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Lionel Damei, Agnès Jacquier, à l’encre de la vie

Photos ©Catherine Laugier

Photos ©Catherine Laugier

15 février 2023 fin de résidence « Jardin solaire »
Idééthèque des Pennes Mirabeau

Lionel Damei et Agnès Jacquier se connaissent depuis fort longtemps, ils se sont rencontrés à Grenoble dans les années 90. Le mari d’Agnès, Laurent Jacquier, orchestrateur et compositeur éclectique est d’ailleurs le compositeur des dernières chansons de Lionel. Ces deux là étaient faits pour une rencontre artistique, Lionel Damei étant lui-même comédien, chanteur et danseur. Autodidacte en danse, il a découvert cet art à Grenoble avec le danseur chorégraphe Jean-Claude Galotta, et a mis ses mots, sa voix et ses pas sur les mélodies d’Henri Torgue pour l’album Les amours qui se perdent, orchestré par Jacquier, qui a ensuite entièrement réalisé et composé le spectacle et album suivant en 1998.
Avec le retour de Jacquier à la composition, le projet de re-création en piano-voix d’anciennes chansons, et d’élaborations de nouvelles, s’est imposé comme une évidence, favorisant les retrouvailles du chanteur et de la pianiste (plus de) vingt ans après, dans ce superbe lieu polyvalent de rencontres et d’action culturelle.

Nous avions connu Lionel Damei accompagné par le déchirant Venitucci à l’accordéon,  ou en trio à cordes, en sus du piano, également en formation guitare clavier batterie. Qu’allait donner un simple piano-voix ? Nous avons étés immédiatement séduits par le jeu d’Agnès Jacquier qui semble contenir tout un orchestre, doux, puissant, délicat, tout en nuances. Il faut dire que les arrangements pour piano ont été réalisés par Laurent Jacquier, dans la lignée de la version orchestrale de L’homme traversé écrite en 1998 pour les Musiciens du Louvre, et cela se ressent instinctivement.

DAMEI 2023 02 16_192415774.NIGHT signéeLionel Damei nous convie En souvenance dans son Jardin solaire, depuis la toute première chanson, Apparence, composée à vingt ans lors d’une virée en voiture « Le masque craquelle (…) Apparat, apparence / Mes couleurs d’Arlequin cachent ma désespérance ». Tout Damei est déjà là, mélange de souffrance et de jouissance, de douceur et de force. Il puise son inspiration dans ses émotions et sa sensibilité exacerbés, dans des autoportraits qui se brisent et sont pour chacun.e. autant de miroirs. La vie est difficile à qui la ressent tellement fort, si belle aussi.
Se mêlent les souvenirs d’enfance, dans les odeurs d’une Marseille déjà porte d’Orient, « étoile poivrée dans un ciel chimère » (Les ailes de Marseille), refuge chez cette marraine venue d’Algérie, « C’est une porte en pain d’épices / Pour mes quatre heures, mes caprices / Je me glisse dans ce jardin plein de délices » (L’Autre porte, qui rendait jalouse une mère protectrice). La musique vous transporte au pays des enfants entre Alice et son jardin merveilleux, et Hansel et Gretel et leur maison gourmande. Les notes dansent, tanguent, Damei tourne sur lui même en pirouettes spatiales, en mains qui se croisent comme celles d’un Rodin. Sa voix retenue, grave et douce, est capable de monter avec une puissance lyrique, de se lâcher complètement. C’est aussi baroque que sincère, et ça vous prend autant au cœur qu’aux tripes.
Viennent les périodes plus difficiles, quand à l’adolescence son Secret est percé, lorsque sa mère découvre les lettres interdites, et qu’il vit la peur au ventre. À mots délicats il conte ses souvenirs, amours sacrés ou Amitié amoureuse, ou, franchement, vide sa colère « Je préfère le froid de ma grotte polaire à ton chemin trop droit ».
La première partie du spectacle couvre les années 80 à 2000, entre chansons des premiers albums et inédites, comme cette Ogre de paille, qui fut chantée avec William Sheller qui l’avait arrangée pour un orchestre symphonique. Cet ogre, c’est Diden Beramdane, le génial mais contesté directeur du Théâtre Notre-Dame d’En-bas. Il fit les beaux jours de la programmation théâtrale de Grenoble de Shakespeare à Arrabal pendant trente ans (1), et aussi de la chanson avec notamment le Festival Paroles de chanteurs (2). En 1995 il laissait sa salle de cent-soixante-six places pour trois semaines à Damei pour qu’y vivent ses chansons… 

Capture d'écran

Capture d’écran

La deuxième partie met à l’épreuve la mémoire de leur auteur, car constituée de nouvelles chansons jamais chantées sur scène, qui reflètent le monde difficile des années Vingt (du XXIème siècle !). À côté de la Sainte-Baume, refuge végétal, minéral et sacré de l’arrière pays marseillais, on y repère Le paradoxe du serpent, métaphore des temps actuels, aussi inquiétante  que sa musique. Ou le slam Jouer avec le feu «Une vie comme ça, mais ça s’arrose / D’essence et on y met le feu / C’est vraiment beau quand ça explose » qui stigmatise tant la recherche d’une illusoire jeunesse « Elle ne fait pas son âge / D’ailleurs elle ne fait rien », que les nouveaux riches, la fausse culture par un romancier facile. Et n’hésite pas à conclure sur un autoportrait vachard, « Rendez-vous dans la glace depuis des décennies (…) Et toujours cette phrase / Va, c’est bientôt fini ».
L’encre de l’écriture irrigue les chansons, se muant en « Ancre-moi », poignant appel au secours « Je me noie / Il n’y a que toi qui me protège / De moi ». Ou évoquant dans cette superbe formulation « Il n’y a plus d’encre à perdre » la dramatique période des années 80, où à 18 ans dès 1983, Damei voit mourir ceux qu’il admire ou qu’il aime.
Damei rendra à nouveau hommage à Dalida avec cette si lyrique et touchante
Soleil de cendres, et à la mère de la chanson (et du slam), une femme libre, Yvette Guibert dont la tombe est au sommet du Père-Lachaise  « charmeuse de mots / femme serpent / aux petits hommes elle tenait tête / et les traitait du bout des gants ». Et comme Damei est fidèle dans ses amitiés, c’est à son amie l’écrivaine Claudine Galea qu’il dédie Le roman de Claudine.

Voir, entendre Lionel Damei est une expérience inoubliable. Ne vous en privez pas, faites le venir dans vos salles. Ça s’appelle tout simplement du spectacle vivant, et le public de tous âges ne s’y est pas trompé.

 

(1) Autres temps, le théâtre ne programme plus que de la Musique du monde depuis 2015, où il quitta malgré lui son théâtre.
(2) Pour mémoire, en 2015 y furent programmés André Minvielle, Michèle Bernard et Cyril Mokaïesh.

La page facebook de Lionel Damei, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. 

Extraits du spectacle Image de prévisualisation YouTube
« L’autre porte » ( en 2007)  Image de prévisualisation YouTube

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