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Ces demoiselles qui font leur jazz

Lou Tavano et Alexey Asantcheeff (photo Gilles Debeurme)

Lou Tavano et Alexey Asantcheeff au Petit Duc (photo Gilles Debeurme)

Lou Tavano et Alexey Asantcheeff  le 14 octobre 2016, Laura David Quartet le 18 novembre, Cathy Heiting et Jonathan Soucasse Duo le 28 janvier 2017, Le Petit Duc à Aix-en-Provence,

 

Cette année l’abondante programmation du Petit-Duc nous offre une vingtaine de concerts chansons de tous styles et origines les samedis, et se double de concerts de jazz les vendredis. Elle y fait la part belle au jazz vocal, dans lequel les demoiselles se font particulièrement entendre. Où finit la chanson, où commence le jazz ? C’est ce que nous allons tenter d’écouter…

Lou Tavano (photo Gilles Debeurme)

Lou Tavano (photo Gilles Debeurme)

Dans le couple que constituent Lou Tavano et son pianiste Alexey Asantcheeff (qui écrivent et composent en commun ou à tour de rôle), les mots comptent comme les notes, même s’ils sont plus souvent là pour créer une ambiance. Lou parvient même à faire reprendre celle du Bali en double voix par le public. La voix de Lou, dans la lignée d’une Sarah Vaughan ou d’une Joni Mitchell, dont elle reprend Good Bye Pork Pie Hat en hommage à Mingus, est soyeuse, enveloppante dans ses vocalises, douce dans ses graves. Elle s’accorde à son physique de flamboyante rousse, comme descendue d’un tableau de Gustav Klimt. Pour nous non-anglophones, elle est avant tout violon ou violoncelle, se posant sur les notes romantiques de son compagnon pianiste. Celui-ci tire de ses origines écossaises, françaises et russes par sa grand-mère la séduisante blondeur d’un Owen Wilson droit sorti de Midnight in Paris, pimenté d’un zeste de charme slave. Il mêle le lyrisme de ses influences classiques à la virtuosité de ses improvisations jazz. Lou nous conte puis nous chante, en français, le mystère de l’aïeule d’Alexey (qui répond en douces sonorités russes), cette Petite Pomme qui n’a jamais pu s’habituer à la France. Et touche juste au rêve d’Artiste de son compagnon « Lorsque ton cœur abrite l’espoir que ce soir du bout des doigts encore / Tu parviennes à toucher, émouvoir, enivrer, caresser pour un soir ce doux rêve de gloire. » Avant de nous faire une démonstration de virtuosité, ponctuée d’humour, sur la valse manouche Indifférence dédiée à son interprète magnifique André Minvielle. En rappel, La Javanaise reprise en chœur à mi-voix par le public permet encore à Lou une variation vocale en trompette bouchée. En toute fin, c’est elle qui reprend le piano, encouragée par son pianiste préféré. Un concert long en bouche comme un chocolat viennois.

Laura David Quartet

Laura David Quartet au Petit Duc (photo DR)

Autre style un mois plus tard avec la chanteuse Laura David et son quartet, qui s’adjoint Laurent Coulondre au piano et à l’orgue Hammond (élu Révélation des victoires du jazz 2016), Jérémy Bruyère à la basse et à la contrebasse, accompagnateur des plus grands et musicien classique symphoniste (ce jeune trentenaire est le leader d’un quartet où l’on retrouve Laurent Coulondre), et Martin Wangermée à la batterie. Parfaite osmose de ce quartet très swing, jeune et moderne où la chanteuse, cheveux courts et grands anneaux aux oreilles, se présente en débardeur, jeans et escarpins rose fuchsia. Ça jazze et ça vague en virtuosité vocale, scat et boucles mélangés aux instruments. De  grands standards comme Cry me a river, ses propres compositions ou celles de Laurent Coulondre (Melancholic Tribes) lui permettent toutes les improvisations, mettant en valeur l’étendue et la souplesse de sa voix. Un seul petit reproche, une gestuelle un peu appuyée. Il n’empêche que son charme séduit dans cet hommage à Thelonius Monk en sa version française de Claude Nougaro,  Autour de Minuit. Son interprétation de Song for David dédiée à son frère est pétrie d’émotion. Mais c’est encore en français et dans une œuvre personnelle, textes et musique, qu’elle peut y rajouter sens et préoccupation de notre « petit monde » : « Vous qui ne manquez pas d’air/ Allez donc voir sur la lune si j’y suis / Trouvez lui une autre mère / Moi je suis fatiguée d’être terre » (Tout petits hommes). En rappel, chaque musicien nous gratifie d’un superbe solo très applaudi, sur les vocalises de Laura.

Duo Heiting Soucasse

Duo Heiting Soucasse (photo d’archives DR)

Last but not least, le duo Cathy Heiting au chant et Jonathan Soucasse, bien connu des Aixois, remplit la petite salle pour deux soirs consécutifs, d’autant plus qu’ils envisagent à nouveau de reprendre leurs carrières solo. Elle, physique de cantatrice brune et opulente, n’hésite pas à mêler aux improvisations et scat typiquement jazz de grandes envolées lyriques. Sa voix très puissante de mezzo sait aussi se retenir dans la délicatesse, tenir des notes très basses comme monter dans les aigus, et résister très longtemps. Elle crée sur scène un personnage comique à la Marianne James, n’hésitant pas à prendre un accent anglais d’opérette ou une voix grave éraillée à l’accent du midi exagéré, maniant la parodie (La chanson qu’on kiffe, dont les paroles restreintes peuvent évoquer aux connaisseurs la petite provocation de Nougaro, Ya pad papa – « ya pas d’ paroles à ma chanson ») pour faire rire le public. Qui suit, participe, reprend en chœur. Jonathan avec sa chevelure blonde ondulée, sa silhouette mince peut faire penser à son aîné François-René Duchâble. C’est un virtuose du piano jazz, choriste et même compositeur de musique de ballets à ses heures, qui fait un peu le clown blanc par rapport au personnage de sa partenaire. Même s’il est lui aussi capable d’un numéro de « piano debout », mais juché sur son tabouret, cassé en deux sur son clavier en toute fin de spectacle. A retenir le medley de chansons jazz, l’interprétation inspirée d’ I love you Porgy, les belles reprises de standards de variétés, popularisés par Frank Sinatra , Gloria Gaynor ou Stevie Wonder. On est ici dans un autre registre que la chanson, dans un travail de vulgarisation de la musique jazz, tout comme les deux artistes l’ont fait par le passé pour la musique classique lyrique.

 

Pour les liens respectifs, cliquez sur les noms : Lou Tavano, Alexey Asantcheeff, Laurent Coulondre, Laura David, Jérémy Bruyère, Martin Wangermée et Duo Heiting Soucasse. Laurent Coulondre revient au Petit duc le 17 mars en leader d’un Trio où l’on retrouve Jérémy Bruyère et Martin Wangermée. Son nouvel album, Gravity zéro, sort le 3 mars.

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Une réponse à Ces demoiselles qui font leur jazz

  1. Anna Coluthe 8 février 2017 à 13 h 29 min

    Si je ne connais pas les deux premiers invités du « Petit-Duc », je me souviens très bien du duo Heiting Soucasse, qui avait remporté le tremplin du festival de jazz à Crest il y a deux ans (si ma mémoire est bonne, et il faudra qu’elle le soit car accès Internet très perturbé en ce moment) ; j’avais eu l’honneur et l’avantage de voir en ouverture dudit festival l’année d’après, sur la grande scène de Crest ! Ça avait été en effet une très chouette soirée ! :-) À la lecture de votre article, je constate qu’ils se sont encore bonifiés avec le temps !
    Merci aussi de diffuser ce qui se fait pour ceux — celle en l’occurrence — parmi vos lecteurs qui, ne voulant choisir entre le jazz et la java, sont aux anges lorsqu’ils — elle — entend(ent) des artistes faire sonner le jazz… en français !

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