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Arras 2014 : se souvenir des belles choses

Laurent Viel (photos Christiane Delacourte)

Laurent Viel (photos Christiane Delacourte)

Reportage en deux épisodes : lire le second ici.

 

Le titre de ce beau premier film de Zabou Breitman me revient en mémoire pour identifier les spectacles de « Faites de la Chanson » à Arras dont je rends compte ici.

Le festival a débuté avec « Chansons aux enchères » de Laurent Viel, qui a déjà fait l’objet dans ce site d’une chronique très positive à laquelle je souscris globalement. Je me permets de souligner cette adhésion car – contre l’avis majoritaire à l’époque – j’avais détesté le traitement en contre-sens des chansons de Jacques Brel, je l’avais dit, écrit et argumenté, et je pourrais vous détailler les attaques dont je fus l’objet, incroyables avec le recul : ne pas aimer était interdit, le faire savoir était sacrilège. Aujourd’hui, Jacques Brel demeure pour longtemps encore vivant dans nos discothèques et sur nos platines, et les « interprétations » sont oubliées. Cette fois, plus d’ambiguïté, on vient voir Laurent Viel, et c’est du Viel pur jus : avec tous ses talents de comédien et de chanteur, il nous présente en commissaire-priseur inspiré de Bécaud un certain nombre de titres qui ont fait partie de son écosystème musical personnel dans lequel chacun peut se retrouver : il peut se laisser aller à cabotiner sur des pêle-mêle où se côtoient Sylvie Vartan, Bashung, France Gall, Dave et bien d’autres dont Mylène Farmer : on rit de la légèreté de ces chansons et de notre propre insouciance à les avoir fredonnées ! Et quand il revient gravement et sobrement à la vérité des textes d’Aragon, d’Aznavour ou de Barbara on y est d’autant plus sensibles… Le temps du spectacle passe vite, et même si la voix du chanteur donne quelques signes de fatigue, il termine par un hommage à Anne Sylvestre avec Ça ne se voit pas du tout absolument bienvenu dans un festival qui lui rendra hommage. Laurent Viel, grand homme de scène au service du répertoire, gravit le même chemin que Francesca Solleville, Paule-Andrée Cassidy ou Christian Camerlynck.

Gaëlle Vignaux

Gaëlle Vignaux

La seconde belle chose fut de retrouver sur place une autre grande interprète, Hélène Grange, un peu en sous-emploi sur la voie publique avec son « Échoppe aux chansons » de Brigitte et Martine. Mais, avis aux amateurs, elle propose avec Patrick Luirard un nouveau spectacle de « Chansons louf’s » décalées, excentriques et saugrenues comme dit la plaquette où son talent devrait éclater autant que dans son tour de chant précédent. Ầ programmer impérativement. Retrouvailles aussi avec Gaëlle Vignaux en fée Bethsabée dans un très beau spectacle de chansons pour enfants qui les a entraînés dans des rêves et des réalités différentes et les a fascinés : « Léo et les fées papillon ».

Le troisième bon souvenir sera sans conteste le plateau partagé entre Valérie Barrier et Pascal Mary. La première est bien soutenue au piano par le subtil toucher de Léo Nissim ; elle nous offre au naturel ses chansons dans lesquelles elle impose doucement sa présence et sa perception du monde, son regard bienveillant sur Béni, sa patience, ses questions et ses bonheurs et c’est avec évidence qu’elle conclue « Juste accepter l’ordre des choses / Laisser crier les démons qui s’opposent »… Très attachant climat rehaussé de deux textes, l’un décrivant l’insupportable solitude et l’autre, d’Anne Sylvestre, sur le chemin de Compostelle… Et suprême élégance, elle chante Le puceron et l’orange a capella, comme suspendue à un fil invisible qui la relie au firmament, et sans préciser le nom de l’auteur.

Pascal Mary

Pascal Mary

Quant à Pascal Mary, il a enthousiasmé la petite salle comble (85 places !). Décontracté, accompagné par deux excellents poly-instrumentistes qui lui laissent les mains libres, pertinent et drôle dans ses transitions, il a construit son spectacle sur quelques idées fortes entre lesquelles ses chansons circulent : la critique de la société avec sérieux (Plus qu’avant) ou avec un humour ravageur (Canicule, Joyeux Noël), l’amour avec tout ce qui lui est lié, la rencontre, la rupture, la sexualité, la fidélité ou la désunion et enfin la mort qui sépare les êtres avec deux poignantes chansons Soleil d’hiver et Ceux qu’on a perdus en chemin sur laquelle il termine et qui subjugue les spectateurs. La qualité des textes, des musiques et de la voix de l’artiste au service d’une conduite au cordeau ont alternativement mené le public du rire franc aux émotions en boule qui remontent dans la gorge. Extraordinaire ambiance, dont le disque – pourtant splendide – ne peut donner qu’un aperçu incomplet.

De beaux souvenirs…

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5 Réponses à Arras 2014 : se souvenir des belles choses

  1. Camerlynck 22 juin 2014 à 19 h 20 min

    Il y a sur Facebook un très beau texte de Fred Castel sur la soirée des découvertes : Laurent Berger, Coline Malice, Hervé Lapalud, etc… Il faudra cher Enchanteur le reprendre cela complèterait le bel article de Fŕançois Bellard.

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  2. Danièle Sala 22 juin 2014 à 20 h 40 min

     »
    Fred Castel
    9 h · Modifié ·
    Je sais pas si Facebook c’est bien pour garder des secrets… Je crois pas… C’est dommage, j’aurais pu raconter ma soirée de vendredi…
    Mais je veux pas que ça se sache…. Je veux pas que ce soit lu par mes 438 amis, dont certains sont des amis (si, si ça existe !). Et mêmes des copains. Et même des soeurs et frères de sang, de coeur, de lutte et d’amour. Et même une jolie croquette originaire de la région d’Arras.
    Arras… nous y voilà… Il fallait bien ce nouvel interêt pour la région pour qu’enfin je mette les pieds dans ce festival dont j’entendais tant parler… Un bien beau festival, une très belle ville, du soleil (et oui !) et ça rayonne…
    Dommage donc que le reste je ne puisse le raconter… car la soirée de vendredi, c’est de celle qui font remettre en cause toutes les bonnes intentions en terme d’humanisme, de rencontres etc…
    J’aime bien le partage pourtant, c’est promis. Je déteste les privilèges, je vous l’assure. Mais quand c’est moi qui en bénéficie, je suis lâche, je retourne ma veste. J’ai eu le privilège, ce vendredi, d’assister à une soirée unique, magique, brillante, touchante, secouante, riante, pleurante, vivante, ça oui, bien vivante. Une soirée pour laquelle on se dit qu’on est vraiment fier d’être dans les 300 (?) privilégiés qui en ont profité. Une soirée qui nous a tant touchée que de toute façon c’est impossible de retranscrire ces émotions.
    Je garde donc le secret… C’est dommage, mes Amis, vous auriez mérité que je vous raconte comment, les 8 artistes (dans le désordre Lapalud, Roucaute, Malice, Rouxin, Berger, Frasiak, Kilembé, Rousseau) choisis parmi la soixantaine qui a fait parti des cabarets découvertes de l’association DiDouDa à Arras, ont réussi un exploit incroyable.
    L’exploit, sous la houlette de Hervé Lapalud, l’un des 8 évidemment, de créer, en deux jours un spectacle collectif, au vrai sens du terme. J’ai vu de nombreux spectacles collectifs, peu, vraiment très peu, avait ce sens, cette cohérence, autant dans la construction que dans la mise en scène. J’ai adoré les soirées collectives de Barjac, mais c’est souvent succession, réussie, d’artistes qui se relaient autour d’un thème ou d’un artiste, avec quelques duos de transition. Je ne manque que très peu de Bar à Jamait, réunion d’artistes grandioses qui nous enchantent et nous surprennent à chaque reprise.
    Mais autant de sens entre les chansons, autant de réflexion sur ce que fait chaque artiste à chaque moment, je ne connaissais guère que quand Gérard Morel et Hervé Peyrard sont à la manette.
    Je suis vraiment désolé, je ne peux pas partager ça. Je veux garder le secret de cette soirée de rêve. Le premier privilège de ma vie. J’ai pas 50 ans, j’ai pas de Rolex, mais j’ai assisté à l’une des plus grandes soirées de chanson qu’on peut faire. J’ai réussi ma vie !
    Je ne veux pas vous dire comment j’ai trouvé bluffant la façon dont, tout au long des deux heures de spectacles, pour chacune de la bonne vingtaine de chansons entendues, il y avait toujours un rapport fort avec la précédente. Avec pourtant jamais deux chansons d’un même artiste. Des heures et des heures de travail, d’écoute et de recherche de la part d’Hervé pour en arriver là.
    Je ne veux pas dire à tous ceux qui ont déjà essayé de travailler sur la cohérence d’un spectacle qu’on ne fera jamais mieux, enchaînant les thématiques respectives de la vie de bohème du chanteur (ah, « J’traine », de Frasiak), la religion et la tolérance (‘le petit conte d’après noël » de Gilles Roucaute avec derrière l’harmonica d’Hervé et les choeurs, et plus que ça, des 3 filles, incroyable, l’un des temps forts de la soirée), l’amitié (et la salle qui reprend en coeur « mes copains » de Hervé Lapalud), la société (joli « Petit Moin » de Julie Rousseau), l’amour évidemment (ah, ce « Elle t’attend » de Laurent Berger, dans un joli duo avec Coline Malice, si simple et si complexe à la fois, si évident et si troublant en même temps, une des grandes chansons de ces dernières années).
    Je veux garder pour moi les autres grands moments de la soirée, telle que le démarrage, seul à la Kora d’Hervé Lapalud sur « Si tous les gars du monde »-unique moment où il n’y avait pas tout le monde sur scène. Je veux garder pour moi « l’île déserte » de Coline Malice, où il s’agit de partir pour rester tranquille, en emportant, évidemment, son ordinateur, sa télé son amoureux et sa maman, et tous ses médicaments, et des ronds points et des interdits… et c’est reparti…
    Je veux garder pour moi l’émotion de découvrir Davy Kilembé, que je ne connaissais pas, chanter sa vie de « petit noir ». Je ne veux pas dire comment « Les bonnes résolutions » de Marion Rouxin m’ont bouleversées. Je ne veux pas dire l’incroyable, la merveilleuse version qui nous a été offerte de « juste une femme » d’Anne Sylvestre… Trois couplets, chacun par une des filles, avec derrière, dans l’ombre, les garçons qui accompagnent.
    Je veux garder aussi ce secret là : tout cela a été fait sans mauvais tremollo, sans fausse colère ou révolte. Non, juste de la force, comme une évidence. La simplicité d’une interprétation puissante qui n’en fait jamais trop, pour nous laisser laisser sur un fil.
    C’est vraiment ça l’image de cette soirée que je ne vous raconterai pas : on nous emmène sur un fil au début du spectacle, on se laisse porter, et à aucun moment on s’est aperçu qu’on arrivait, deux heures plus tard, de l’autre côté de la rive. Les artistes ont été les équilibristes : il été facile de tomber, d’en faire trop ou pas assez, de donner l’impression d’un spectacle un peu baclé (ce qu’on aurait d’ailleurs compris après seulement deux jours de répétition). Ben non, c’était tout le contraire. Chacun avait son rôle à jouer sur chaque chanson, y compris d’ailleurs quand il ne tenait aucun instrument, l’écoute et le regard vers le devant de la scène faisait parti de la beauté du spectacle.
    En parlant de beauté, un jour, Catherine Ribeiro m’a dit « tu sais, la beauté changera le monde ». J’ai compris vendredi soir pourquoi je suis optimiste.
    Si j’étais généreux, j’essaierais de colporter un peu la grâce qui est ressortie de cette soirée.
    Si j’étais audacieux, j’inviterais tous les programmateurs du monde, et de la lune aussi, à offrir ce spectacle à leur public. Car ce spectacle, ainsi construit, mérite d’être rejoué, vu et revu. Sauf que si à chaque fois 300 personnes percent mon privilège, ça n’en sera plus un. Et ça, c’est juste pas envisageable pour moi. J’ai 40 ans, et j’ai réussi ma vie ! « 

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  3. Odile 23 juin 2014 à 9 h 44 min

    Danièle nous fait part du très élogieux article de Fred Castel,
    qui rejoint celui de François Bellart écrit avec passion et émotion.
    Toute ces belles choses, on comprend que vous ne voulez pas les oublier!
    Merci de nous les avoir fait partager, c’est comme si nous y étions, mais on aurait bien voulu y être!

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  4. Hélène Grange 23 juin 2014 à 18 h 02 min

    Merci François Bellart pour ce grand article !!

    Juste pour dire : je n’étais pas seule à Arras : j’étais avec ma collègue Isablle Augier, fredonnière comme moi tout le matin au marché d’Arras, dans notre Échoppe qu’il faut aller voir sur elephantdepoche.com, car ce spectacle (que François, vous n’avez pas vu, dommage) est de la Cie L’Éléphant de Poche, et sur le site vous pourrez trouver un petit film qui en dit plus sur notre spectacle « L’Échoppe aux Chansons » que les déambulations que nous avons faites l’après-midi du 14 juin.

    Et puis aussi, merci François pour ton mot sur Chansons Louf’s ! Ce tour de chant tout neuf, je l’adore… A bientôt sur zondits.net
    Hélène

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  5. François BELLART 24 juin 2014 à 18 h 15 min

    Le texte de Fred se rapporte au spectacle dont je parle dans le deuxième épisode de « se souvenir des belles choses » et qui s’intitulait « Dix ans de découvertes » et que j’avais déjà annoncé il y a quelques jours dans ce site.
    Ceci pour remettre les choses un peu en ordre !!!

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