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Daniel Lavoie, une voix pour Rimbaud

Laurent Guardo et Daniel Lavoie ©Laurent Ulrich

Laurent Guardo et Daniel Lavoie ©Laurent Ulrich

En 2016 Daniel Lavoie donnait un album autobiographique, ou plutôt introspectif, plein d’âme, Mes longs voyages, avec la merveilleuse réinterprétation de la chanson titre, de Félix Leclerc, serai-je assez iconoclaste pour dire que je la préfère à l’originale ? Mais aussi de superbes reprises de Bashung (un La nuit je mens plein de nuances et d’émotion), de Leprest (Une valse pour rien à pleurer d’empathie mélancolique), et deux saluts à Ferré, et pas des moindres, Avec le temps et C’est extra. La dizaine de titres personnels était pleine de surprises, de l’émotion à l’humour, avec son Cimetière des rêves dansant plus léger dans les espoirs perdus, son émouvante Maman chantait les feuilles, ou le spectral Stixx, de son fils Joseph, samplant tant Bashung que Ferré et Leprest, nous conduisant directement dans un au-delà aquatique et rêvé.

Depuis, nous attendions avec impatience un nouvel album, et cette nouvelle collaboration avec Laurent Guardo. Nous avions beaucoup aimé la Licorne captive, sorti en 2014, inspirée de légendes et de musiques renaissance, avec déjà deux emprunts à Rimbaud, Ophélie et le Bal des pendus. Ophélie y flottait sous ses voiles dans une eau putride, dans un sombre marécage. L’ambiance était mystérieuse, mélancolique et rêveuse, et le bal était dissonant, frissonant et macabre à souhait. L’image se formait sans peine devant nos yeux. Le reste de l’album était tout aussi évocateur…

Ici Laurent Guardo passe à la vitesse supérieure, en concevant tout un album consacré à Rimbaud. À part Ma bohème, cri dissonant, tendu, libéré, et Le dormeur du val,  il n’a pas repris les titres que Ferré avait mis en musique. Ces poèmes sont surtout extraits des Cahiers de Douaiécrits en 1870 à seize ans par Rimbaud, mais entremêlés à des extraits des Derniers vers de 1872, ou des Illuminations, écrits de 1872 à 1875. Lorsque les poèmes ne sont pas ainsi rallongés, ils enflent en répétant certaines strophes. C’est ainsi que les six quatrains de L’Éternité, répétés, avec la voix de Bruno Pelletier en écho, des cordes, des chœurs, des sifflements, s’étire lentement… Les œuvres sélectionnées sont parmi les plus fulgurantes et les plus picturales de Rimbaud, les mots choisis créent plus un sentiment d’étrangeté que d’obsolescence, le décalage en fait la modernité. Et l’habillage tout à la fois rock, trad et électro – écoutez Le loup criait, mélange de trois poèmes, sa vielle, son ambiance orientale, ses sonorités grinçantes, l’audace du traitement de la voix – est fait pour mettre en valeur cette poésie là. Laurent Guardo, outre les guitares, basse, pedal steel, percussions, piano, celesta, pemmade dont il joue lui-même, a convié instruments anciens et modernes : vielle, viole de gambe, violoncelle, contrebasse, harpe, erhu (une sorte de violon traditionnel chinois), duduk et clarinette, plusieurs choristes, une comédienne.

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D’une façon générale dans cet album, les poèmes de Rimbaud, même les plus légers, depuis l’Aube, rallongée, brûlante, où Nanette Workman fait écho, jusqu’à cette Comédie en trois baisers aux paroles légères « malinement (…) petits pieds si fins (…) brisure de cristal » deviennent des tragédies, intensément portées par la voix vibrante de Lavoie. Vertige, épopée infernale, à la métrique révolutionnaire, « Industriels / princes , sénats / Périssez », dystopie chaotique, « La terre fond », prend une allure prophétique. Seule La rivière de Cassis, portée par Bruno Pelletier, sur des cordes et percussions subtiles, semble plus légère.
Le dormeur a déjà été chanté, tel une berceuse, par Yves Montand, et d’ailleurs ses vers chantent déjà. Les nombreux rejets créent du rythme et du suspense. Les mots y sont tout à la fois simples, picturaux et inattendus. Le film se fait tout seul. De ce court poème, cette synthèse dramatique qui commence comme un rêve bucolique, et finit en drame, le compositeur fait ici le second plus long morceau de l’album, en l’étirant de répétitions, le traite comme une mélopée, nous fait attendre le dénouement. La musique des mots y perd un peu, et l’efficacité du pamphlet pacifiste aussi. Pourtant, nous dit Lavoie, c’est le titre dont il se sent le plus proche. Comme son titre culte Ils s’aiment, qui clôt l’album dans sa version numérique seulement, il parle de la guerre, menace réalisée chez Rimbaud (il y évoque la guerre franco-prussienne de 1870), en suspens chez Lavoie.

En opposition, des vingt-sept quatrains de Ce qui retient Nina, seuls six ou sept ont été retenus, coupés par le tercet qui fait office de refrain « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. » extrait des Illuminations. Une strophe de cinq vers en prose de même origine, pleine de mystère, d’étang qui fume, de sorcière et de violettes frondaisons, s’y est rajouté, se greffant sur la promenade sylvestre. L’idylle rêvée avec Nina se transforme en balade campagnarde onirique, quasi épique, comme une tapisserie médiévale, qui en fait une pièce progressive plaisante, dont la longueur est heureusement rythmée par le refrain et son leitmotiv « Et je danse ».

L’album, enregistré entre 2014 et 2022, douze titres mais tirés d’un plus grand nombre de poèmes, est pensé  tout à la fois anthologie poétique, et synthèse musicale. Vous allez adorer, ou détester. Trop long, trop torturé, trop dramatique ? Ou emballante épopée musicale ? À vous de voir (d’écouter !).

 

Daniel Lavoie chante Rimbaud, un projet musical de Laurent Guardo, La rivière de Cassis, Tandem EPM/Universal, 2022
Le site de Daniel Lavoie, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.

Le 28 septembre 2022, Daniel Lavoie a été intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens à Toronto. 

Daniel Lavoie chante Rimbaud, extraits Image de prévisualisation YouTube
« Ce qui retient Nina », audio Image de prévisualisation YouTube
« Vertige », audio Image de prévisualisation YouTube

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