Le cri du poilu, la der des ders en chantant
Coko et Danito, jeudi 13 novembre 2014, café associatif « Chez ta mère »,
Le centenaire de ces quatre années de guerre et de ses neuf millions de morts vaut bien que l’on s’y attarde un peu. Coko, dont nous avons récemment souligné le goût pour le patrimoine oublié de la chanson du siècle écoulé, ne pouvait passer outre cette célébration.
C’est en duo avec Danito à la guitare, aux petites percussions et au chant, qu’il choisit de transmettre le fruit de ses recherches jusqu’à la BNF où il a déniché quelques joyaux voués à l’oubli. Les deux compères dans leur chemise bleu France et leur pantalon rouge, jouant de leur différence de stature, font de ce répertoire un moment de connivence qui fait mouche. On rit, on s’émeut, on s’étonne aussi sans doute, quand on a seulement vingt ou trente ans, comme c’est le cas pour de nombreux spectateurs ce soir, arrières-petits enfants des poilus sacrifiés. Surprenant constat : la salle ne paraissait pas pouvoir entonner La Madelon, le tube de 14-18, vous savez, cette moitié maman, moitié putain, qui connut son succès grâce au « théâtre aux armées ».
Et c’est sans doute là que ce duo revêt toute son importance et justifie son actuel succès : l’histoire de la Chanson participe de l’Histoire en effet.
Bien sûr, nous entendrons La chanson de Craonne de 1917, restée définitive- ment anonyme, sans aucun doute la plus forte dénonciation de ce massacre. Mais nous aurons aussi un aperçu de l’esprit revanchard des chansons de l’avant guerre, du sort des conscrits (trois ans de service militaire, c’est pas rien !) avec Gaston Couté, de leur ironie pour évoquer les effets de la guerre comme Georgius énumérant ses « avantages », mais qui pour autant ne s’abstient pas d’un couplet patriotique, de leur humour pour décrire l’armement (une perle cette Mitrailleuse expliquée !) ou le comportement de l’arrière qui fait son stock de provisions. Bien sûr le duo évoque aussi la place de l’anarchie, les « conférences chantées » de Charles d’Avrey, Montéhus, le groupe libre de propagande par la chanson La muse rouge, Eugène Bizeau réformé pour « faiblesse de constitution », et qui vécut très vieux, maudissant la guerre et refusant de faire des poilus des héros.
Et les incontournables chansons à boire ? Elles mettent en évidence la notable différence entre le boche et le poilu : le « pinard », dont on peut deviner les effets quand il faut monter au front.
Le front, les tranchées ? Coko et Danito nous en offrent un très émouvant tableau théâtralisé qui s’achève sur la fin de la garde et le retour du soleil. Enfin !
Et les femmes ? Au mépris du rôle fondamen- tal qu’elles jouent dans cette guerre qui les privent de leurs hommes, Vincent Scotto écrit Le cri du poilu, qu’inter- prète en 1916 Nine Pinson (une femme !) : « Et comme prière du soir, ils disent : Fais nous donc voir une femme. » A cette chanson répond dès 1905 La grève des mères de Montéhus, qui valut à son auteur d’être condamné « pour incitation à l’avortement » !
Et le poilu ? Pour nous en souvenir longtemps, le duo confie son cri à Apollinaire, sur une musique de Jean Ferrat : Si je mourais là-bas.
Comme ils ont osé censurer la chanson de Craonne je n’achèterais jamais ce cd Choeur de Montjoie de Saint Denis. C’est inqualifiable merci Michel de le signaler.
Quand à nos duettistes ont ils mentionné Botrel … La lettre du Gabier, La revanche qu’il nous faut… Des chansons qui préparaient à la boucherie…. Je n’ai jamais pu aimer Botrel quand tu lis la Revue la Bonne Chanson, c’est affligeant…. Et les textes des autres. Le chantre Breton qui composait plus en Français qu’en Breton. Un hommage lui fut rendu à l’Arc de Triomphe de Paris pour service rendu à la patrie par la chanson!!!
C’est un choeur issu de groupes scouts, je suppose que « Le déserteur » ne doit pas être non plus dans leurs chants de prédilection?
Il y a le même cas avec Frédo, de Dimey, dont le dernier couplet est éludé dans les sites de paroles, parce que trop urticantes?
Les frères Jacques par exemple l’ont zappé… étrange …
A côté des r’quins d’la finance
Et des crabes du gouvernement
Tous ces tarés qui règnent en France
A grand coup d’gueule d’enterrement
A côté d’toutes ces riches natures
Qui nous égorgent à coup d’grands mots
A côté d’toute cette pourriture
Il était pas méchant Frédo !
C’est d’autant plus impardonnable que c’est justement l’originalité de la chanson de Craonne d’avoir été une chanson rebelle qui circulait presque à voix basse dans les tranchées. Elle ne fut pas la seule dans son genre, mais c’est celle qui est restée dans les mémoires.
L’ablation de ce couplet est une trahison à l’égard de tous ceux qui avaient conscience de l’injustice de cette guerre sanglante et inutile. De plus, sans ce couplet, elle n’a aucun intérêt que d’être une lamentation obsolète dans une guerre presque oubliée.
L’image la plus courageuse qui reste de 14-18 est celle des mutins de 1917. Pour l’illustration en chanson écoutez Jacques Debronckart Mutins de 1917 ; au cinéma, voyez Les Sentiers de la Gloire de Stanly Kubrick et au théâtre Les Coquelicots des Tranchées de G.M. Jolidon mis en scène par Xavier Lemaire (Avignon Off, 2013).
Norbert, tu as raison avec une nuance : on peut à la rigueur pardonner aux Frères Jacques cette autocensure dont nous ne connaissons pas la cause, dans un autre temps. On peut aussi leur accorder que le sujet était moins sérieux. Mais en 2014, censurer La Chanson de Craonne, c’est une insulte à l’Histoire.
Ces jours-ci, il y a eu un débat assez vif sur une « reprise » de Thank you Satan, sans une note de la musique originale, ce qu’un débatteur soutient en disant « il a changé seulement la musique », mais quand on connaît la chanson, on constate que deux strophes ont été « oubliées » dont celle qui évoque les anarchistes, ce qui est quand même assez surprenant quand on connait les liens jamais démentis de Ferré avec les libertaires et les anars…
Heu… il me semble que la chanson du déserteur n’a été composée que bien après la première guerre mondiale…
Quant à la prestation de ce remarquable duo (prestation qui n’a rien à voir avec le CD), c’est une réussite artistique indéniable dans le sens où elle entretient la mémoire et réveille les consciences. Et dans ce sens, le fait que beaucoup de jeunes adultes aient assisté à la représentation ne peut que nous réjouir.
Et si certains commentateurs ne sont pas contents, ils n’ont qu’à se mettre en avant, plutôt que de rester embusquer derrière leur écran et leurs certitudes de commandants de mes fesses.
Trois choses, Monsieur Bouba :
- Nos lecteurs ont compris, je crois, que le spectacle de Danito et Coko, d’une part et le disque des Choeurs Montjoie, d’autre part, sont deux articles différents, réunis ici par leur même thématique.
- Si vous lisez bien le commentaire de N. Gabriel, vous constaterez que votre première remarque tombe à plat.
- Quant à votre dernière remarque, Monsieur, elle est déplacée, désobligeante et stupide : vous n’êtes pas ici sur un quelconque endroit sur le net, vous êtes sur NosEnchanteurs : ici, on est prié de laisser ses insultes au vestiaire. Un autre commentaire de cet acabit ne sera pas validé.
Le modérateur
Oui, merci pour « Le déserteur » je suis au courant
http://postescriptum.hautetfort.com/archive/2008/09/17/le-deserteur.html
Merci mes amis de ne pas oublier toutefois l’ excellent travail de Corentin Coko (qui, lui, ne censure rien !! )…je sais qu’il est toujours plus facile de pester contre ce qui ne va pas que de souligner ce qui est juste et bon… je voudrais insister à nouveau sur son travail de recherche, sur sa mise en musique de textes totalement inédits… L’insertion de Michel K. a quelque peu faussé le contenu de cette page, il me semble.
Oui, l’excellent travail de l’ami Coko. Je n’ai pas vu ce spectacle mais connais son travail d’excellence, qui à la fois crée et s’en va fouiller dans la mémoire de la chanson. Ce qu’il fait est de rare utilité publique. Mais c’est vrai, comme le dit Claude Fèvre, qu’on ne commente pas souvent ce qui est juste et bon : je suis le premier a le regretter. Ainsi les articles de « découvertes » sont de loin les moins commentés. Parfois les moins lus aussi. A notre grand dam.
Magnifique interprétation de ce duo de redécouvreurs, Coko et Danito / Le Cri du Poilu, de Si je mourais là-bas, poème de Guillaume Apollinaire in Poèmes à Lou, dédié à Louise de Coligny-Châtillon, composé à Nîmes le 30 janvier 1915 :
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
- Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur -
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
Apollinaire a été blessé au Front en 1916, et , affaibli par ses blessures qui avaient conduit à une trépanation, est mort en 1918 de la grippe espagnole. Il est considéré « Mort pour la France ». Son ami Picasso est le concepteur de son monument funéraire au Père Lachaise
Quant à la chanson de Craonne, une de mes préférées, si l’on veut la version intégrale écouter par exemple la version de Marc Ogeret : http://youtu.be/wGrdG85mmL0