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Barjac 2018. Joyet, un doué chez les Douai

Jacques Bertin, Jacqueline Girodet et Bernard Joyet (photo Anne-Marie Panigada)

Jacques Bertin, Jacqueline Girodet et Bernard Joyet (photo Anne-Marie Panigada)

Nouveaux récipiendaires du prix Jacques-Douai, pour cette promo 2018 : Jacqueline Girodet, pour son travail accompli au sein de l’association « Chansons buissonnières » depuis près de 25 ans, et Bernard Joyet. Un Joyet qui fut honoré, au moment de son discours, par un passage d’avion au dessus de lui : « La presse nationale est unanime : elle n’est pas venue… Mais qui peut se vanter d’avoir eu droit, pendant cette touchante cérémonie, à la Patrouille de France dans le ciel de Barjac ? » Pour mémoire, voici le discours déjà mémorable du Joyet ainsi distingué.

« Moi qui suis Bac -2…
Je n’ai jamais espéré, ni sollicité, quelque récompense pour avoir fait de mon passe-temps favori une sorte de profession artisanale, mais j’avoue que venant de vous, collègues, frangines et frangins de la note et du mot, cette reconnaissance me va droit au cœur et je vous remercie chaleureusement.

Jacques Douai est pour moi le symbole de l’exigence et du partage, loin des modes et des marchands, et c’est dans cet esprit que j’essaie de persévérer…
Lorsque je lis les noms de celles et ceux qui m’ont précédé, je me sens joliment entouré…
Je tiens à associer les artistes, interprètes, journalistes, diffuseurs, programmateurs qui sont suffisamment curieux pour chercher et dévoiler ce qui existe, plutôt que ce que les grands médias proposent.
Et, bien sûr, je n’oublie pas les musiciennes et musiciens qui jouent un rôle si nécessaire et important, enrichissant relief et couleur…
Merci, Nathalie Miravette, pour ces 15 années de complicité, merci Clélia Bressat-Blum pour cette nouvelle complicité, merci à celles et ceux qui me portent, me supportent me colportent, me confortent, me réconfortent.
Merci, Franck Halimi, et la belle équipe de cette boutique de proximité « Label Épique », merci Éric Nadot et son utopie salutaire.
Merci, public curieux et fidèle.
Merci aussi aux interprètes qui font vivre les textes et les musiques, longtemps longtemps après que les auteurs ont disparu, ou, simplement, qui leur permettent d’apparaître…
J’ai une pensée émue pour Jean-Roger Caussimon, qui fut le premier à m’encourager alors que j’exerçais encore un tout autre métier.
Une pensée pour Jean Vasca qui me fit programmer au tout premier Festival de Barjac.

Se retrouver loin du tapage médiatique n’est pas un choix de l’artiste.
Le fait qu’il ne se plie pas à certaines lois peut devenir un facteur aggravant.
Comme il forge lui-même ses lois, c’est ce qui va le différencier de l’autre.
Et s’il est cohérent et fidèle à ses lois, c’est peut-être ainsi qu’il forge « son style ».
« On n’écrit plus comme ça de nos jours, c’est dépassé », disait Didier Varrod à Mysiane Alès au sujet de mes chansons…
Il se trouve que, en même temps, il encensait deux albums de ma camarade Juliette dont chaque chanson, disait-il, est une pépite… Il se trouve que sur ces deux albums, j’étais auteur ou co-auteur de 9 des 22 pépites…
À la même époque, Isabelle Dhordain m’a dit personnellement : « si j’avais une émission quotidienne je passerais ce genre de chanson » mais, dans une émission hebdomadaire, je ne peux pas programmer « ce genre de chanson », je risquerais de perdre mon emploi…
Ce à quoi j’avais répondu compatissant : « je ne voudrais surtout pas que vous perdiez votre emploi, à cause de « ce genre de chanson ».
Il se trouve que, la semaine suivante, elle recevait Juliette qui interprétait « La paresse » dont je suis l’auteur et le compositeur.
Ce genre de chanson…
Une chorale, d’ailleurs superbe, présente ainsi son répertoire : « Tableaux burlesques ou émouvants se succèdent avec précision pour donner du relief au répertoire qui se veut aussi proche de la chanson d’hier (Jacques Brel, Michèle Bernard, Bernard Joyet…) que celle d’aujourd’hui (Yves Jamait, Les Ogres de Barback…). « 
Me voilà donc d’hier et d’aujourd’hui, puisque mon camarade Yves Jamait me fait l’honneur de chanter des chansons dont je suis l’auteur… et Michèle Bernard va très bien.
Il y a quelques années, sur le grand catalogue du festival Off d’Avignon, je figurais parmi les auteurs morts…
Remarquez que, là aussi, je me sentais plutôt bien entouré…
Je persiste à croire que l’on peut écrire de nos jours « ce genre de chanson », et ce prix que vous me décernez en est la preuve.
J’aime les mots, un alexandrin de Corneille, Rostand, Richepin, Brassens, Clément Bertrand…
Une fulgurance de Shakespeare, Pascal Mathieu, Allain Leprest, Loïc Lantoine, Alexis HK, une fable d’Esope, La Fontaine, Anne Sylvestre, Liz Van Deuq…
Une blague ou un aphorisme d’Alphonse Allais, Vialatte, Devos, Desproges, Albert Meslay, Sourigues, Sarclo, François ou Gérard Morel…
Mais, qu’importe l’époque, qu’importe la génération, les sujets sont éternels, qu’il y a-t-il de ringard à les traiter, hors des modes, hors du temps, avec les mots de notre dictionnaire ?
Un facho peut mourir. Le fascisme reste. Ce sont les idées qu’il faut combattre ou défendre.
La connerie est universelle et intemporelle, elle survit à toutes les modes… et quel qu’en soit l’habillage, il en va de même pour une mélodie ou une suite harmonique…
Mozart, Bach, Satie, Les Beatles, en ont inspiré plus d’un, et en inspirent encore, bien heureusement…
On se fout de l’air du temps… « la musique actuelle, ça n’a pas plus de sens que la connerie actuelle »… l’une et l’autre sont éternelles.
Il en va de même pour l’amour, la colère, la peine…
Je répète à longueur de temps que tout a été dit, certes, mais pas par moi, alors le mirliton persévère…
Voilà ce qui me guide, voilà ce que j’ai envie de partager.
Je suis un artisan heureux !
Et si la pratique de cet artisanat fait de nous des artistes, je suis un artiste heureux !
Honoré par ce cadeau que vous me faites, j’aimerais, pour terminer, vous offrir les paroles d’une petite chanson que j’ai intitulée « Ratures »

Parfois, lorsque les mots me manquent,
Je chine dans mes vieux cahiers
Où gisent des brouillons rouillés.
C’est ma branche de coudrier,
C’est mon pendule, c’est ma banque.
Je lis, je relis mes ratures,
Haut et fort pour les réveiller.
Ma vie, c’est quelques mots rayés,
Des esquisses dépareillées :
Tout le reste est littérature.
Le Pauvre Lélian est sévère,
L’art poétique est sans pitié,
Comment chanter un monde entier,
Quand on n’en sait pas la moitié ?
Mais, le mirliton persévère.
Alors, je persiste et je signe.
Et je me trompe et je m’y perds,
Car je n’ai pas l’œil de l’expert.
Mais, par chance, entre deux impairs,
Je tire un poisson de mes lignes.
Une pêche miraculeuse,
Une pépite d’orpailleur,
Le pourboire du balayeur.
Du pire, j’extrais le meilleur :
Le soleil de la nébuleuse,
Ces radicelles que j’exhume
De mon jardin de graffiti,
Ces balbutiements d’apprenti,
C’est mon roman anéanti
Où des vers fêlés me résument.
Maladresse d’une main gauche,
Fossile d’un cadavre exquis,
Sur un coin de nappe un croquis,
On ne sait pas pour quoi, pour qui,
C’est le stigmate d’une ébauche,
Une étincelle pyromane
Dans mes jachères de bavard.
Ce sont les aveux d’un buvard,
C’est la cassette de l’avare
Pour ma mémoire cleptomane.
C’est une douleur qu’on rallume,
Un bateau ivre chaviré,
C’est une photo déchirée.
Je n’ai que tes yeux pour pleurer,
Mais c’est de l’encre pour ma plume,
Au creux d’une rime orpheline.
Tes mots emmêlés dans les miens,
Sous trois notes de bohémien,
Des promesses de comédien
D’un Pierrot à sa Colombine.
Je lis, je relis mes ratures…
Tout le reste est littérature. »

 

Le site de Bernard Joyet, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Image de prévisualisation YouTube

3 Réponses à Barjac 2018. Joyet, un doué chez les Douai

  1. Joël Luguern 7 août 2018 à 1 h 25 min

    Je n’en connais pas la mélodie, mais les paroles de « Ratures » sont
    magnifiques. Tellement beau qu’on dirait du Caussimon…
    Je comprends maintenant pourquoi Jean-Roger Caussimon a encouragé Bernard Joyet à se lancer dans la chanson. Il s’est probablement dit: quand je ne serai plus là [il nous a quittés il y a plus de trente ans], Bernard Joyet continuera à faire vivre la belle chanson artisanale.
    Il avait raison, Monsieur Caussimon.
    C’est Pierre Barouh qui avait poussé l’auteur de « Comme à Ostende » à se lancer dans la chanson au tout début des années 70. Et c’est Jean-Roger Caussimon qui, à son tour, a poussé Bernard Joyet à se lancer dans la chanson. Ainsi va la vie… et la chanson.

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  2. Jean Pierre Gleize Bourras 9 août 2018 à 19 h 47 min

    Ah ! Quelle jubilation d’entendre au Festival « Les originales » à Morlaix des spectatrices ébaubies (Bernard je sais que tu lis les commentaires : essaie de placer « ébaubi » dans l’une de tes chansons… encore que…)
    Ebaubies, et conquises dirent :
    « Mais qui c’est donc qu’ce Joyau là »

    Répondre
  3. Gérard 13 août 2018 à 17 h 38 min

    Salut Bernard,

    et merci pour ce discours plein de justesse et d’élégance et pour ce texte magnifique.
    En attendant le plaisir de te revoir (la dernière fois c’était à Suilly la Tour, en Bourgogne, à deux pas de chez moi, avec Nathalie) continue à nous esbaudir, tant qu’il te restera des mots.

    Gérard

    Répondre

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