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On fait du chiffre ! (les reconduites à la frontière)

Cadre photo momentanément absenteIl n’y a pas que les politiques qui peuvent prétendre au droit d’inventaire. Le peuple aussi et, en son sein, les artistes. Et plus encore au devoir d’Histoire. S’il est un acte qui signera à jamais le précédent quinquennat et, de façon générale, les années Sarkozy, ce sont bien ces reconduites de masse à la frontière, pour faire du chiffre, pour marquer les consciences, flatter les bas instincts et, à l’extrême, capitaliser en voix. Des reconduites sans nuances, pour un oui, pour un rien, avec la brutalité qui sied, avec la morgue d’une consigne déshumanisée, d’un banal coup de tampon : « Y a un trou dans la photo d´classe / Un vilain trou de cigarette / Mégot méchamment écrasé / Par le tampon d´ la sous-préfète / Sur un visage terrorisé » (Hervé Akrich, La photo de classe, 2008). Un coup de tampon sur des vies : « Mais où est donc Ornicar / Wladimir et Ismaïl ? / Pour Kamel et Boubakar / Quelle horreur est il ? » (Agnès Bihl, Mais où est donc Ornicar ?, 2007).

«  Je suis né réfugié / Vagabond, prisonnier / J’étais né pour comprendre / Le monde / Ce monde / Immonde » (François Eberlé, Réfugié) ; « Ils ont lâché les chiens, les matraques et les tazers / Opération gestapo, nettoyage au kärcher / La nouvelle circulaire de la haine est très claire / C’est tout l’monde dehors à coup de grosses rangers / Objectif « 25000 reconduites à la frontière » / Ordre, sentence, décret du ministère / Fais sonner l’alerte, la chasse est ouverte / Plus rien ne les arrête, la chasse est ouverte » (MAP, La chasse est ouverte, 2008).

Bohémiens, africains, miséreux du monde, on fait feu de tout bois : « Paraît d’ailleurs qu’les bohémiens / C’est dans leurs gènes, le goût de l’air / Qu’leur liberté ça ne vaut rien / Que le prix d’un vol en charter » (Jofroi, Frontières, 2011). Il faut du rendement : « Il paraît que la démagogie peut faire gagner les élections / Que l’immigration se choisit comme on choisit un bouc émissaire / Il paraît que ma démocratie s’est faite sur la reconstruction / D’un monde encore abasourdi, sorti tout droit de l’enfer / Il paraît qu’on s’est interdit depuis, les rafles et les persécutions / On fait du chiffre, c’est ce qu’on nous dit / Occupez-vous de vos affaires » (Volo, Il parait, 2009) ;« Maman m’a montré un jeu faut s’trouver des papiers / Tu vas voir c’est très marrant on va jouer à s’cacher / Les flics nous ont trouvé ils ont cogné sur nos têtes / Je savais bien qu’c'était qu’un jeu alors j’ai pas fait la mauviette / J’ai pas pleuré quand on nous a attaché dans l’fond d’un avion / J’ai compris qu’on avait gagné au grand jeu de l’immigration » nous chante même Karpatt (Un jeu, 2011) à la manière de La vie est belle de Roberto Benigni.

Dans l’avion, vers un pays que bien souvent ils ne connaissent même pas. Ou si peu : « Et Mamadou qu’on transfère / A l’arrière de l’avion / Vers un endroit de la terre / Qu’il ne connaît que de nom » (Francis Cabrel, Les cardinaux en costume, 2008) ; « Mais où vont les êtres humains / Que l’on reconduit à la frontière ? » (Jofroi, Frontières, 2011) ; « Les amis qu’elle a sont ici / On la renvoie dans un pays / Qu’elle a pas vu depuis dix ans / Dans un pays qui rétrécit / Y a rien à faire pour les mamans » (Sarcloret, La fille qui nous sert à bouffer, 2006) ; « Mama terre de France / Ô ma terre, a expulsé mon père / Et moi j’erre dans les bras de ma mère / Elle pleure comme moi / Elle est à bout de nerf / Mon papa, son homme, est parti dans les airs / Vers la guerre des hommes qu’il avait fuit, la guerre (…) Mettre mon père dans un charter / Dans nos têtes résonne / « Comment on va faire » / Sans mon père, sans son homme, notre famille est un cimetière » (Idir, Mama, 2007)

« Pourquoi toutes ces valises / Et la peur qui se précise / Dans un billet de départ / Le retour des idées noires » (Michèle Bernard, Noire nounou, 1999). Depuis la loi Pasqua de 1986, la reconduite à la frontière est un acte administratif, sans nul jugement mais pas sans violence, d’autant plus que sous Sarkozy, Heurtefeux, Besson et Guéant, il faut faire du chiffre, de l’abattage. « Et ces mères ? Jetées à coups de pieds d’un côté / Le père ? Renvoyé au pays par l’armée / Les enfants parqués, brisée la vie d’une famille / Comme si tout cela n’était qu’un jeu de billes » (La Rue Kétanou, Mohammed, 2000). On bourre les avions, scènes d’horreur dans les aéroports, comme ici, à Lyon : « Aéroport-prison remplit d’hommes, de femmes, d’enfants / Anéantis / Abandon des nations par la nation / Ce pays de terre d’asile / Rétention, rétention, rétention, Saint-Exupéry / Le Petit prince à dit / Dessines-moi un taudis » (Caroline Personne, Saint-Exupéry, 2011) ; « Mais toi, t’es déjà Nulle part / Et du fond d’l’aéroport / Tu peux même pas dire au r’voir / Bouffé par l’escalator (…) Pour toi Mehdi / L’école est finie ! » (Agnès Bihl, Mais où est donc Ornicar ?, 2007) ; « T’avais pas pu t’payer l’aller / Mais t’as pu rentrer sans billet / De l’autre côté de la mer / Sans aucune affaire / Tu savais que ça arrivait / Mais t’avais pas vraiment pensé / Après tant d’années ordinaires / Faire partie de leur transfert » (Stéphanie Lignon, Transfert, 2009) ; « Un Boeing chante au loin, le son de l’air effraie / Je croque du raisin, j’ai bu, je reboirai / Nos vendanges / Un charter au matin… j’ai pleuré, il a plu / Ô mon bel étranger, on n’ se reverra plus / C’est étrange » (Leprest/Cadé/Vintrignier, Etrange, 1999) chantée par Jehan, Bacchus et Entre 2 Caisses.

« Sens comme le temps il est lourd / Rien ne sera plus comme avant / Pourquoi tu aurais honte ? / Pourquoi tu n’rappelles pas ? / C’est nous qui devrions avoir honte / Pas toi… » (Pigalle, Sens comme le temps il est lourd, 2008). Où est donc le devoir d’hospitalité de cette France, patrie des droits de l’homme ? « Si tu savais d’où je venais / Tu me demanderais si je vais bien / Tu m’offrirais un déjeuner / Tu me détacherais les mains / Tu me laisserais du répit au moins jusqu’à l’été prochain » (Zoufris Maracas, Un gamin, 2012). Pauvre France, pauvre Belgique aussi où le scénario est à l’identique : « Va dire en Afrique à tous tes voisins / Comment les flics en Belgique accueillent tes cousins / Va dire en Afrique à tous les enfants / Qu’on met leur parents dans des camps / Dis-moi Sémira / Craignaient-ils donc tellement ta voix / Qu’ils se soient mis à douze à la fois / Pour te faire cela ? / Dis-moi Sémira / Le premier te tenait les bras / Le second écrasait ta voix / Et le dernier filmait tout ça » (Claude Semal, Sémira, 2000).

« Après avoir donné au tarif minimum / Ta sueur et ta santé, on te dit : « Mon bonhomme / Désolé, voyez-vous, y’a plus de place chez nous / Voilà de la monnaie pour prendre ton billet » / N’écoute pas le crouton qui émiette son racisme / Avant de prendre son vol vacances pour Tunis / Émigré, émigré / Reste là, t’en va pas / Maintenant que t’es installé / Mon vieux tu es chez toi chez moi » (Font et Val, Émigré, 1984). De partout, des familles, des voisins, des parents d’élèves s’élèvent contre ces reconduites à la frontières. Il suffit de connaître les gens pour s’y opposer. Derrière la visière d’un casque où dans le froid bureau d’une préfecture, on ne peut pas voir l’humanité dans les yeux de celui ou de celle qu’on malmène. On ne peut se réfugier derrière des dogmes quand il s’agit d’humains et on peut espérer que l’ironie de Clarika fut bien comprise : « Ben oui, c’est vrai / J’y avais pas pensé / Bah oui, pardi / On me l’a toujours dit / Bon sang, c’est sûr / C’est la loi de la nature / C’est l’évidence / T’avais qu’à naître en France » (Bien mérité, 2009).

Certains artistes aiment à prendre le contre-pied, pour mieux souligner le ridicule de ces situations ; ainsi François Gaillard : « Ça s’est passé / Dans un silence / De garde-barrière / 4 h du mat’ / Bruits de menottes / Et gants de fer / Triste héros / Les mains dans l’dos / Le menton plus / Bas que terre / On a r’conduit / Monsieur l’ministre / A la frontière » (A la frontière, 2006) ; ainsi Nicolas Bacchus : « Laissez passer / Les sans-papiers / Ministres, préfètes / Papier en-tête / Promis, pas fait / Papier gâché / Faites circuler ! / Allez, faites circuler ! » (Les sans papiers, 2002). C’est le rôle de l’artiste que de dire le monde tel qu’il est : « Je ne veux pas faire de politique, ma mission est artistique / Mais quand je vois tout le trafic, on ne peut pas rester pacifique » (Akhénaton & 11 h 30 contre les lois racistes, Partir là-bas). Ils sont nombreux ces artistes à prendre le micro. Cet article ne visant pas l’exhaustivité, vous complèterez vous-mêmes cette « chaine humaine ».

 

 

 

5 Réponses à On fait du chiffre ! (les reconduites à la frontière)

  1. Norbert Gabriel 15 juin 2012 à 10 h 30 min

    On peut ajouter la chanson de Louis Ville qui ouvre l’album « Cinémas »

    Hey j’ai vu ce matin
    Des hommes comme les autres
    Enfermer le chagrin
    D’un enfant
    dans un vieil autobus
    Ne te retourne pas marche
    Ne te retourne pas Marche
    Marche

    Hey j’ai vu ce matin
    Des uniformes bleus
    Emporter
    Un vieillard chancelant
    Dans un vieil autobus
    Ne te retourne pas Marche
    Ne te retourne pas Marche

    Séquence d’une histoire d’hier, d’aujourd’hui ? de demain ? 1942 ou 2012 ??

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  2. Paula 15 juin 2012 à 14 h 39 min

    « A partir du moment où nous sortons du ventre de notre mère,
    nous sommes toutes et tous des émigrés « .
    JULOS BEAUCARNE

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  3. Claude Festiv'Art 15 juin 2012 à 15 h 55 min

    Michel, il y aurait-là de quoi faire une belle recherche … encore une !! J’avoue que j’adhère vraiment à cet article qui met en exergue « A quoi sert une chanson  » (titre du concert que Coline Malice en trio offrira sur notre scène le 18 Août), qui rappelle le rôle de l’artiste comme le fit un jour Albert Camus dans un célèbre article de Combat du 8 Août 1945.
    J’y ajouterais encore un Prévert « Etranges Etrangers » que Frédéric Nevchehirtlian aurait pu ajouter à son album « Le Soleil Brille ».

    Répondre
  4. danièle 15 juin 2012 à 17 h 44 min

    Association Actualité politique Actualités Le Revenu Inconditionnel Poésie Europe Décroissance Social

    Social
    Chanson pour l’immigré, le réfugié, le sans papiers…

    Par Jean Dornac

    dimanche 9 avril 2006.
    Tu es un étranger, un ami, un vrai frère…
    Tu cherchais le bon miel, le droit de vivre en paix,
    Surtout la liberté qu’on chante de concert,
    En France, sous le ciel, qu’il fasse beau ou frais…

    Tu m’as écrit un jour ton choix des droits de l’homme ;
    Tu sortais de prison, et tu cherchais un gîte…
    Tu avais de l’amour pour mon pays, en somme…
    Mais garde ta raison, vois ce qui nous agite…

    Ecoute ce qu’ils disent..

    Tu n’es qu’un étranger, tout juste un « bon à rien »,
    Tu viens nous étrangler, tu es juste un « vaurien »….
    A-t-on idée, ma foi, de n’être pas Français,
    Comme nous, purs Gaulois, que nous savons parfaits…

    Vois-tu, mignon, mignonne, tu n’es rien qu’un diplôme,
    Un corps et des neurones, sans droits en ce royaume !
    Nombre de tes parents, aux temps qu’on dit naguères,
    Devaient montrer leurs dents, à leurs propriétaires…

    Ami, reste à l’abri… écoute-moi…

    Supposais-tu vraiment échapper à ce crime ?
    Ne sais-tu pas qu’on ment, à ceux qu’on dit infimes ?
    Un Blanc demeure un Blanc ; Dieu serait avec lui…
    Lui seul a droit au rang des maîtres de la nuit…

    Alors, ami bronzé, si ta peau est trop noire,
    Ne prends pas ce sentier : Ici, c’est sans espoir…
    Dans ce pays, la mort, par orgueil, règne et pue ;
    Ils vendent aussi nos corps ; c’est l’argent qui nous tue…

    Si tu n’es pas rentable aux yeux de ces maudits,
    Tu es un misérable, stérile à leurs profits…
    Par force de leurs lois, ils t’offriront l’enfer ;
    Si tu parles de droits, ils te mettront aux fers !

    Prends garde de mener tes enfants aux loups blancs !
    Ils sauront les tuer et suceront leur sang…
    Il n’est pas d’espérance en ce pays fermé ;
    Ici tout n’est que rance et os desséchés !

    Que sera notre avenir ?

    Ils dansent avec la mort et n’aiment pas la vie…
    Ce qui leur ressemble peut seul faire leur bonheur.
    Mais ils ne sont pas forts, ne vivant que d’envies ;
    Rien ne les rassemble, ils forgent leur malheur…

    Attends, mon tendre ami, quelques années encore ;
    Ils méprisent la vie, ne sont plus que des porcs…
    Ces peuples sans bambins, qui vivent du chaos,
    Avides de leurs gains, meurent sans un halo…

    Leur esprit partira en délaissant les terres,
    Qui donc les pleurera, ces violeurs de planète ?
    Mais souviens-toi encore, qu’au cœur de la défaite,
    Des Blancs de notre bord croyaient en vous, nos frères…

    Jean Dornac

    L’article

    Le site Altermonde

    ce sera peut être une chanson, un jour …

    Répondre
  5. Kaly 4 novembre 2013 à 9 h 32 min

    Je découvre cette belle compil’ grâce à l’affichage aléatoire de la page d’accueil.

    Si j’écris ces quelques lignes, c’est juste pour faire revenir les lecteurs sur cette page. Certes, la chanson n’est pas obligée d’être engagée, certes un auteur peut écrire autre chose que des textes de dénonciation, mais à quoi sert la chanson si elle n’est que loisir ou, pire, bruit de fond ?

    Les chansons doivent bousculer, doivent déranger.

    Après Sarkozy, Hollande continue avec zèle à expulser, et c’est encore plus grave pour un homme qui se dit « de gauche ».

    Alors merci, Michel, pour cette recherche, je reviendrai sur cette page si de mon côté j’ai d’autres titres à proposer. Il est réconfortant que tu puisses en proposer une telle quantité !

    Répondre

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