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Avignon Off 2019. Bien Vénus à Gatica

Avignon, c’est parti et bien parti ! Une fois les remparts franchis, fournaise, affiches, brouhaha et tracteurs vous assaillent comme nulle part ailleurs. Ici, le spectacle vivant se met en 4, en 12 en 100… pour faire entrer le chaland dans la salle où il officie. Et quand on sait que ce sont près de 1600 spectacles qui sont proposés chaque jour dans le Off d’Avignon, on comprend vite que, pour séparer le bon grain de l’ivraie et se concocter un programme pertinent, il va falloir être sacrément organisé. Mais, le vieux routier de la Cité Pas Pâle que je suis sait désormais éviter les chausse-trapes : je savais donc que, dans cette odyssée 2019, le théâtre de l’arrache-coeur serait mon premier port d’attache. En effet, dans l’une de ses deux salles (dénommée Moustaki), sous la houlette avisée de Xavier Lacouture, cela fait quelques années que, soutenu et aidé par l’ACP Manufacture Chanson et le Fonds d’aide à la diffusion chanson du Festi’Val de Marne, l’Adami programme des spectacles chansons, dans le cadre de l’opération « Talents Adami On Y Chante ». Et sur les 5 artistes mis en avant cette année, mon premier choix s’est porté sur Gatica.

Gatica (photo Jean-Marc Coquerel)

Gatica (photo Jean-Marc Coquerel)

D’emblée, la chanteuse nous cueille et nous accueille dans son « abri » climatisé : « Viens, je t’ai fait une place / Viens, même s’il faut qu’on se tasse ». Polie, mais pas policée pour un peso, la native de Santiago du Chili joue franc-jeu et annonce la couleur : tout ceci ne se passera pas sans doux leurres, ni sans douleurs. « J’ai traversé le désert (…) traversé la Cordillère, Mais tu n’étais pas là (…) / À quoi sert d’être ici, si c’est seule, Si toi, tu n’es pas là pour voir ça, À quoi sert d’être ici, si c’est seule, Si toi, mon cher amour, tu n’es pas là ». Nous y voilà ! On n’échappera donc pas au sujet par excellence des chansons depuis la nuit des temps : l’amour. Mais, Alejandra, sa muse, s’amuse à le conjuguer comme peu, à ma connaissance, l’ont fait avant elle : en l’anthromorphisant. Car cet amour qui va et vient, qui s’absente quand elle aimerait tant qu’il soit un présent du présent, hé bien… cet amour du passé, cet amour dépassé, va devenir un être (bien trop) humain dans un monde sans pitié, venant empiéter sans piété sur nos vies vides et livides. Car elle en a « versé des larmes à faire pâlir les salars les plus grands », renvoyant les déserts de sel de son Amérique du Sud natale à un régime sans elle, bien fade et bien sad. Pour que l’accord d’hier descende de son piédestal de la Cordillère des Andes et ne soit plus ce qu’on a cru qu’il put être (merci de bien vouloir faire entendre les liaisons dangereuses de cette phrase en la (na)lisant à hot voie).

Mais, déboires, déceptions, déconvenues, dégoûts, dépits, déplaisirs, désagréments, désappointements, désillusions s’effacent d’un seul coup d’un seul, quand « tus ojitos negros me miran de lado«  (« tes petits yeux noirs me regardent de côté« ). « Abre los ojos, dame la mano, te quiero ensenar la maravillas de la vida » (Ouvre les yeux, donne-moi la main, je veux t’enseigner les merveilles de la vie »). Car chez cette femme qui s’abreuve d’amour « avide dame aterne âme », la maternité est venue renforcer ce besoin de se désaltérer à la source de l’altérité et de l’altruisme. Et c’est par la grâce de sa langue maternelle (dès qu’elle chante en espagnol, sa voix perd des graves et se perche plus dans les médiums hauts, comme si un inconscient -mais impérieux- appel des sommets prenait possession de ses cordes locales) qu’elle délivre au p’tit mâle brun son message optimal. Car prendre un enfant par la main pour l’emmener vers demain fait partie de ces gestes d’amour qui lui sont de vœux nus et sans ciel… C’est d’ailleurs juste le moment que choisit « l’ange » (écrit par Nicolas Roudier de 26 Pinel, le groupe avec lequel elle s’est exposée et a explosé) pour apparaître : « Comme moi, l’ange a des ailes, mais ne sait quoi en faire, J’ai dû m’en occuper, lui apprendre à voler. Comme moi, l’ange a deux têtes, mais ne sait quoi en faire, J’ai dû m’en occuper, lui apprendre à rêver. Comme moi, l’ange a mille pieds, mais ne sait quoi en faire, J’ai dû m’en occuper, lui apprendre à danser. Comme moi, l’ange a une auréole, mais ne sait quoi en faire, J’ai dû m’en occuper, lui apprendre à aimer. Comme moi, l’ange n’a pas de sexe, que vais-je bien pouvoir faire pour m’occuper au prochain millénaire ? » Cette magnifique chanson lui a d’ailleurs valu de remporter le formidable Prix Moustaki, en 2018. Tiens, tiens… ne serions-nous pas en train d’assister à un tour de chant d’amours désenchantées, dans la salle Moustaki du théâtre de l’arrache-coeur ? On dira bien ce qu’on voudra, mais ça fait belle lurette que, à l’instar de Gatica, je ne crois plus au jeu de l’amour et du hasard : quand elle sait ce que son mari vaut, la femme ne se berce plus d’illusions (et vices vers ça)…

(photo Armelle Yons)

(photo Armelle Yons)

C’est donc « le retour de la reine » (titre éponyme de son dernier EP) qui revient alors sur le devant de la scène. Car la belle a repris du poil de la bête : « J’ai écrit ton nom sur un bout de papier, puis je l’ai déchiré. Je t’ai éparpillé dans l’escalier. Même si tu fais la gueule, je referais pas le puzzle, oui les dés sont jetés, mon cœur est réparé (…) Je suis la Reine du Monde, le cœur content. Je ne suis plus l’ombre de ton ombre, j’ai revêtu le cœur battant, ma belle parure de diamants et mes amants s’immolent pour moi dans un feu de joie. » La femme blessée s’est relevée, le cuir tanné par l’expérience de la vie, du con battu au parcours du cœur battant, Gatica a su se construire l’art mûr qui lui sert désormais d’armure. La fleur bleue n’a pas perdu les pétales sous les coups de blues et ce drôle de pas pion a su s’extraire de sa crise à lead pour devenir une artiste que l’on prend un plaisir infini à découvrir de la sorte. Parce que, même si l’on sent encore quelques maladresses dans les inter-chansons (j’ai assisté à la 2ème représentation sur une série de 21), je n’ai encore pas écrit que, outre toutes les vertus que je trouve à sa démarche, à ses textes, à son interprétation, à sa guitare éclectique et à sa prestance de rockeuse, Gatica propose, avec ses deux « girls sûres », Lola Malique (violoncelle, clavier et choeurs) et Clara Noll (percussions et choeurs), un trio de drôles de dames tout à fait réjouissif. D’autant que arrangements instrumentaux et harmonisations vocales ne sont pas là pour dénaturer un tableau que l’on découvre, morceau par morceau, et sans repentir aucun.

Comme je sais parfaitement que je vais me faire engueuler par le rédac’ chef pour la longueur de ce papier, je vais m’arrêter là. Mais, je reviendrai bientôt vous parler de l’autre moitié de ce tour de chant qui a parfaitement réussi son coup. « Embrassons-nous » était son cri d’appel : OK, je l’avoue sans peine (et vous l’aurez compris), c’est tout à fait réussi ! Gatica m’a piégé dans sa toile d’araignée comme Lhasa et Bashung ont dû la prendre, elle, à un moment ou à un autre dans leurs filets. De l’une, elle a le charme énigmatique quand, comme l’autre, elle parvient à distiller une poésie singulière, qui la distingue derechef de ses consoeurs et confrères. Et tout ces paramètres articulés les uns aux autres font de cette proposition unique un moment de communion de pensée rare. Où l’on se sent juste bien. Vénus à Gatica, c’est donc tout le contraire de « Bienvenue à Gattaca » : ici, nul clone parfait issu de l’eugénisme, juste la beauté d’un geste esthétique accompli par une femme cabossée et transpercée par la vie, mais qui a bossé pour trans-bercer sa vie…

 

Gatica, Embrassons-nous – Théâtre de l’Arrache-coeur (13, rue du 58è R.I – Porte Limbert), salle Moustaki, du 05 au 28 juillet 2019 à 18H – relâches les 10, 17 et 24 juillet 2019.

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