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Le cri du poilu, la der des ders en chantant

Corentin Coko et (photo Claude Fèvre)

Corentin Coko et Danito (photo Claude Fèvre)

Coko et Danito, jeudi 13 novembre 2014, café associatif « Chez ta mère », 

 

Le centenaire de ces quatre années de guerre et de ses neuf millions de morts vaut bien que l’on s’y attarde un peu. Coko, dont nous avons récemment souligné le goût pour le patrimoine oublié de la chanson du siècle écoulé, ne pouvait passer outre cette célébration.

C’est en duo avec Danito à la guitare, aux petites percussions et au chant, qu’il choisit de transmettre le fruit de ses recherches jusqu’à la BNF où il a déniché quelques joyaux voués à l’oubli. Les deux compères dans leur chemise bleu France et leur pantalon rouge, jouant de leur différence de stature, font de ce répertoire un moment de connivence qui fait mouche. On rit, on s’émeut, on s’étonne aussi sans doute, quand on a seulement vingt ou trente ans, comme c’est le cas pour de nombreux spectateurs ce soir, arrières-petits enfants des poilus sacrifiés. Surprenant constat : la salle ne paraissait pas pouvoir entonner La Madelon, le tube de 14-18, vous savez, cette moitié maman, moitié putain, qui connut son succès grâce au « théâtre aux armées ».

CENT ANS APRES, L'IMBECILE CENSURE Disque « Chants de poilus et autres refrains de la grande guerre 1914-1918 » par le Choeur Montjoie de Saint-Denis (2014) A patauger dans la boue, la pisse et la merde, ils en oubliaient de se laver. Et de se raser : de fait ils furent et resteront les poilus. Ils furent, et des deux côtés, les sacrifiés de ce gâchis immense de 14-18, cette première guerre mondiale, la der des ders comme on l'a cru, en attente d'une suivante qui ne manqua pas d'un jour venir. Dans l'angoisse, tenaillés par la faim, dans ces corps bouffés à la vermine, dans l'attente d'une mort quasi certaine, que faisaient-ils ? Ils chantaient, ne vous déplaise. D'abord ces couplets patriotiques de l'après 70, orphelins d'Alsace et de Lorraine, puis des vers écrits dans les tranchées ou plus loin, bien au chaud dans les cabarets parisiens. Le Choeur Montjoie Saint-Denis est un choeur d'hommes, très viril donc. Dieu que la guerre semble jolie à entendre de tels chants à l'unisson de si mâles voix. Des chants français en majorité, mais aussi allemand, anglais, russe et américain ! Y'a donc pas que le coq gaulois qui chantait les pattes dans la merde.  J'aurais tendance à vous recommander ce disque, ce retour sur l'Histoire. Mais... Mais pourquoi donc, sur disque comme sur livret, ont-ils tronqué La Chanson de Craonne, l'amputant de son dernier couplet, de son dernier refrain, qui tous deux accusent ces politiques et financiers embusqués, très loin des tranchées. Les ciseaux d'Anastasie coupent encore et protègent comme toujours les gros, les gras, les marchands de canons. Comment, cent ans après, peut-on encore censurer cette chanson, sauf si ce qu'elle nous dit est toujours valable un siècle plus tard ? Comment prétendre rendre hommage aux poilus en leur coupant le sifflet, en écimant leurs colères ? Rien que pour cette chanson sciemment amputée, on parlera de révisionnisme. Le procédé est vil et foncièrement crapuleux. Voici ce qui a été coupé : C'est malheureux d'voir sur les grands boulevards Tous ces gros qui font la foire Si pour eux la vie est rose Pour nous c'est pas la même chose Au lieu d'se cacher tous ces embusqués F'raient mieux d'monter aux tranchées Pour défendre leur bien, car nous n'avons rien Nous autres les pauv' purotins Tous les camarades sont enterrés là Pour défendr' les biens de ces messieurs là Ceux qu'ont l'pognon, ceux-là r'viendront Car c'est pour eux qu'on crève Mais c'est fini, car les trouffions Vont tous se mettre en grève Ce s'ra votre tour, messieurs les gros De monter sur le plateau Car si vous voulez faire la guerre Payez-la de votre peau  MICHEL KEMPER

CENT ANS APRES, L’IMBECILE CENSURE
Disque « Chants de poilus et autres refrains de la grande guerre 1914-1918 » par le Choeur Montjoie de Saint-Denis (2014)
A patauger dans la boue, la pisse et la merde, ils en oubliaient de se laver. Et de se raser : de fait ils furent et resteront les poilus. Ils furent, et des deux côtés, les sacrifiés de ce gâchis immense de 14-18, cette première guerre mondiale, la der des ders comme on l’a cru, en attente d’une suivante qui ne manqua pas d’un jour venir.
Dans l’angoisse, tenaillés par la faim, dans ces corps bouffés à la vermine, dans l’attente d’une mort quasi certaine, que faisaient-ils ? Ils chantaient, ne vous déplaise. D’abord ces couplets patriotiques de l’après 70, orphelins d’Alsace et de Lorraine, puis des vers écrits dans les tranchées ou plus loin, bien au chaud dans les cabarets parisiens.
Le Choeur Montjoie Saint-Denis est un choeur d’hommes, très viril donc. Dieu que la guerre semble jolie à entendre de tels chants à l’unisson de si mâles voix. Des chants français en majorité, mais aussi allemand, anglais, russe et américain ! Y’a donc pas que le coq gaulois qui chantait les pattes dans la merde.
J’aurais tendance à vous recommander ce disque, ce retour sur l’Histoire. Mais…
Mais pourquoi donc, sur disque comme sur livret, ont-ils tronqué La Chanson de Craonne, l’amputant de son dernier couplet, de son dernier refrain, qui tous deux accusent ces politiques et financiers embusqués, très loin des tranchées. Les ciseaux d’Anastasie coupent encore et protègent comme toujours les gros, les gras, les marchands de canons. Comment, cent ans après, peut-on encore censurer cette chanson, sauf si ce qu’elle nous dit est toujours valable un siècle plus tard ? Comment prétendre rendre hommage aux poilus en leur coupant le sifflet, en écimant leurs colères ? Rien que pour cette chanson sciemment amputée, on parlera de révisionnisme. Le procédé est vil et foncièrement crapuleux.
Voici ce qui a été coupé :
C’est malheureux d’voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire
Si pour eux la vie est rose
Pour nous c’est pas la même chose
Au lieu d’se cacher tous ces embusqués
F’raient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendre leur bien, car nous n’avons rien
Nous autres les pauv’ purotins
Tous les camarades sont enterrés là
Pour défendr’ les biens de ces messieurs là
Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront
Car c’est pour eux qu’on crève
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau
MICHEL KEMPER

Et c’est sans doute là que ce duo revêt toute son importance et justifie son actuel succès : l’histoire de la Chanson participe de l’Histoire en effet.

grandguerre02Bien sûr, nous entendrons La chanson de Craonne de 1917, restée définitive- ment anonyme, sans aucun doute la plus forte dénonciation de ce massacre. Mais nous aurons aussi un aperçu de l’esprit revanchard des chansons de l’avant guerre, du sort des conscrits (trois ans de service militaire, c’est pas rien !) avec Gaston Couté, de leur ironie pour évoquer les effets de la guerre comme Georgius énumérant ses « avantages », mais qui pour autant ne s’abstient pas d’un couplet patriotique, de leur humour pour décrire l’armement (une perle cette Mitrailleuse expliquée !) ou le comportement de l’arrière qui fait son stock de provisions. Bien sûr le duo évoque aussi la place de l’anarchie, les « conférences chantées » de Charles d’Avrey, Montéhus, le groupe libre de propagande par la chanson La muse rouge, Eugène Bizeau réformé pour « faiblesse de constitution », et qui vécut très vieux, maudissant la guerre et refusant de faire des poilus des héros.

Et les incontournables chansons à boire ? Elles mettent en évidence la notable différence entre le boche et le poilu : le « pinard », dont on peut deviner les effets quand il faut monter au front.

Le front, les tranchées ? Coko et Danito nous en offrent un très émouvant tableau théâtralisé qui s’achève sur la fin de la garde et le retour du soleil. Enfin !

96423348Et les femmes ? Au mépris du rôle fondamen- tal qu’elles jouent dans cette guerre qui les privent de leurs hommes, Vincent Scotto écrit Le cri du poilu, qu’inter- prète en 1916 Nine Pinson (une femme !) : « Et comme prière du soir, ils disent : Fais nous donc voir une femme. » A cette chanson répond dès 1905 La grève des mères de Montéhus, qui valut à son auteur d’être condamné « pour incitation à l’avortement » !

Et le poilu ? Pour nous en souvenir longtemps, le duo confie son cri à Apollinaire, sur une musique de Jean Ferrat : Si je mourais là-bas.

 

Le site de Danito, c’est ici ; celui de Coko, c’est là.

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11 Réponses à Le cri du poilu, la der des ders en chantant

  1. Christian Camerlynck 15 novembre 2014 à 11 h 09 min

    Comme ils ont osé censurer la chanson de Craonne je n’achèterais jamais ce cd Choeur de Montjoie de Saint Denis. C’est inqualifiable merci Michel de le signaler.
    Quand à nos duettistes ont ils mentionné Botrel … La lettre du Gabier, La revanche qu’il nous faut… Des chansons qui préparaient à la boucherie…. Je n’ai jamais pu aimer Botrel quand tu lis la Revue la Bonne Chanson, c’est affligeant…. Et les textes des autres. Le chantre Breton qui composait plus en Français qu’en Breton. Un hommage lui fut rendu à l’Arc de Triomphe de Paris pour service rendu à la patrie par la chanson!!!

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    • Norbert Gabriel 15 novembre 2014 à 11 h 32 min

      C’est un choeur issu de groupes scouts, je suppose que « Le déserteur » ne doit pas être non plus dans leurs chants de prédilection?

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  2. Norbert Gabriel 15 novembre 2014 à 11 h 13 min

    Il y a le même cas avec Frédo, de Dimey, dont le dernier couplet est éludé dans les sites de paroles, parce que trop urticantes?

    Les frères Jacques par exemple l’ont zappé… étrange …

    A côté des r’quins d’la finance

    Et des crabes du gouvernement

    Tous ces tarés qui règnent en France

    A grand coup d’gueule d’enterrement

    A côté d’toutes ces riches natures

    Qui nous égorgent à coup d’grands mots

    A côté d’toute cette pourriture

    Il était pas méchant Frédo !

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  3. Michel TRIHOREAU 16 novembre 2014 à 9 h 32 min

    C’est d’autant plus impardonnable que c’est justement l’originalité de la chanson de Craonne d’avoir été une chanson rebelle qui circulait presque à voix basse dans les tranchées. Elle ne fut pas la seule dans son genre, mais c’est celle qui est restée dans les mémoires.
    L’ablation de ce couplet est une trahison à l’égard de tous ceux qui avaient conscience de l’injustice de cette guerre sanglante et inutile. De plus, sans ce couplet, elle n’a aucun intérêt que d’être une lamentation obsolète dans une guerre presque oubliée.
    L’image la plus courageuse qui reste de 14-18 est celle des mutins de 1917. Pour l’illustration en chanson écoutez Jacques Debronckart Mutins de 1917 ; au cinéma, voyez Les Sentiers de la Gloire de Stanly Kubrick et au théâtre Les Coquelicots des Tranchées de G.M. Jolidon mis en scène par Xavier Lemaire (Avignon Off, 2013).
    Norbert, tu as raison avec une nuance : on peut à la rigueur pardonner aux Frères Jacques cette autocensure dont nous ne connaissons pas la cause, dans un autre temps. On peut aussi leur accorder que le sujet était moins sérieux. Mais en 2014, censurer La Chanson de Craonne, c’est une insulte à l’Histoire.

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    • Norbert Gabriel 16 novembre 2014 à 10 h 52 min

      Ces jours-ci, il y a eu un débat assez vif sur une « reprise » de Thank you Satan, sans une note de la musique originale, ce qu’un débatteur soutient en disant « il a changé seulement la musique », mais quand on connaît la chanson, on constate que deux strophes ont été « oubliées » dont celle qui évoque les anarchistes, ce qui est quand même assez surprenant quand on connait les liens jamais démentis de Ferré avec les libertaires et les anars…

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  4. Bouba 16 novembre 2014 à 13 h 54 min

    Heu… il me semble que la chanson du déserteur n’a été composée que bien après la première guerre mondiale…
    Quant à la prestation de ce remarquable duo (prestation qui n’a rien à voir avec le CD), c’est une réussite artistique indéniable dans le sens où elle entretient la mémoire et réveille les consciences. Et dans ce sens, le fait que beaucoup de jeunes adultes aient assisté à la représentation ne peut que nous réjouir.
    Et si certains commentateurs ne sont pas contents, ils n’ont qu’à se mettre en avant, plutôt que de rester embusquer derrière leur écran et leurs certitudes de commandants de mes fesses.

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    • NosEnchanteurs 16 novembre 2014 à 14 h 21 min

      Trois choses, Monsieur Bouba :
      - Nos lecteurs ont compris, je crois, que le spectacle de Danito et Coko, d’une part et le disque des Choeurs Montjoie, d’autre part, sont deux articles différents, réunis ici par leur même thématique.
      - Si vous lisez bien le commentaire de N. Gabriel, vous constaterez que votre première remarque tombe à plat.
      - Quant à votre dernière remarque, Monsieur, elle est déplacée, désobligeante et stupide : vous n’êtes pas ici sur un quelconque endroit sur le net, vous êtes sur NosEnchanteurs : ici, on est prié de laisser ses insultes au vestiaire. Un autre commentaire de cet acabit ne sera pas validé.
      Le modérateur

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    • Norbert Gabriel 16 novembre 2014 à 16 h 56 min

      Oui, merci pour « Le déserteur » je suis au courant

      http://postescriptum.hautetfort.com/archive/2008/09/17/le-deserteur.html

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  5. Claude Fèvre/ Festiv'Art 16 novembre 2014 à 14 h 19 min

    Merci mes amis de ne pas oublier toutefois l’ excellent travail de Corentin Coko (qui, lui, ne censure rien !! )…je sais qu’il est toujours plus facile de pester contre ce qui ne va pas que de souligner ce qui est juste et bon… je voudrais insister à nouveau sur son travail de recherche, sur sa mise en musique de textes totalement inédits… L’insertion de Michel K. a quelque peu faussé le contenu de cette page, il me semble.

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    • Michel Kemper 16 novembre 2014 à 14 h 27 min

      Oui, l’excellent travail de l’ami Coko. Je n’ai pas vu ce spectacle mais connais son travail d’excellence, qui à la fois crée et s’en va fouiller dans la mémoire de la chanson. Ce qu’il fait est de rare utilité publique. Mais c’est vrai, comme le dit Claude Fèvre, qu’on ne commente pas souvent ce qui est juste et bon : je suis le premier a le regretter. Ainsi les articles de « découvertes » sont de loin les moins commentés. Parfois les moins lus aussi. A notre grand dam.

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  6. catherine Laugier 18 novembre 2014 à 19 h 22 min

    Magnifique interprétation de ce duo de redécouvreurs, Coko et Danito / Le Cri du Poilu, de Si je mourais là-bas, poème de Guillaume Apollinaire in Poèmes à Lou, dédié à Louise de Coligny-Châtillon, composé à Nîmes le 30 janvier 1915 :

    Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
    Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
    Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
    Un obus éclatant sur le front de l’armée
    Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

    Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
    Couvrirait de mon sang le monde tout entier
    La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
    Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
    Comme font les fruits d’or autour de Baratier

    Souvenir oublié vivant dans toutes choses
    Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
    Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
    Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
    Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

    Le fatal giclement de mon sang sur le monde
    Donnerait au soleil plus de vive clarté
    Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
    Un amour inouï descendrait sur le monde
    L’amant serait plus fort dans ton corps écarté

    Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
    - Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
    De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur -
    Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
    Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

    Ô mon unique amour et ma grande folie

    Apollinaire a été blessé au Front en 1916, et , affaibli par ses blessures qui avaient conduit à une trépanation, est mort en 1918 de la grippe espagnole. Il est considéré « Mort pour la France ». Son ami Picasso est le concepteur de son monument funéraire au Père Lachaise

    Quant à la chanson de Craonne, une de mes préférées, si l’on veut la version intégrale écouter par exemple la version de Marc Ogeret : http://youtu.be/wGrdG85mmL0

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