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Lutry : que longtemps frappe l’esprit de la chanson !

NitchaekkNaguère, l’eau du lac léchait le bâtiment. On l’a éloignée d’une rue et d’un stade. Le sous-sol de cette maison cossue était un lieu pour les jeunes, une boîte autogérée où on venait s’y ruiner les oreilles, à les coller devant deux énormes enceintes. Le local fut fermé. Alain Nitchaeff, acteur, chanteur, se disait à ce moment-là qu’il recréerait bien un cabaret : « Mon grand rêve, outre le fait d’être sur scène, était de disposer un jour d’un lieu où je pourrais accueillir artistes et public. Et où je pourrais aussi cuisiner. J’adorais cela. » La rumeur lui vint de ce lieu libre. En deux temps trois mouvements, la ville lui mit le lieu à disposition, gratos, en payant de surcroît l’eau et l’électricité. Et pour faire bon poids une subvention. Ainsi est né L’Esprit frappeur, un de ces petits lieux si importants pour la chanson francophone. Nous sommes en Suisse, pas loin de Lausanne. Quelques marches à descendre, une porte, le bar, sa caisse et son ingénieuse régie qui coulisse de haut en bas. Une salle baignée de sombre et sur chaque table une bougie. Des canapés. Tout au plus une centaine de places. Les soirs d’affluence il est agréable et discret de se serrer sur les canapés…

C'est au sous-sol de cette maison qui se situe L'Esprit frappeur

C’est au sous-sol de cette maison qui se situe L’Esprit frappeur

Une cohorte de bénévoles, des dames surtout, se relaient chaque semaine au bar, à la billetterie, à la restauration d’après spectacle. A chacune ses souvenirs : Sylvie, elle, est intarissable sur Béa Tristan. En bas des quelques marches qui y descendent, face à l’entrée, un immense portrait d’Allain Leprest… On ose à peine dire à l’hôte de ces lieux qu’il lui ressemble et pas qu’un peu, à l’Allain. « L’Esprit frappeur est là pour redonner la parole à celles et ceux qui ont fait les beaux jours des cabarets rive-gauche ou droite et que l’on n’entend plus guère sur les ondes, que l’on ne voit plus sur nos petits écrans. » Ici tous les grands sont passés. Dès la première saison, ce furent Laffaille, Rinaldi, Tachan, Allwright, Solleville, Beaucarne, Verdier, Bühler, Bertin, Ogeret, Pestel, Favennec, France Léa… Puis Didier, Lacouture, Bruno Brel, Joyet, Côté, Leprest, Camerlynck, Vigneault, Sarclo, Forcioli, Michèle Bernard, Anna Prucnal, Jofroi, Chelon, Capart, Gary, Paccoud, Ionatos, Auberson Anne Sylvestre… tous ! Qui tous reviennent. Et tous ceux qui frappent à la porte. Que des moments où il fut prudent de réserver, où on refuse du public. La salle n’existe pourtant que pour ses découvertes : là le public y est moins nombreux, comme partout. Trente, quarante personnes par soir pour Jérémie Bossone, c’est beaucoup et c’est peu. Il en fera plus la prochaine fois. Quand Roberto Sironi, ce crooner italien qui vit en Bourgogne, est venu la première fois, il n’y avait qu’un seul spectateur. Sironi à joué, avec tous ses musiciens : il était venu pour ça. Un papier le surlendemain sur cet exploit dans « 24 heures » et ce fut le soir-même salle pleine, bondée comme rarement. Des anecdotes, Nitchaeff en a à la pelle. Ici, les affiches sur les murs sont collées d’émotion.

sallepleineLa petite économie est fragile et tient grâce aux subventions de la Commune de Lutry, du Canton de Vaud et, principalement, de la Loterie Romande. Il y a quelques années, à l’arrivée de la nouvelle patronne de cette institution (qui consacre la totalité de ses bénéfices à subventionner des activités culturelles, sociales et sportives ! ), l’aide fut conditionnée à la programmation de chanteurs suisses, uniquement, autant dire plus grand’chose. Certes, les Rinaldi, Romanens, Bühler, Sarclo, Bel Hubert, Fraissinet, Aliose (etc) font belle programmation mais L’Esprit frappeur envisage la chanson dans toute sa francophonie, de Montréal à Bruxelles, de Paris à Genève. La catastrophe ! C’est le patron du Paléo Festival qui, sans délai, intervint pour dire la nécessité, l’indispensabilité même de L’Esprit frappeur : la subvention fut rétablie sur le champ. Comme quoi un grand festival commercial peut aussi aimer la chanson d’un petit lieu…

L'affiche de L'Esprit frappeur : un dessin original d'Allain Leprest

L’affiche de L’Esprit frappeur : un dessin original d’Allain Leprest

Ici les règles sont précises sur le cachet et les défraiements : Nitchaeff ne transige pas. A ses conditions fort honorables s’ajoute l’accueil, toujours chaleureux. On y vient de confiance, public comme artistes (et pas que ceux-là, on y trouve même Pierre-Alain Gschwend, alias Mamadou, un cuisinier disciple de la cuisine moléculaire d’Hervé This : la poésie est là par toutes ses entrées !) pour s’immerger dans cette chanson si riche, non comme on vient dans un musée (ce que L’Esprit frappeur n’est pas) mais comme on vient se ressourcer. Auprès de ce négociant en gros de belles et bonnes chansons qu’est Nitchaeff, à mille lieux de ce qu’on vous passe à la radio, souvent insipide, ici comme ailleurs.

 

Le site de l’Esprit frappeur, c’est ici. Image de prévisualisation YouTube

 

 

8 Réponses à Lutry : que longtemps frappe l’esprit de la chanson !

  1. Danièle 24 janvier 2013 à 17 h 22 min

    Un endroit bien sympathique et très fréquentable en effet .

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  2. Delphine Dokhan 24 janvier 2013 à 19 h 42 min

    Ben moi, venue de Paris exprès…pour faire aussi découvrir ce lieu et son illustre programmateur..je ne regrette pas mon choix, je n’ai pas hésité à passer ma soirée à l »‘Esprit Frappeur » ce samedi..malgré les nombreuses autres propositions de concerts dans la région et les conditions météo…j’ai aussi découvert Jérémie Bossone, qui a fait un super concert !

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  3. Norbert Gabriel 24 janvier 2013 à 23 h 56 min

    en faisant un tour d’horizon avec quelques artistes voyageurs dans la francophonie, sur les salles accueillantes et respectant les artistes et le public, L’Esprit Frappeur est arrivé chaque fois dans premiers cités spontanément, avec le Bijou… et le Forum Léo Ferré.. il y en avait quelques autres, mais ces 3 là c’est le tiercé gagnant.

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  4. Nitchaeff 25 janvier 2013 à 9 h 41 min

    Très touché par ces commentaires! Merci!
    Voici la lettre ouverte que j’avais demandée à Julos Beaucarne pour l’inauguration des lieux. Nous nous efforçons d’aller dans ce sens.

    LETTRE OUVERTE

    L’Esprit Frappeur donne la parole aussi bien aux jeunes artistes qu’aux artistes déjà dans les âges pourvu qu’ils soient originaux et talentueux. Le temps ne fait rien à l’affaire comme dit Brassens.

    Nous aimons les jeunôts et les vieux fourneaux pourvu qu’ils nous apportent autre chose que du vent et du prêt-à-chanter.
    Les modes sont des maladies mentales entretenues par le commerce.

    L’Esprit Frappeur refuse dans sa programmation d’enfoncer des portes ouvertes en ne passant que des gens confirmés, jeunes comme vieux par ailleurs, qui ont vendu beaucoup de disques et que les programmateurs de certaines radios, aveugles conducteurs d’aveugles passent 20 à 10 fois par jour pour laver le cerveau de l’auditeur.

    Passer ces artistes dans un théâtre ne comporte plus aucun risque et nous servons à ce moment-là tous les pouvoirs au nom du pèze et du fisc et du saint bénéfice.

    Nous voulons une programmation qui sorte du commun, nous voulons que le public soit heureux ici et que le son ne tue pas les oreilles. Le théâtre est ouvert aux spectateurs de tous âges

    (Le temps ne fait rien à l’affaire quand on aime).

    D’autres théâtres existent pour les artistes qui sont dans le vent du monde.

    Nous voulons donner la place à ceux qui ont quelque chose à dire et les faire découvrir, c’est notre travail de résistant…

    Julos Beaucarne

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  5. Norbert Gabriel 25 janvier 2013 à 11 h 15 min

    c’est un clin d’oeil malicieux du hasard, sur la première photo, il y a une affiche de Gilbert Laffaille, et quand j’avais fait ce tour d’horizon, il a été le premier consulté, et le premier nom cité c’était l’Esprit Frappeur…

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  6. Alain Nitchaeff 25 janvier 2013 à 11 h 41 min

    Cher Norbert,
    Il n’y a pas vraiment de hasard. Gilbert est aussi le premier à m’avoir encouragé pour ouvrir ce lieu et à avoir tout de suite dit oui, alors que les conditions étaient vraiment fragiles à l’époque! (pas de minimum garanti, trajets non remboursés, etc). Gilbert ayant dit oui, les autres artistes de renom ont également acceptés!
    Gilbert Laffaille est, du coup, devenu le parrain de l’Esprit Frappeur et nous n’en sommes pas peu fiers !!!!

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  7. martine caplanne 26 janvier 2013 à 11 h 27 min

    Je garde un beau souvenir de mon passage à l’Esprit Frappeur. L’accueil chaleureux de toute l’équipe d’Alain (il est sans doute l’esprit lui-même mais, chut…) a largement compensé le froid dans la région au mois de mars. Lorsque vous arrivez là-bas, immédiatement des mains ouvertes, des regards brillants et vous êtes des leurs.
    A nouveau un grand merci à tous.
    Amitié
    Martine

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  8. Alain Nitchaeff 27 janvier 2013 à 12 h 10 min

    Merci Martine ! Ravi de voir que l’article sur l’Esprit Frappeur suscite autant de réactions parmi les plus de 400 artistes que nous avons reçus !

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