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Danzin, à nos rêves heureux

Pierre Paul Danzin à Viricelles 2023 ©Nadine Le Roscouet

Pierre Paul Danzin à Viricelles 2023 ©Nadine Le Roscouet

L’ambiance est posée dès la réception de l’album : elle est noire, grise, plus marbre funéraire que tour d’ivoire avec cette colonne brisée monumentale et cataclysmique, impressionnante œuvre d’art du couple Poirier qui orne une aire de l’autoroute Lyon – Clermont – Ferrand. Vous ne pourrez pas passer à côté d’elle sans éprouver une forte émotion, mélange d’admiration et de crainte.

Le monde va mal, c’est confirmé, quand Pierre-Paul Danzin se révèle plus désespéré que combatif.  Si Bleu Cobalt et Aujoud’hui c’est demain dénonçaient déjà les hideurs et les absurdités de notre monde vénal et indifférent, les voix et les voies de l’espoir prédominaient, ouvrant large les portes d’un nouveau départ, car tous les progrès sociaux ont débuté par une utopie.

Mais ici bien des chansons sont exceptionnellement sombres, tels ces Rêves de glisse de bateaux qui pourrissent au port « dans cette foule sans tendresse (…) prisonniers de ce monde barge / SOS », ou « Sous les ponts coulent des larmes », à tous les exclus, à qui manque avant tout de l’amour, de l’empathie. Aux gens de peu aussi le désenchantement d’un monde en « éternelle crise » où le seul défi reste un toast Aux enfants de 2020, parce qu’ « Une chanson c’est aérien / Mais ça se boit comme les paroles ».
C’est le confinement, mais bien plus le monde fermé qui l’entoure, qui lui fait écrire « Comme le temps je suis maussade. Il pleut des cordes sous mes paupières ». Le printemps lui arrache à peine un petit Bravo, tant cette question le taraude : « Je crie : Mais où va le monde / Ma belle boule bleue » ?

Même les amours sont en berne, avec Amer magma, très étrange lettre d’amour, d’une grande amertume, sur le temps qui passe et les occasions perdues, ou cette Te dejo (je te laisse), douloureuse, pétrie de références littéraires et de jeux de mots-allitérations, altérations, où même la voix si chaleureuse et douce de Pierre-Paul ne parvient à réveiller la flamme « Comme la fleur de peau embrase ma houillère / Le charbon de ma voix, ma mine de crayon / Et cette solitude des soirs de réveillon ».

Photo ©Serge Fléchet

Photo ©Serge Fléchet

Seules respirations, le manège de La belle histoire, en souvenirs d’enfance ; ce merci à tous ces terriens, du comédien à l’astrophysicien, (vous devinerez sans peine de qui il parle) « un brin aérien et un rien vaurien » qui ont eu le souci des autres ; ou le souvenir de tous ces musiciens qui nous faisaient chanter « Au temps heureux des feux de camp ». Ainsi Pierre-Paul a semé comme des devinettes des dédicaces pour chacun de ses titres (à Anne des Forêts, à François d’Anastasie…), et l’on s’amuse à y reconnaître tous ceux qui l’ont inspiré, Leprest, Brel, Barbara, Brassens, Ferrat, Ferré, Gainsbourg, Nino, Nougaro, Vian ou Boby Lapointe… Et chacun pourrait se dédier à un autre… L’Ode à Aude, tournée comme une complainte médiévale et jouant sur les mots tel « Tonton Boby », ou La java des céladons comptant les mille trahisons d’une femme pourraient aussi bien s’adresser à « Jojo Moustache ».

Mais tout aussi merveilleusement arrangées musicalement, des cordes, claviers, cuivres du frangin Alexandre, de l’accordéon gai ou mélancolique de Gilles Puyfages, de la clarinette de Pierre-Paul, des bois et des cuivres, de la batterie et des chœurs et de la voix de Lucie Beauregard, variant du trad, de la java, du country, du folk, du rock, du piano à la Satie, jusqu’à la douce mélodie, l’ensemble reste d’une grande mélancolie, une saudade occidentale, coincée dans une carapace, blessée d’indifférence « A votre tour d’y voir »… Et seule nous sauve la Beauté intense de cette musique, des vers du poète et de son empathie qui ne veut pas mourir.

- Catherine Laugier

 

Danzin, Les Tours d’Ivoire, Limouzart, 2023. Le site des Danzin, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Les frères Danzin étaient en concert au Festival Les vivats à Viricelles le 28 avril 2023, article à suivre.  Prochaines dates de concert sur leur site. 

« Ode à Aude » audio Image de prévisualisation YouTube
« Sous les ponts » audio Image de prévisualisation YouTube

7 Réponses à Danzin, à nos rêves heureux

  1. Gallet 2 mai 2023 à 12 h 16 min

    Je partage sans réserve la chronique de Catherine Laugier, élogieuse, attentive et juste.Je voudrais simplement insister sur l’actualité de ce CD. Ce n’est pas fréquent d’entendre une parle accessible, intelligible , en français et pas centrée sur son égo…Dans les manifs de maintenant, beaucoup se demandent si le recours à la violence est inévitable pour être entendu. CHRISTOPHE CATASTROPHE, chanson-hommage au boxeur de casques policiers du temps des gilets jaunes, qui doit bien être la seule à traiter ce sujet, est précisément très actuelle.

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    • Michel Kemper 2 mai 2023 à 13 h 20 min

      Avant la sortie de ce nouvel album de Danzin, cette chanson admirable a fait partie de la sélection du livre « Si Macron m’était dé-chanté » paru à l’enseigne de NosEnchanteurs en début décembre.

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  2. Rétrolien Viricelles 2023. Dautin, Danzin(s) : le gang des chanteurs à casquettes [1/2] | NosEnchanteurs

  3. le roscouet nadine 2 mai 2023 à 19 h 37 min

    Alors moi je vois dans tous ces textes proposés par PIerre Paul , bien sûr l’actualité qui n’est pas rose et faut pas se mentir ,mais comme à chaque fois un espoir à qui sait découvrir le texte avec le coeur !
    le CD est ponctué de chansons vivantes , de poésies actuelles . et dire que tout est noir / gris me semble réducteur
    même sur la pochette , certe le ciel est gris comme la période que nous vivons mais si l’on regarde bien il y a un trou lumineux dans le ciel et c’est par là que l’on peut entrevoir ce qui peut nous pousser à changer le monde , à le rendre plus acceptable .
    touchée par la chanson « sous les ponts  » , elle m’incite à réfléchir sur mon empathie et sur mes actions à faire que chaque humain reçoive ma considération
    cet album doit être écouté plusieurs fois , doit nous inciter à lire les textes du livret afin de mieux rentrer dans l’univers de Pierre Paul
    ce n’est en aucun cas un album que l’on juge à la première écoute
    Il est en cela magnifique
    et sur scène , je ne vous dis que cela ….. venez le vivre

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  4. babou 3 mai 2023 à 8 h 32 min

    Album de maturité, de maîtrise, de lucidité sur les temps présents. Avec toujours l’évidence d’une quête de fraternité solide comme un chêne qui voit passer les ans et leurs turbulences.
    Les Danzin sur scène, c’est du magnifique où l’on trinque à la beauté, au plaisir de savourer des heures d’or, comme un baume sur nos mélancolies.

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  5. Catherine Laugier 3 mai 2023 à 11 h 27 min

    C’est un album qui touche dès la première écoute. Et chaque fois qu’on le réécoute, qu’on le relit, comme pour tous ses albums au fond riche et profond, poétique d’un verbe tout autant populaire que littéraire, on y trouve de nouvelles pépites. Il n’a pas fini de nous accompagner.

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  6. Danzin 3 mai 2023 à 14 h 20 min

    Merci Catherine, pour le fidèle coup de projecteur, par cette chronique sincère ! Au plaisir de te rencontrer lors d’un prochain spectacle !

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