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Bernard Ascal : enthousiaste, exubérant, terrible, oh terrible !

Gaël et Bernard Ascal (photo Marie-Christine Mazzola)

Gaël et Bernard Ascal (photo Marie-Christine Mazzola)

Bernard Ascal est un artiste en grand bouillonnement, en perpétuelle récidive. C’est un Géo Trouvetou dans presque tout ce qui relève de l’art, aussi enthousiaste qu’exubérant. Les amateurs de chanson n’avaient vraiment retenu de lui que son formidable travail de marieur de poésies et de musiques, unissant la crème de la poésie à ses notes, à son timbre, dentelé comme il se doit : Aimé Césaire, Abdellatif Laâbi, Pierre Mac Orlan, Philippe Soupault, Joyce Mansour, Léopold Sédar Senghor, Guillaume Apollinaire, Tanella Boni, Raymond Queneau, Benjamin Péret, François Villon, Léon Gontran Damas, Max Jacob, Véronique Tadjo… qui sais-je encore… Ascal fait chanter les rayonnages et affuble de mélodies les reliures de nos bibliothèques ! Avec parfois des surprises de taille tels ces poèmes chantés de Pablo Picasso ou ces textes de Le Corbusier devenus chansons, comme quoi le béton peut se dissoudre dans la fine architecture des mots et des sons. Ce qu’Ascal touche il le transforme. En une matière presque nouvelle. Ne le criez pas sur les toits : Ascal est alchimiste.

Très en vogue ces derniers temps, le « en même temps » s’applique depuis toujours chez lui : il est simultanément peintre, compositeur, musicien, interprète, directeur de collections Et aussi poète, parolier et nouvelliste.

Il y a quelques décennies, il se mit à écrire des nouvelles, alors publiées dans des brochures pas confidentielles mais presque. Qui, ironie du sort, furent ré-éditées en l’an 2020, après ce que l’Histoire tiendra pour la première vague de la Covid19, née, dit-on, des amours coupables d’un pangolin et d’une chauve-souris. C’est L’amateur de billes [et autres nouvelles grinçantes](Rhubarbe éditions) : des histoires absurdes, absconses, un tantinet cruelles, effectivement grinçantes, qui aiment tant tronçonner les corps en huit que couper les tifs en quatre. Des textes d’anticipation, de fiction, de fission, de friction, qui n’auraient d’excuse qu’un total et angoissant confinement pour les écrire. Mais, dites, c’était quatre décennies plus tôt… Le poète a toujours raison : avec sa tignasse d’illuminé, où le sel a définitivement vaincu le poivre, Ascal, ce coquin, ce rascal, a tout d’un singulier et lumineux prophète.

Tant qu’il a récidivé avant le nouveau confinement. Cette fois par des chansons à lui, des inédites d’un quart de siècle comme des nouvelles, les Chansons du Gai Désastre. Comme si un désastre pouvait l’être, gai ! Par lui, si ! Pas désopilant, mais.

(pour commander ce CD, cliquez sur le pochette)

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Nouvelles et chansons se croisent et se toisent. C’est toujours le « je » qui prédomine, dans une étonnante proximité : Ascal est maître de son jeu, d’un monde le cul par dessus tête, d’une logique incertaine, schizophrène, d’un ordre médicamenté, militarisé.

Il y a du Kafka en Ascal, de l’Orwell (de 1984), du Franquin (des Idées noires) aussi. La posologie est quasi la même dans ses chansons, insolite cocktail d’anesthésiants et d’euphorisants, mots et maux qui, de concert, déambulent dans un monde blafard déchiré de cris d’écorchés vifs. Grinçant et jubilatoire, vous dis-je. Diabolique parfois, si je ne Mabuse.

Bernard Ascal explore là une dimension de la chanson qui n’existe pas, ne saurait exister. Qui certes emprunte pour partie à une chanson « engagée » (nous parler d’angoisse sécuritaire, ce n’est pas rien en ces temps tentés par une répression permanente), mais fait surtout son miel de l’absurde, de la cacophonie, du non sens, de l’irrespect du sens comme du son. Textes et musiques pareillement torturés, façon « expérimentation », sont accompagnés par un quatuor d’altos et par un quartet Fender Rhodes/guitare/basse/batterie à la tête desquels officie Gaël Ascal, à la direction musicale et aux arrangements : bonne hémoglobine ne saurait mentir.

Dans un monde de chansons bien fades, convenues, Ascal est comme un cheveu dans la soupe, surprise bienvenue, que d’aucuns diront jouissive. Il nous laisse à penser que la chanson peut encore cogiter, créer, transformer, être caillou dans la chaussure, poil à gratter, poil au nez. C’est une bonne nouvelle.

 

Bernard Ascal, Chansons du gai désastre, EPM 2020. Le site de Bernard Ascal, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.

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