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Louis Ville, l’écchymose des mots

louis ville« Dehors la mer s’était tue, plus d’écume, plus de tumulte […] Dehors les hommes survivaient. » C’est chaque fois pareil : découvrir un nouvel album du vosgien Louis Ville, qui plus est en ces jours poisseux, douloureux, d’après carnage, est une expérience en soi. Mais on sait Ville, on tend l’ouïe et c’est sans surprise, si ce n’est que c’est terriblement beau. Sans surprise vous dis-je. Prenant. Sa chanson est supplique, souffrance, d’une indicible et charnelle beauté, d’une tension organique. Qu’on ne peut écouter distraitement, tant le chant déchirant de Ville prend tout l’espace, obsède et tourneboule vos sens, les tord comme on le ferait nerveusement de trombones sans coulisses : lui vous happe, vous vampirise de cette voix écorchée, blafarde, qui sue la détresse et saigne ses mots. Ville va dans le dedans des choses, en nos bas-fonds, nos cours des miracles, les sondent, leur tire des vers du nez : ça fait parfois des choses jolies, parfois d’un glauque infini. Il n’inspire pas la joie le Ville mais fait du pas gai, du Blablabla, du trop plein, du trop moche, du con qui se cache en lui comme en chacun de nous, une ode, une longue, doucereuse mais savoureuse complainte. D’où toujours surgit l’amour, même enlisé « dans le sable mouillé », qu’il rue dans les artères de la ville ou tournoie dans Le bal des fous. Ville a sa Jeanne comme hier Brel avait sa Frida : « Et puis surtout y’a Jeanne / Des fleurs plein les mains / Qui jamais ne se fane / Ma rosée du matin / Et moi je l’aime ma Jeanne. »

Si un certain la nuit mentait, lui La nuit, j’ose : « Et je chevauche des plaines endormies / Et j’écchymose des fesses aplaties / Et la nuit, la nuit vient. » De quelle encre, jamais seiche, est trempée sa plume ? Du noir et quelques valeurs de gris, du tourment, de furtifs instants de bonheur et de sexe, d’une désespérante lucidité, de l’observation de l’autre et de retour sur soi, de boniments…

Louis Ville, ça finira par se savoir un jour, est un artiste des plus impressionnants qui soient. Prodigieux et puissant, incontournable pour qui le rencontre un jour, une nuit. Cinquième album en quinze ans, cinquième pavé. Cette fois partagé avec ses « prédicateurs » que sont Pierre le Bourgeois au violoncelle et François Pierron à la contrebasse, fins archers qui ont plus d’une corde à leurs doigts, épousant de leur talent la dramaturgie et les tourments qui habitent en Ville, en ses banlieues.

 

Louis Ville… et les prédicateurs, Le bal des fous, Balandras/EPM/Universal 2015. Le site de Louis Ville c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est làImage de prévisualisation YouTube

2 Réponses à Louis Ville, l’écchymose des mots

  1. Gallet 20 novembre 2015 à 17 h 55 min

    Louis Ville, sans surprise dites-vous… pour moi si…Je découvre quelqu’un ! J’apprécie et partage votre enthousiasme .
    Je découvre Louis Ville, comme j’avais découvert Loïc Lantoine, tous les deux accompagnés par François Pierron, et sa contrebasse percussive. C’est beau !
    JPaul Gallet

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  2. Danièle Sala 28 novembre 2015 à 23 h 47 min

    « indicible et charnelle beauté, » , oui, « prodigieux et puissant », oui, c’est beau, c’est fort, mais pas sans surprise ! Je l’ai trouvé espérant cet album, où l’on sent la métamorphose de ce  » piètre marin » ce « déclencheur de tempête  » , qui se souvient joyeusement de la rue de son enfance, et qui se rend à l’amour  » je m’échoue à tes pieds, je t’aime tu sais  » .

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