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Bernard Lavilliers « Night Bird »

71eDNihb28L._UF894,1000_QL80_Une panthère dorée dans un éclair de strass
M’attira vers le fond une main dans son sac […]
Elle me dit « Allez viens »
Et cet oiseau de nuit m’emporta dans sa jungle
Dangereuse secrète du venin sous les ongles
Je l’aimais…

Bernard Lavilliers

Paroles Bernard Lavilliers, musique François Bréant. Extrait de l’album « Nuit d’amour » 1981

 

Printemps 1980. Le culte du biceps est devenu l’obsession de Lavilliers pour qui la raison du plus fort semble être la meilleure. Pour parfaire son éducation, il s’instruit donc de la géographie parisienne des salles de musculations et c’est dans l’une d’elles qu’il rencontre Lisa Lyon, championne du monde de bodybuilging. Coup de foudre violent, sauvage, entre le chanteur et la culturiste : « A cette époque de ma vie, j’étais assez désabusé. J’ai eu un rapport physique, quasi animal, avec Lisa. Et cette histoire a compté pour moi au point que j’ai quitté Evelyne. » Tout est bouleversé dans la vie jusqu’alors presque paisible de Lavilliers…

Résidant à Los Angelès, où elle est née vingt-sept ans plus tôt, Lisa est capable de porter deux fois et demi son propre poids. Si elle n’a participé jusqu’alors qu’à une seule compétition, l’année précédente, dans sa ville, elle est devenue une attraction médiatique que se disputent de nombreux magazines et talk-shows de la télévision. Elle est aussi, en 1980, la première culturiste à coucher son physique nu sur le papier paradoxalement glacé de la revue Playboy, sous l’objectif d’Helmut Newton, artiste australien connu pour ses photographies de mode, de célébrités et de nus féminins.

Autre regard photographique, celui de Robert Mapplethorpe, « le photographe le plus controversé du XXe siècle ». Sa muse et ancienne compagne est la poétesse rock Patti Smith, qu’on tient pour marraine du mouvement punk, avec qui il prévoit de faire un livre photographique : « J’ai demandé à Patti de se glisser dans la peau de tous les personnages qui sont en elle. Il y avait vraiment matière ». Mais le projet ne se fera pas : en 1980, Patti Smith s’éloigne de lui, quitte New York et peu à peu perd son contact. Mapplethorpe doit se trouver une nouvelle égérie : ce sera Lisa Lyon. Son premier recueil, Lady, Lisa Lyon, en 1983, dévoilera sa muse qui, comme Patti, a en elle de multiples personnages capables de nourrir un livre. Pour le photographe, ravi, « Lisa est unique. C’est une forme, c’est une créature nouvelle ». Elle joue un rôle important au moment où Mappelthorpe désire faire des photos de femmes, pour contrebalancer toutes ces photos pornographiques très liées à son homosexualité et des polémiques qui en découlent. Une sexualité dans ce qu’elle peut avoir de plus cru, de plus secret, de plus perturbant… d’autant plus que son addiction pour les drogues, le sexe et le sadomasochisme nourrissent tant son art que ses provocations.

À cette époque l’idée du body-building féminin est radicale et provocatrice. « J’étais le prototype d’une perfection quasi animale. Et pour moi il représentait la version masculine. Mon ambition – et j’en ai parlé avec lui – était d’explorer l’éventail de tous les regards possibles sur les femmes, à travers l’Histoire jusqu’à aujourd’hui : les clichés et les regards inédits, la femme originelle, la poupée de mode, la déesse de l’amour portant des dessous, une femme ligotée, une vierge, la mariée ou une statue ». Mappelthorpe dira encore de Lisa Lyon : « Pour moi c’est une sculpture, j’invente une sculpture avec un appareil photo ». Ce que Bernard Lavilliers confirmera plus tard : « À cette époque, je vivais avec une statue, une statue de bronze… »

À son corps consentant, Lisa est une véritable célébrité et fait partie de ce Tout-Hollywood pour lequel le paraître est la norme sociale, l’usage établi. Là, la discrétion proverbiale de Lavilliers en prend un coup, qui, entre Big Apple et Paris, s’expose vite à une presse people qui lui était jusque-là inconnue, dans un mélange détonnant de show-biz, de muscles et de charme. Le réseau relationnel de Lisa est vaste, qui va de Bruce Springsteen à Henry Miller, de Roman Polanski à Marianne Faithfull, de Jack Nicholson à Arnold Schwarzenegger, ce Monsieur Muscles à l’imposant palmarès, par ailleurs homme d’affaires avisé, naturalisé américain, qui vient de revêtir l’épique tenue de Conan le barbare en attendant d’endosser, un jour, celle plus conventionnelle de gouverneur de l’État de Californie. À la manière de Schwarzenegger, fier de son septième titre de « Mr. Olympia », Lisa construit son corps comme on sculpte une œuvre. C’est précisément ce que recherche Lavilliers qui, à force d’entraînement, finit par atteindre avec fierté quatre-vingt-dix kilos de masse musculaire…

En créant, pour Marvel Comics, le personnage d’Elektra, le dessinateur et scénariste Franck Miller (à qui l’on doit, parmi des milliers de planches et de dessins, de nombreux épisodes de Daredevil, de Batman et de Sin City) s’est grandement inspiré du physique de Lisa Lyon, « physiquement provocante, brune aux yeux bruns, ouvertement sexuelle, vêtue de pourpre et exposant beaucoup de sa peau ».

Bernard Lavilliers épousera Lisa Lyon, presque secrètement, en fin janvier 1981, un an après avoir divorcé non de son compagne Evelyne Rossel, mais de sa première femme, Dominique Savelli, épousée en début octobre… 1966 ! Lisa et Bernard se sépareront deux ans plus tard. Lisa Lyon laissera sa trace au moins sur deux albums de Lavilliers : Nuit d’amour en 1981 et État d’urgence en 1982. Et particulièrement par trois chansons : Night Bird (où Lisa apparait dans le clip, qui plus est nue), La Malédiction du voyageur et Bad side.

Lisa Lyon est décédée d’un cancer le 8 septembre 2023.

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