Cet album qui nous réveille le désir de Guidoni
« J’ai gardé sur ma peau / Les rumeurs de la ville / Mes légendes urbaines / Ton ombre si fragile / Et tout ce que tu crois / Assassin ou victime / Je reste près de toi ». Avez-vous déjà fait le compte ? Celui-ci est le 21e album de Jean Guidoni en quarante ans, le 19e depuis qu’il marche dans les villes et est ainsi entré de plain pied dans notre Panthéon de la chanson. En 2008, il nous a chanté Prévert en Étranges étrangers ; en 2014, il s’est emparé avec le talent qu’on lui sait d’inédits de Leprest. Ça faisait dix ans, depuis La pointe rouge, qu’il ne nous avait pas offert un disque de lui. L’attente fut longue qui, au fil du temps, s’est transformée en dette. Il s’en acquitte aujourd’hui même s’il lui a « fallu / la patience du diable / des mots chargés de sable / et de pluie et de boue / pour revenir vers [nous] ». Faut-il d’emblée vous le dire ? Il s’agit a priori d’un grand Guidoni, comme tiré de son époque faste, de l’acmé de son art. « Je ne sais si demain / Sera mieux que la veille ». Le temps le fera décanter et révélera le grand cru qu’est ce Guidoni-là. Largement de quoi réveiller en nous le désir de Jean Guidoni, longtemps terni par des albums trop périssables.
On ne savait pas, ou on l’avait oublié : Didier Pascalis, le producteur, avisé compagnon de route d’Allain Leprest, est aussi musicien. Si les arrangements sont ici de Thierry Garcia, Pascalis signe la composition et la réalisation de l’album. Et joue par ailleurs des pianos et orgue. Notes et mots concourent semblablement à la dramaturgie de chaque titre ; les phrases musicales sont des émulsions sensibles, à ponctuer les mots, les accompagner, parfois les précéder, les faire parler plus encore comme elles le feraient pour un film muet. Ambiance cabaret, que ne renierait pas Kurt Weill, qui trébuche et tangote dans la pénombre. Chaque chanson est tableau : le noir et blanc du digipack et du livret sied bien à ces déambulations, ces légendes urbaines qui s’ébrouent dans le noir, les destins contrariés, les amours faciles et le sang séché. Guidoni n’est jamais aussi bon que quand il évolue dans les zones interlopes de l’esprit, les rues sombres, les matelas de bordels. Il renoue avec ces ambiances. Et convoque même le souvenir, tiré du lointain, de Djemila (« La dernière fois que je l’ai vue / A l’heure où passent les balayeurs… »). Il reprend le cours d’un itinéraire que nous avions cru interrompu, que cet album nous réveille. Ça fait un bien fou.
Jean Guidoni, Légendes urbaines, Tacet 2017. Le site de Jean Guidoni, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Ce soir à guichets fermés à L’Européen, à Paris ; prochaine séance le 20 novembre 2017 à La Cigale, à Paris.
Pas de vidéo, encore, qui corresponde à ce nouvel album. Par défaut, on renoue avec Djemila…
Votre article aussi nous réveille le désir de Guidoni …
Merci Michel
Guidoni le constant.
Il en est peu de son niveau et de sa rigueur. Je me souviens…nous nous sommes croisés dans le bureau du label « L’orange bleue » créé par Frank Thomas pour produire Francis Lalanne, nous cherchions tous les deux une production, c’était en 1981, je crois…Autant celui pour qui avait été créé ce label s’est révélé d’inconstance et d’une infidélité sans pareilles, ce Jean est resté sur sa belle et propre trace d’exigence, dans le verbe, l’énergie et la foi en l’autre. J’aurais aimé être à l’Européen mais les circonstances pour moi n’étaient pas bonnes.J’espère avoir retrouvé la forme l’automne venu…laissons faire le printemps…Le Printemps de Jean Guidoni