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Izïa, la piñata de la discorde

I Z I A

Quitte à recruter chez les pandores, il faut vite réinstaurer une police de la pensée pour maîtriser celle, forcément subversive, des artistes. Pour contrôler, dissuader a priori, sanctionner a posteriori chaque chanson, chaque commentaire. Faire de tout chanteur un zombie dont les propos ne seraient qu’agréables au prince, doux à ses oreilles.

Comme sous Napoléon III quand les marionnettistes lyonnais durent soumettre à la censure les dialogues de leur Guignol, eux qui n’étaient auparavant que pure improvisation, totale liberté de penser.

Izïa, la fille d’Higelin, s’amuserait bien à transformer Macron en piñata frappée de battes avec des clous. C’est ce qu’elle a osé dire en concert avec force détails. Un peu comme Guignol justement et son gros bâton pour rosser le gendarme… Aussitôt maréchaussée, justice et tribunal médiatique, de la droite à son extrême, se ruent sur la chanteuse : vite, jetez-la dans les geôles de la République, au pain sec et à l’eau !

Un chanteur est au micro ce qu’un écrivain est à son clavier, un peintre à son chevalet : il crée, il rêve, il imagine, il fantasme, il peut transformer sa légitime colère en prose comme en vers. Il anime le personnage qu’il est, sans forcément qu’on puisse le prendre pour chef de meute. Si Souchon prétend que « chanter c’est lancer des balles », ce sont les forces de l’ordre et personne d’autre qui, en notre belle démocratie, éborgnent les gilets jaunes et les militants verts de leurs impitoyables lanceurs de balles…

Serait-ce que notre liberté d’expression – cette liberté guidant le peuple chère à Delacroix – soit à ce point démonétisée, darmanisée, pour qu’une chanteuse soit menacée des pires répressions (le parquet y voyant une « provocation publique à commettre un crime ou un délit », rien que ça) et de privation de scènes pour avoir dit publiquement, avec honnêteté, humour et un rien d’émotion fort imagée, son aversion pour notre actuel président ?

Que je sache, sous la Fronde, les mazarinades menaçaient le Cardinal et la Régente de bien d’autres et pires mots, de délicats et plus expéditifs supplices : « Faut sonner le tocsin, din guin din / Pour pendre Mazarin ! »

Plus près de nous, nombre de rappeurs furent poursuivis par Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur devenu président : souvent des années de procédure pour qu’au final l’homme aux talonnettes Rolex et gourmette morde chaque fois la poussière et se ridiculise plus encore : malgré des propos souvent orduriers et autrement plus menaçants qu’une piñata, les juges ont toujours donné raison à la liberté de création.

Pour prolonger ce billet, on lira le livre "Si Macron m'(était dé-chanté"

Pour prolonger ce billet, on lira le livre « Si Macron m’était dé-chanté »

L’esprit des mazarinades s’est exercé contre lui. Et plus encore contre un Emmanuel Macron haï comme jamais. Ce qu’on a chanté jadis à propos de Mazarin, on le fait à nouveau. Ainsi Saez : « Ami, il est l’heure, poing levé c’est sûr, de pendre le banquier ».

La presse se délecte de ce que le propos d’Izïa pourrait lui coûter, en kilotonnes de prison et d’amendes, pire encore si son « appel » était suivi d’effet. Car il est de bon ton de rappeler aux artistes de tout poil que c’est déjà bien qu’ils puissent encore se produire dans ce havre de liberté qu’est notre pays mais que la chanson engagée c’est fini depuis longtemps, qu’ils doivent à présent au mieux célébrer le roi, au pire fermer leur gueule.

20 Réponses à Izïa, la piñata de la discorde

  1. Jean Lapierre 11 juillet 2023 à 9 h 26 min

    Enfin, un autre discours ! C’est ce que j’attends de NosEnchanteurs ! Merci et soutien à Izia !

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  2. Alenvers 11 juillet 2023 à 10 h 06 min

    Bravo Michel !

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  3. Norbert Gabriel 11 juillet 2023 à 10 h 52 min

    A partager le plus possible ! Hasta la victoria !

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  4. Petra Ouche 11 juillet 2023 à 15 h 52 min

    Même si je n’adhère pas aux paroles d’Izia , tout comme je n’avais pas adhéré à celles de ce rappeur qui appelait à… (censure FB oblige) les bébés blancs dans les crèches car non violente je suis et non violente je resterai, j’aime ton texte, Michel, qui rappelle que la création artistique et la liberté de paroles sont libres. Qu’Izia livre ses fantasmes à son public ne devrait pas empêcher Jupiter de dormir en paix.

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  5. Bruno Soldera 11 juillet 2023 à 15 h 54 min

    Petra Ouche, je suis complètement de votre avis… la plume extraordinaire de Michel (comme d’habitude) nous rappelle la liberté d’expression même si celle d’Izia est un peu « too much »…
    Je pense que Michel Kemper devrait écrire des bouquins…

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  6. Dominique Cozette 11 juillet 2023 à 15 h 55 min

    De toute façon, le roitelet est tellement sécurisé par troupes et gendarmes auteur de lui qu’il est impossible de l’attraper. Alors qu’on nous laisse fantasmer. Allez, Izia, chante !

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  7. Marc Schaefer 11 juillet 2023 à 16 h 08 min

    Quand j’ai vu passer la vidéo objet du scandale qui pose la chanteuse Izia comme une terrible révoltée qui appelle à la haine contre le chef de l’état, j’ai regardé plusieurs fois la vidéo et j’ai vu la digne fille de son père. Celui-ci racontait sur scène ses fantasmes les plus fous, ses rêves qui cachaient mal ses coups de gueule. Pour avoir vu à plusieurs reprises ce fou chantant sur scène, derrière son piano, virevoltant d’un échafaudage à un autre, ce grand Jacques, père donc de la soit disante criminelle, je n’étais finalement pas choqué par les propos de sa fille…
    J’ai pensé également à bien d’autres concerts qui invitaient à rejoindre la rue pour réagir à tel ou tel sujet politique, je me suis souvenu de ce Zénith plein à craquer contre la double peine, etc. Que d’artistes fort heureusement non condamnées par leurs convictions pourtant parfois discutables, j’en conviens.
    Mais à lire, voir et écouter les médias rien de tout cela que des frondes et finalement bannissement à l’égard d’Izia. Je me suis senti seul et convaincu que le problème était ailleurs sous une forme d’une police des pensées et même d’une censure artistique dont on peut certes discuter la qualité (je préférai personnellement la qualité des délires paternels) mais pas pour autant interdire l’expression.
    Alors qu’elle n’a pas été mon ravissement à lire sous la plume de mon ami Michel Kemper. Voilà enfin un autre regard que je partage. Merci l’ami ! (J’oserai bien un merci camarade qui lui conviendrait bien mais il sait que je préfèrerai lui dire merci frère. L’essentiel est qu’on soit d’accord, pas nos étiquettes).
    A lire pour mieux débattre…

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  8. Pascal Guyot 11 juillet 2023 à 16 h 32 min

    Je ne suis pas de droite, ni d’extrême droite (ça se saurait, la preuve je n’appelle pas à la torture ou à la condamnation à mort). Je trouve à chier le fait de se faire acclamer avec des ordures plein le micro. Donc je ne suis pas d’accord avec le fait de défendre ce type d’attitude. J’ai même lu que certains parlent d’attitude artistique. À chier, point.

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    • Norbert Gabriel 11 juillet 2023 à 23 h 14 min

      Et ça, ça passerait aujourd’hui ?

      Il paraît que cett’ hécatombe
      Fut la plus bell’ de tous les temps.
      Jugeant enfin que leurs victimes
      Avaient eu leur content de gnons,
      Ces furi’s, comme outrage ultime,
      En retournant à leurs oignons,
      Ces furi’s, à peine si j’ose
      Le dire, tellement c’est bas,
      Leur auraient mêm’ coupé les choses:
      Par bonheur ils n’en avaient pas!

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  9. Daniel Zanzara 11 juillet 2023 à 20 h 51 min

    Solidarité avec Izia, bien sûr ! Telle père, telle fille ! Outrancière Izia ? L’outrance n’est elle pas ailleurs ? Mais, chut, des fois que Jupiter ait les oreilles qui sifflent !

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  10. Gerard Cerbelaud 11 juillet 2023 à 20 h 53 min

    Oui, c’est dur ! Le Président Macron est d’une grande prévenance envers les Français… Gilets jaunes, manifestants contre le projet des retraites à 64 ans, l’attention portée aux femmes et la grande rigueur à l’égard des riches…
    Enfin , c’est ce que j’ai compris en regardant les journaux télévisés !

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  11. Vincent Capraro 11 juillet 2023 à 21 h 46 min

    Quel beau papier Michel, c’est tout toi ces billets d’humeur. Je me souviens d’IZIA gamine en backstage qui sautillait, virevoltait, chantait sur les bords de la scène derrière les rideaux, regardant son père chanter et délirer sur scène. Je me disais alors, la petite c’est de la graine d’artiste, elle était dans son élément, la scène, le spectacle, la folie du père qui l’accompagne et jamais ne l’a trahi… Comment le destin d’artiste d’IZIA pourrait être différent? IZIA Rebelle, effrontée à l’égard des puissants, sensible aux injustices, lunaire, créative et fantasque…
    Quand le pouvoir craint autant les clowns, les saltimbanques et les artistes c’est vraiment un aveu de faiblesse.

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  12. Mony Fournier 12 juillet 2023 à 6 h 39 min

    Il fallait le dire et vous l’avez très bien écrit ! Merci, c’est bon à lire !

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  13. Gérald Genty 12 juillet 2023 à 11 h 41 min

    Je trouve qu’il y a une petite différence entre ce que l’on dit au micro entre les chansons et ce que l’on met dans les chansons…
    Là, pour le coup, on est hors chanson… Quand on est derrière un micro face à la foule, on a un peu trop de pouvoir de galvanisation je trouve… Bref… je n’adhère pas trop même si j’ai plutôt une tendresse pour Higelin family…

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    • Vincent Capraro 12 juillet 2023 à 11 h 51 min

      Gérald, je ne crois pas vraiment à ce pouvoir dont tu parles, ça reste un spectacle pas une manif. Je pense qu’il faut quand même relativiser la portée des propos d’Izia . Ce qui est scandaleux c’est quand même que maintenant ils s’en prennent aux artistes !

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    • Anne Lefevre 12 juillet 2023 à 11 h 55 min

      On a le droit de ne pas adhérer mais de là à appeler les flics alors qu’on est un spectateur de ce concert (puisqu’il semble que ce sont des spectateurs qui les ont appelé), je trouve ça bien pourri…

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  14. Jean-Noël Cantelli 12 juillet 2023 à 20 h 55 min

    La comparaison avec le second empire est vraiment judicieuse… les grands industriels de l’époque sont les boursicoteurs et les start’upers d’aujourd’hui adulés par « l’empereur »… Alors oui, elle s’est peut être emportée mais le procès que lui sert le tribunal de la « bienpenseance » est bien triste… Sans la liberté de blâmer il n’est point d’éloge flatteur et il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits (Figaro, V, 3)

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  15. Corinne Achx 13 juillet 2023 à 8 h 20 min

    Je crois que pour la première fois je ne suis pas d’accord.
    Non sur la question de l’artiste, de la liberté d’expression, de ce qu’il faut préserver et qui est primordial évidemment.
    Non plus sur mon propre positionnement envers Macron.
    Mais en revanche sur l’absence de lucidité sur le choix du moment: c’est là ce qui m’empêche en effet de la soutenir sans réserve. Le climat social est déjà TELLEMENT abîmé, tellement explosif… c’était pas le moment. Vraiment pas. Elle ne maitrise pas ce que son élan peut fabriquer, ce que ça peut créer. C’est ça qui me pose problème. Par ailleurs… non, on ne tient pas des propos de mort envers la fonction de président de la république. Ça, c’est pas possible.
    Et enfin… On ne peut pas créer de la paix, de la liberté, de la délivrance en attisant et en induisant encore plus de division sociale. Le lien citoyen est déjà tellement meurtri… il faut mettre de la lumière, pas des énergies encore plus guerrières.
    C’est ce que je ressens, c’est ce que je pense profondément. Ce n’est pas une positionnement clanique pro Macron. C’est juste … une question de discernement, de mesure, de justesse.

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    • Eric Courtial 13 juillet 2023 à 8 h 22 min

      Izia n’appelle au meurtre de personne. Ses propos sont détournés et sortis de leur contexte. Manipulation ! La droitisation de notre société est en marche. Charline Vanhoenacker virée de France Inter, les guignols de l’info réduits au silence, maintenant Izia… Bientôt, les pogroms feront leur retour. Et on verra brûler des livres place de Jaude. Je ne cautionne pas forcément les propos d’Izia. Mais la médiatique récupération « bien pensante » du maire de cette commune est tellement plus violente.

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      • Corinne Achx 13 juillet 2023 à 8 h 24 min

        Je suis d’accord sur tout ce que tu dénonces, évidemment, dans la droitisation. Je dis juste que pour moi, c’est pas le moment d’exciter encore plus la poudrière… et je ressens au contraire les propos d’Izia comme étant réellement trop graves.
        Tu sais que mon positionnement politique combat Macron. Je partage complètement tes propos sur la récupération et l’instrumentalisation. Il n’empêche que sur la méthode, pour moi, elle a vraiment mal choisi.

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