Samuel Covel, lueur dans l’encre de nos nuits
Cette nuit n’a rien d’une nuit de Chine, nuit d’amour, à part peut-être cette encre qu’évoque irrésistiblement le titre de la chanson de Lantier, et que Martin Cauvel, frère de l’artiste chanteur aussi doué en peinture que son frère en écriture et composition, a largement étendue sur les images à l’intérieur de la pochette du CD. Sur la couverture, c’est l’humain qui regarde la lune qui est noir, dans un environnement sépia soufflé d’un léger rosé.
Federico Garcia Lorca a défini dans un court ouvrage ce qu’est le Duende, notion typiquement espagnole, et plus précisément andalouse, un charme au sens fort du terme, surnaturel et fatal, qui, finalement rejoint le principe moderne du film d’action où agir, c’est donner la mort. Le sang de l’âme flamenca, création venant d’une pulsion de mort plus que de vie, combat, possession. Qui fait saigner les Bodas de sangre, s’affronter les machos tendus comme des arcs, dans une transe mystique, et rougir le sable des arènes.
L’incipit nous précise que la nuit de l’album se déroule du crépuscule à l’aurore, et que le parcours est inspiré tant de Jeu et théorie du Duende de Lorca que de Dead man de Jim Jamush, épopée d’un personnage falot au départ, nommé William Blake comme le poète romantique et mystique, que les hasards de son parcours amènent à devenir criminel autant que victime, fable noire et étrange habitée de l’électrisante musique de Neil Young. Une troisième source est la BD La nuit de Philippe Druillet, un combat de barbares qui ne peut mener qu’inéluctablement à la mort.
Samuel Covel, enfant, s’exprimait à l’aide des dialogues des films qui l’imprégnaient. Il continue ici dans cet album noir et âpre, mais bien avec ses propres mots, et quels mots, fustigeant l’obscurité du monde, la lâcheté des hommes-chiens, moutons, sardines. Le crépuscule tombe sur les Vautours radiophoniques, impeccable « Veuillez rendre l’antenne / Elle nous appartient », implacable observation des injonctions intrusives de nos médias sur fond d’alerte quasi métalleuse. Ça cingle fort, et seul l’accent occitan jette une dernière lueur sur notre horizon bouché. « Les dictionnaires seront épurés de tous les parasites qui encombrent les pages : Bonheur, Liberté, Egalité, Fraternité, Pauvreté, Etranger… » On pense à 1984 , à nouveau censuré… y compris dans des pays anglo-saxons, quand il nous livre ce puissant aphorisme : « C’était l’écran qui lui tétait la tête ».
La parabole du chien et du loup se déroule, engage à réagir « Quittons la souricie?re, mon amour, ma vipe?re / Regagnons notre nid d’alpaga ». Le mélange lyrique en mots crus et forts, d’une poésie chatoyante, n’a pas fini de nous réveiller, de nous alerter, entre chant, et dit, survolant le monde (Madame Voyageur) dans son noir inventaire. Pourtant, Covel reste les yeux ouverts sur les étoiles, gardant ce cœur gonflé du petit enfant « Comme un soufflet de forge / Et que le poing du monde / E?crase enfin l’horloge ». L’écriture se fait de plus en plus audacieuse, d’un lyrisme inventif, alors que la musique elle aussi, chevauche la liberté, s’affranchit de la seule guitare pour mêler claviers, basses, sons, et les batteries et le vibraphone de Nicolas Del-Rox, sans jamais utiliser d’instrument virtuel.
Quand la mélopée du Chat tremblant angoisse, c’est la douceur de cet Ovni qui rassure, caché au sein de la nature, réfractaire « parmi les scientifiques, les rassure?s, les assurants, les fous, et les mourants », et l’aube de « Nos Herbiers », si douce sur les notes aquatiques du vibraphone a bien les lueurs rosées de la peinture de Martin Cauvel : « Alors nos corps d’argile / Au milieu de la mousse / Pousseront leur envol / Pour chevaucher encore / Le dos de la Grande Ourse ».
Samuel Covel, La nuit, Atarraya, 2023. Recueil « Entre Chien et loup », Textes poétiques des albums La mue imaginale et La nuit, plus inédits, illustrés par Martin Cauvel, 2023. Le site de Samuel Covel, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Certains concerts sont accompagnés d’une performance sonore et visuelle avec Martin Cauvel.
« La Mélopée du chat tremblant », clip officiel
« Nos herbiers », clip officiel, mise à jour janvier 2024
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