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Off Avignon 2018, Batlik, là où le jour ne va jamais

Batlik en quatuor à l'Arrache-Cœur en juillet 2018 © Nicolas Blanchard

Batlik en quatuor à l’Arrache-Cœur en juillet 2018© Nicolas Blanchard

9 juillet 2018, l’Arrache-cœur,

 

Cet automne, nous l’avions laissé se demander « ce que nous sommes »,  Au bord de l’abîme ou Ailleurs, là où l’ennui et le malheur sont les mêmes. Entre temps Batlik,  revenu danser sur le pont d’Avignon, s’est métamorphosé en un désopilant « Peter Falk en chemise à fleurs », enquêteur maladroit d’une sombre affaire criminelle qui peut rappeler Crime et châtiment, d’autant plus qu’elle se passe à l’Est, en Roumanie, et qu’on en connaît dès le début la victime comme le criminel, le voisin de chambre de Batlik. Vous n’arrivez pas à appréhender Stéphane Batlik comme humoriste même satirique ? Vous avez raison.

Le ressort comique de l’affaire est cet auteur roumain nihiliste dont Batlik prétend ne mémoriser jamais le nom,  bien que le citant à chaque anecdote suivi d’une chanson. Auteur inspirant chacun des actes de la vie de  ce compagnon de chambre, qui a eu le bon goût de se suicider par pendaison dans leur lieu commun de villégiature, après avoir passé son temps à lui expliquer le paradoxe de la vie, tant que Batlik se demande s’il ne s’agit pas indirectement d’une atteinte à l’intégrité de sa personne.

Les dix réflexions de ce héros ont été transcrites par Batlik dans l’esprit des écrits du philosophe-poète roumain Emil Cioran dont le premier ouvrage en français est un Précis de décomposition. Insomniaque, pessimiste, désespéré, ses œuvres s’intitulent Syllogismes de l’amertume, La tentation d’exister ou De l’inconvénient d’être né. Ecrites avec un scepticisme cynique et humoristique,  n’allant pas lui-même jusqu’au suicide mais menant une vie sobre uniquement éclairée par l’art ou la part heureuse de sa vie intime.

Batlik nous distille  ce mélange de vision très noire dans ses textes et d’humour caustique, pince sans rire, dans son récit qui nous cerne, nous emmène, nous promène ; si l’on ne comprend pas toujours, on marche au pas de ses éléphants blancs. La vie n’y coule pas sans remous : « si l’on vit sa vie comme on nage ici c’est brasse coulée / sous les eaux les orages les eaux gagnent en hostilité / qu’il est secourable d’aimer sans être aimé ».

Comme à l’habitude c’est mélange d’écrits de forme simple en apparence, réduisant les mots de liaison à leur minimum, dans un rythme obsédant, presque grisant, et  idées à creuser sous le choc des mots…Avec les voix chamaniques de Fanny Charmont et de Viryane Say à la basse,  celle à la fois râpeuse et douce  de Batlik, reconnaissable instantanément, chantant, psalmodiant, et sa guitare omniprésente, plus la batterie entêtante de Benjamin Vairon. Qu’on le suive ou pas sur le fond, on se laisse prendre à ce drôle de récit, à ce voyage initiatique envoûtant. Batlik a pris soin de nous distribuer les textes de ces chansons qui sont autant de poèmes et de méditations à découvrir lors de vos soirées d’insomnie. On y revient.

La clé se cache un peu partout, au détour d’Avalanches : « ça ne se voit peut être pas mais ça se perçoit. » Qui continue en couleur : « ça a déteint sur toi comme un bleu de chine / regarde juste là t’en as » ou Seulement : « Il faudra faire avec le manque souvent »
Au gré des conversations « une faveur initiale » qui finit par « une fuite de fureur » caractérisent l’amour, et Batlik dans Garde fou clôt « ouvre porte allez fait faveur » par « ouvre porte fait fureur ». Avec toujours la métaphore du chien fidèle à sa louve craintive :  « louve craintive voilà preuve / acte doux cadencé / fait sous came mais fait soigné ». Batlik réinvente sa langue en créole batlikais, elle ne comporte aucune majuscule ni ponctuation sauf les points finaux, et des points d’interrogation, et on a besoin du texte. On y revient à une sorte de poésie médiévale « j’offre à toi ce que toi voulais ».

De promenades insomniaques en discours sur la vérité, d’outrage en renversement, de rêve en vélo vert sur la route en lacets, l’art de la défaite tient dans le demi-tour sur soi. Pour « faire taire ce désir / de toujours être là (…) la jolie réplique / que celles du non dit / et de la musique ».

 

L’art de la défaite, Batlik était à Avignon du 6 au 29 juillet dans le cadre des talents Adami. L’album du spectacle est prévu pour fin 2019, prochaine tournée 2019-2020.
Le site de Batlik c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là.

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