Jann Halexander comme une chanson d’Anne Sylvestre
… J’avoue ne pas comprendre les Ève / J’ai si peur que l’amour s’achève / Je suis l’Adam dans sa détresse / Brave écolier sans sa maîtresse / Comme dans une chanson d’Anne Sylvestre …
Anne Sylvestre est décédée il y a 5 ans déjà, le 30 novembre 2020. Depuis sa disparition, les artistes ami.es ne cessent de lui rendre hommage (et avant d’ailleurs aussi), mais le plus étonnant est que les médias semblent redécouvrir un répertoire pour adulte qu’ils n’ont pourtant jamais beaucoup promu de son vivant. Nous avons récemment parlé des rendez-vous que l’on donne à Anne en disque, livre, événements, chansons et conférences à l’occasion de cet anniversaire. Mais c’est sans arrêt que des événements se créent, et Anne Sylvestre est en passe de devenir l’autrice la plus chantée et la plus inspirante de notre matrimoine, rejoignant par là Brassens, elle qu’on surnommait à ses débuts la « Brassens en jupons » (étiquette qu’elle n’aimait guère).
En 2012 Jann Halexander écrit comme dans une chanson d’Anne Sylvestre, parue dans l’album Tristes Tropiques. « J’y glisse discrètement un « Je t’aime » ». Qui se fera multiple dans l’album éponyme datant de 2015, avec un version 2015, deux instrumentales – une reprise dans l’album « Instrumentales 2003-2020 », 2021, et une remix vintage (Rosa Project) - et en prime cette Clémence en vacances qui m’est chère, dame âgée goûtant enfin la liberté de ne rien faire.
Jann Halexander est proche de nombreuses artistes féminines, qu’il a interprétées (Pauline Julien, Mylène Farmer, Anne Sylvestre justement, Catherine Ribeiro…) , avec qui il a partagé des scènes (la russe Veronika Bulycheva, la française Charlotte Grenat, la gabonaise Tita Nzebi) ou à qui il a dédié des chansons.
En novembre 2013 est paru un essai éponyme de cette chanson, sous-titré « À la recherche de la Femme du Vent », qui a été réédité en 2021. Avec une lettre, comme une bouteille à la mer. À sa réception, j’ai cru qu’il s’agissait d’un hommage à Anne Sylvestre. En fait, s’il raconte son amour pour l’œuvre d’Anne Sylvestre, leurs goûts en commun, leurs rencontres, c’est surtout sa propre vie qu’il nous évoque, où les événements se succèdent justement comme dans une chanson d’Anne Sylvestre, friande de romans de Fantasy comme lui, d’où ses premières chansons d’inspiration traditionnelle, médiévale. N’est-elle pas d’ailleurs une sorcière comme les autres ?
Ses propos, ses combats, il les retrouve à la mort de sa grand-mère maternelle, modèle, tour à tour tendre ou intraitable, femme forte transmettant cette indépendance à toute sa lignée féminine, de celles que chantait Anne Sylvestre. Une rencontre qui se fait d’abord virtuelle, progressive, jamais par les fabulettes mais directement par l’œuvre pour adultes. Les arbres verts d’Anne (1998), que lui suggère un journaliste belge devenu un ami, lui fait découvrir son univers, et plus largement la chanson française « signifiante », lui qui n’était sensible qu’à certaines musiques anglo-saxonnes, rarement africaines, à la musique classique ou à certaines variétés françaises.
C’est à Voiron en 2007 sur une scène municipale qui n’a pas fait le plein, une centaine de personnes seulement, que Jann Halexander voit Anne Sylvestre pour la première fois, qui lui dédicace un livre d’entretien de 1979 qu’il avait lui-même apporté. Puis en 2011 à l’Européen, avec un public acquis et plus nombreux, et c’est là qu’a été prise cette photo, alors que Jann s’apprêtait à chanter Anne Sylvestre le weekend suivant. Un demi fiasco, dit-il.
Mais très vite l’essai s’oriente sur sa propre expérience de vie, comme lorsqu’on laisse aller ses pensées en se remettant en question, en se cherchant une philosophie personnelle, suivant ou non les thèmes des chansons écrites par Anne Sylvestre : un univers où il voit de la violence, meurtres, viol, noyade, renoncements, mais surtout l’humanisme pour s’en défendre, une résignation flamboyante, grâce à un humour décapant.
Dans ce petit livre qui n’atteint pas cent pages, Jann Halexander se dévoile comme jamais, se situant dans sa famille, sa sœur, son père gabonais, sa mère française, couple improbable noir d’encre et porcelaine qui a tenu dans le temps. De ces amours à la Roméo et Juliette dont parle Anne Sylvestre dans ses chansons. Et du statut pas toujours facile de mulâtre. C’est en 2025 qu’il a enfin pu retourner au Gabon, récemment libéré de la dictature, faisant une pause dans ses concerts.
Il nous parle de ses ami(e)s fidèles, rendant hommage à chacun, Monique la fan d’Anne, photographe, l’ami Jeff, communicant bénévole qui a réalisé le clip de cette chanson, Birgit la bavaroise amie de la chanson française, et plus discrètement de son compagnon… Évoque les rencontres d’un soir, ses voyages, Cologne et sa liberté, la perle secrète de l’Afrique du Sud, Hogsback, que seuls connaissent les lecteurs de Tolkien, la neige à Soweto, une croisière vide, si loin des traversées de migrants. D’Angers berceau familial maternel où il a toujours ses attaches, ville de légendes et de fantômes, sa dame blanche assassinée, une fausse réputation de douceur.
Et puis les éléments, ouragans, pluie ou neige, salles vides ou pleines, la difficulté de chanter en français, des sujets forts, métissés. Les carcasses qui vous lâchent, la peur, surtout cacher ses larmes, ne pas trop sourire non plus. Les maladies, les morts. Et une déclaration, la vie est belle.
Jann Halexander, Comme dans une chanson d’Anne Sylvestre, À la recherche de la Femme du Vent, 2013, réédition 2021 Purple Shadow Agency. Le site de Jann Halexander c’est ici. Ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
« Comme dans une chanson d’Anne Sylvestre » clip 2015 
« Ça n’se voit pas du tout » 2011 avec le duo Chokola 



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