Nous, on est arrivés après. »
Le disque sort et c’est un succès immédiat…
« Ça a bien marché, et assez vite. Un coup de bol incroyable. Nous étions disque pop de la semaine chez José Artur avec une chanson du 15e siècle, avec des guitares électriques. C’était complètement étrange. Je me revois encore chantant Le Prince d’Orange avec l’ampli posé sur le Bar Noir à la Maison de la radio : il n’y avait pas de place, c’était n’importe quoi, drôle… Évidemment, ça nous a donné envie de continuer. Dans la foulée de Pierre de Grenoble, on a tout de suite fait Malicorne… »

Le premier Malicorne, en 1974, avec Gabriel Yacoub, Laurent Vercambre, Hugues de Courson et Marie Yacoub

Comment s’est réalisé le casting du groupe ?
« Marie était là, c’était ma femme. Elle était musicienne et chanteuse et avait envie de cette aventure tout autant que moi. J’ai rencontré mon ami Hugues de Courson à l’infirmerie du Mont-Valérien, où on s’est fait réformer deux jours plus tard. C’est là que nous sommes devenus copains, à comparer nos envies, nos projets… Il me dit : « Si tu veux faire un disque comme ça, je le produis. » Il avait produit avant des choses très petites, très simples. Il était dans le métier et avait déjà écrit des chansons, pour Françoise Hardy et pour d’autres. Il a été fasciné par l’idée, n’imaginant pas que ce truc-là, ce concept, puisse exister. On allait prendre de vieilles chansons pour en faire de la musique contemporaine. Hugues m’a dit, sans même m’avoir déjà entendu jouer ni chanter : « On le fait ensemble. » Comme il était lui-même musicien et que le projet le passionnait, ce fut le troisième membre évident du groupe.
Je connaissais Laurent Vercambre de quelques années auparavant, de ces soirées folk, ces hootenanny. Laurent était basé, à cette époque, avec toute une bande de musiciens, dans la banlieue ouest, du côté du Vésinet. Il y avait là une MJC où il y avait régulièrement des soirées folk : j’y avais joué. Laurent est un excellent musicien multi-instrumentiste : il est connu pour le violon mais il joue de tout, extrêmement bien. Il est pianiste, clarinettiste… il touche à toutes les familles d’instruments avec une aisance qui m’a toujours rendu jaloux. C’était idéal pour Malicorne : ce fut le quatrième membre du début. Laurent est maintenant dans Le Quatuor, je le dis pour le lecteur qui ne le saurait pas. Laurent trouvait que Malicorne c’était formidable mais trop triste. Lui est un burlesque, il aime déconner. Le jour où il a quitté Malicorne, il était drôle, plein de pitreries. C’est beau ce que Le Quatuor fait : j’adore. »

Cet entretien avec Gabriel Yacoub est en 4 parties, à lire sur NosEnchanteurs :

2e partie ici

3e partie ici

4e partie ici

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2 Réponses à Interview : la genèse de Malicorne (1)

  1. joan 9 mars 2011 à 9 h 47 min

    Merci pour cette interview du grand Gabriel ; on attend la suite avec impatience.

    Réponse : Suite (mais pas « fin ») demain jeudi. C’est une longue interview réalisée en 2003 en préparation d’un portrait de Gabriel Yacoub dans Chorus. Gabriel n’avait guère envie de parler ce jour-là du passé. On y a consacré cependant un petit moment avant, effectivement, de parler du Yacoub d’aujourd’hui. Gabriel est, à mon sens, un des grands artistes… grandement inconnu aussi… MK

    Répondre
  2. Girardon 6 août 2011 à 12 h 27 min

    Bien cher Gabriel, mon ami !
    Tu le sais aujourd’hui il y a beaucoup de chansons trad « décentes ».
    Je crois que je vais avoir un bon sujet de conversation avec toi la prochaine fois qu’on se retrouve à Ligniére.
    Je te propose une joute chantée avec les chansons décentes et indécentes. Ca va dégommer ! Bien fraternellement, Beline.

    Répondre

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