Célestin, Mathieu Pirro, le soleil a rendez-vous avec la lune
Célestin Rachael, Mathieu Pirro à la porte-fenêtre-Photo ©Mathieu Grondin
11 juillet 2025, Bouc-Bel-Air (13)
Une villa provençale par une soirée de juillet où le soleil n’en finit pas de se coucher, avant que ne se lève une brise légère. Avec dépendances, terrasse, poteries à la rondeur généreuse, arbres à feuilles ou à aiguilles, piscine en fond de décor, et surtout beaucoup d’amoureux de chanson de tous âges rassemblés en éventail sur chaises pliantes ou gradins de terrasse. Un concert chez l’habitant.e qui réunit un double plateau : un artiste plus solaire que lunaire même s’il se définit comme Luniblement terratique, originaire de Saône-et-Loire d’où l’aspect terrien, également membre du duo fantaisiste et virtuose de batterie Fill Monkeys pour l’aspect solaire, qui achève ou presque (encore deux stations ce soir là) une tournée sans électricité, entendez en vélo musculaire et avec une guitare non amplifiée, Sébastien Rambaud, alias Célestin, en compagnie de la comédienne, danseuse, autrice et chanteuse américaine Racheal Ofori, et du photographe vidéaste Mathieu Grondin. 19 concerts en 21 jours, de Cluny à Cassis, dans des jardins, des terrasses, des églises… ou sur un bateau, un dénivelé cumulé dépassant la hauteur du Mont-Blanc, quelques crevaisons et courbatures mais surtout beaucoup de rencontres et d’amour.
Et un artiste originaire de la région d’Aix-en-Provence, plus lunaire au sens baroque du terme, tragique mais flamboyant tout à la fois, pianiste auteur-compositeur et comédien, Mathieu Pirro, que nous suivons dans ses concerts personnels et ses reprises anglo-saxonnes ou de chanson française à texte, tendance tragique (Brel, Ferré, Leprest…) depuis une dizaine d’années.
Artistes que les lecteurs de NosEnchanteurs connaissent déjà bien.
S’ils sont dissemblables et ne se connaissaient pas au préalable, ils ont en commun l’amour des mots et de la musique et le talent créatif, et se sont vite entendus pour improviser quelques titres en commun, nous y reviendrons.
Racheal Ofori ©CathLaugier
Célestin Photos ©Catherine Laugier
C’est Célestin qui commence en nous indiquant vouloir peindre la vie en rose (comme sa tenue entière, t-shirt, short et claquettes d’un rose fuchsia éblouissant). Accompagné de sa nouvelle guitare Roselyne, rose elle-aussi forcément, il nous expliquera sa nature profonde : « Je suis une graine (…) Et quand on me dit Je t’aime / J’entends « Je te sème » ». Juste la philosophie dont on a besoin quand d’autres préfèrent arracher, couper, dissoudre. Et il l’a bien semée cette graine, quand on voit dans le public ce petit garçon qui vibre tout au long du spectacle. Célestin semble assurer l’avenir de la chanson en séduisant les jeunes générations comme les plus anciennes.
Pour autant le thème central du concert, objet de son album à paraître en novembre, sera les déboires amoureux dudit Célestin depuis ses poussées d’acné juvénile jusqu’à ses coups de foudre en téléphérique pour une beauté rencontrée au remonte-pente : « Elle rayonnait comme un soleil / Au point qu’autour d’elle on voyait fondre la neige ».
Malheureusement munie d’un mari, par chance tout juste victime d’un accident de ski et momentanément indisponible. L’art de raconter des histoires en jonglant avec les mots sur de ravissantes mélodies (Écoutez donc Demain est un autre jour), d’exercer son esprit d’autodérision jusqu’à se comparer à Michel Blanc, version Jean-Claude Dusse, « Quand te reverrai-je… ». Et de se ridiculiser sur les pistes face à sa reine des neiges. Ruptures, séduction, l’odyssée de l’amour, brodée des vocalises gracieuses et des chœurs en écho de Racheal Ofori (qui nous donnera aussi une chanson en anglais de son cru, Dissonance), et parfois jouée par ses soins à la sanza, le piano à pouces africain. Avec la caractéristique que même parties toutes ses amoureuses sont lumineuses « elle éclaire comme en plein jour malgré la distance ».
Mais Célestin nous régalera aussi des chansons de son répertoire concernées par le monde, Ma mère (la terre), Que votre année soit bonne, histoire du monde en trois minutes, Liberté, un nouveau titre, ou Dans l’ordre, un vibrant plaidoyer « Y a une urgence vitale à réparer l’élément terre » aux vocalises communicatives, qui m’ont rappelé celles du concert de Vaslo. Et aussi d’émotions plus intimes, comme son affection pour [s]a sœur ou le dernier acte d’amour pour son grand-père, leur réalisation clandestine d’un œuf au plat dans un service de soins palliatifs. Comme un petit film où la tendresse et l’humour le disputent à l’émotion, et où il nous (et lui) sera difficile de garder les yeux secs. Le public a eu vite fait de s’approprier le chanteur (et vice-versa), de faire les chœurs et les percussions, de le suivre à cour (en l’occurrence terrasse, le coin des VIP) ou à jardin, en se rapprochant pour lui faire « un cocon humain ». La dernière chanson sera un fusionnel « Seul notre amour » qui déclenche des applaudissements passionnés.
Après le roboratif buffet qui est l’un des attraits des concerts chez l’habitant – chacun préparant en quantité ce qu’il sait le mieux faire (il en reste toujours, aussi délicieux que soient les mets préparés) – l’occasion aussi d’échanger impressions, anecdotes et souvenirs avec les convives comme avec les artistes, bien mieux que dans les pogos des festivals estivaux, c’est Mathieu Pirro qui rejoint son clavier sur la terrasse, accompagné d’un concert de grillons qui semble appeler le public.
Mathieu Pirro Photo ©Robert Hale
La pénombre et une relative fraîcheur se sont installées, comme pour faire écrin aux chansons plus sombres de l’artiste. Son dernier album, paru en numérique, porte le nom épineux de Ronces d’Eros, c’est un album concept qui à l’instar de celui de Célestin, narre les déboires amoureux de son auteur. Mais à l’encontre de ce dernier, le ton n’est pas à l’humour mais plutôt à la plainte : tel Jacques Brel, Mathieu s’estime victime des femmes et ne les épargne pas. D’ailleurs le concert démarre avec l’évocation du thème de la Colère, du regretté Israël Horovitz que Mathieu Pirro jouera en tant que comédien à la rentrée. Sur les premières notes du piano la si bien écrite Cigarette conte la rupture de l’auteur avec cette amante dangereuse qui vous colle au bec et aussi aux poumons. Le public la connaît bien, mais peut-être le trio de Célestin la découvre-t-il, avec le suspense bien mené qui laisse croire d’abord à une adresse féminine. Très vite enchaînée avec les dites ronces d’Eros qu’il reconnaît difficiles à prononcer : rien que l’énoncé vous tord le visage, le roncier est profond et Eros rime avec os. Aimer à nouveau est pour lui torture, raison arraisonnée, « souvent les femmes ont mis les nerfs », prison des sens, cœur blessé et yeux percés de flèches. Le tout toujours avec ce sombre lyrisme : « C’est la rançon des nuits de noces / Qu’on paye en monnaie de chagrin » mais qui peut-être, vaut d’être vécue.
La quarantaine, d’un précédent album, rajoute le temps qui passe et nous outrage tous, avec plus de dérision « la vie commence à quarante pages » et de distance, pourtant on y trouve la racine du mal (du mâle?) « L’amour ça ne dure pas, c’est fait pour se reproduire ». Comme une incompatibilité d’humeur, ou de genre, basée sur un quiproquo. Ce qui contraint à trouver ses ressources en soi-même « Va te toucher direct (…) sur ce, retour maison pour suivre son conseil », et de faire l’éloge du poignet, moins porteur de sanglots et d’inutiles souffrances que la relation hétéro.
Entre Mouffetard, poème d’Israël Horovitz sur une idylle jalouse, traduit et mis en musique par lui-même, Tango Aixois, « tube » satirique bien observé, et l’enlevée Rue Gaston de Saporta - c’est à Aix en Provence – pleine d’allusions à Brassens, son parapluie, sa Margot(ton) et son chat… – les lieux révèlent les histoires humaines. Et de nous conter sa Nonne adultère bien dans l’esprit du maître, qui préfère donner de sa personne pour aider, ou aimer son prochain, plutôt que de respecter les interdits, injustement excommuniée, une de ses plus anciennes chansons. Oscillant entre humour (noir comme le crépuscule du désespoir) avec Mort de faim, et douleur « Les femmes ont du génie pour vous tuer sans armes / Je pars mais t’interdis de marcher sur mes larmes », Mathieu déroulera un calendrier à la Boris Vian (sur un conseil de Leprest, écrire sur le premier objet venu), mois par mois, de « janvier, le lundi de l’année » à décembre en passant par Mai où vit Monet, les couleurs des mois sont celles de ses humeurs souvent mélancoliques et du temps qui passe…
Et puis en émotion pure D’où crois-tu que tu viennes, un titre d’une dizaine d’années qui fait le tour d’une vie, peut-être sa plus belle chanson, « Est-ce qu’une étoile saigne quand l’un de nous s’en va »…
Rappelant Célestin, qui pour l’occasion rebranchera sa guitare, ils donneront un swing effréné, où le garçon de café exploité rêve de vengeance, suivi des reprises en duo de L’orage et de La poupée, trouvant en Brassens leur dénominateur commun.
La page facebook de Célestin, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, là. Le site de Mathieu Pirro, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Mathieu Pirro, là.
Célestin, « La graine » 
Célestin, Racheal Ofori, « Demain est un autre jour » 
Mathieu Pirro à Cabriès, extraits, novembre 2024. 


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