Nous irons à la Médiathèque Francesca-Solleville
La commune d’Antraigues vient de baptiser sa médiathèque au nom de Francesca Solleville. La chanteuse, qui réside en face, n’a eu qu’à traverser la rue pour vivre cette cérémonie chaleureuse et fraternelle, où nous avons noté la présence, entre autres, des artistes Natacha Ezdra, Rémo Gary et Jofroi. Après le discours du maire, Gilles Doz, et la lecture du texte de la chanson Complainte pour Angela Davis de Guillevic par la conseillère municipale à la culture Agnès Delhaye, avant que Francesca ne chante deux titres (elle n’avait pas chanté en public depuis plus de deux ans, en fait depuis la soirée hommage qui lui a été rendu lors du Festival Jean-Ferrat en juillet 2022) et Rémo Gary un, c’est Michel Kemper qui a pris la parole. Nous reproduisons son intervention :
« Qu’il y a-t-il de plus beau, de plus grand qu’un livre, sinon toute une bibliothèque ? Désormais une médiathèque. De toutes les créations de l’Homme, le livre est je crois la plus belle, qui dans ses pages recèle tout le savoir, toute la curiosité, toute l’intelligence du monde. Offrez un livre à un enfant, vous l’éveillerez au monde ; offrez lui un smartphone, vous l’appauvrissez. Le livre, donc, précieux au-delà des mots.
Et l’invention du papier et celle de l’imprimerie sans qui il ne serait rien…
Ceci dit, encore faut-il savoir lire et, durant longtemps, jusqu’au début du XXe siècle, la circulation de l’information, récit des guerres et des faits divers, fut principalement orale. Mieux encore, elle fut chantée. Ce fut l’époque où le plus sûr véhicule de l’information était la chanson, loin devant le livre et la presse. Souvenez-vous de cette scène du film « Le Juge et l’assassin » de Bertrand Tavernier, où un chanteur de rue à l’orgue de barbarie, joué par Jean-Roger Caussimon, interprète La Complainte de Bouvier l’éventreur : l’information c’était cela, les journaux d’alors ne pénétraient pas les campagnes. Le ressentiment de la presse envers la chanson est né de là qui, depuis, le lui fait payer chèrement.
La chanson est doyenne, bien plus vieille que l’écriture, que le papier et la typographie.
Dès que l’Homme eut un langage articulé, avant peut-être, les mamans berçaient leur nouveau-né d’une mélodie, de sons, presque de mots. Nos archéologues ne le sauront jamais, mais on peut s’imaginer Lucy, que découvrit Yves Coppens, susurrant une chansonnette à son enfant…
La chanson est de tous temps, qui accompagna les pas de l’Homme, ses espoirs, ses craintes, ses croyances, qui fixa un peu de la mémoire des peuples et peuplades et, par ses mots qu’on reprend au passant, qui a transmis cette mémoire.
Associer aujourd’hui, en façade de ce lieu de culture, une insigne chanteuse et le livre, c’est faire se rencontrer deux des plus superbes modes de communication, deux expressions du talent de l’Homme.
Je ne ferai pas ici le panégyrique de Francesca Solleville. Juste souligner son œuvre qui est un peu comme Le Littré, qui est comme une superbe anthologie de la chanson et de la poésie. Il suffit de se rappeler qui cette magnifique interprète a pu chanter : Jean Ferrat, Louis Aragon, Allain Leprest, Guillevic, Guillaume Apollinaire, Pierre Mac Orlan, Serge Rezvani, Anne Sylvestre, Michèle Bernard, Bertolt Brecht, Paul Éluard, Luc Bérimont, Aristide Bruant, Rémo Gary, Robert Desnos, Paul Fort, Nazim Hikmet, Pablo Neruda, Pierre Seghers, Boris Vian… Un tel générique laisse pantois.
Brassens chantait qu’il suffit de passer le pont, un autre bien moins talentueux que lui prétendit il y a peu qu’il suffit de traverser la rue… Cette rue que Francesca Solleville franchit aujourd’hui pour gagner un peu beaucoup de l’éternité qu’elle mérite, pour donner son nom à un lieu par nature formidable et formateur, un lieu d’utilité publique car bouillon de culture. Son nom qui voisine avec celui de Christine Sèvres, pas loin de celui de Jean Ferrat. Son nom ici gravé pour que des générations de lectrices et de lecteurs, d’auditrices et d’auditeurs, sachent qui est cette interprète d’exception au goût si sûr, et ce que peut être la chanson : pas cette soupe formatée, souvent inaudible, ces tubes qui par définition sont creux, qui coulent de nos transistors et de nos portables, mais cette expression raffinée, cet engagement constant qui affûte plus encore la poésie pour en faire un cadeau, un outil, une arme.
Le simple nom de Francesca Solleville dit à quel point ce lieu est un repaire de la beauté, de la culture, un incubateur d’idées, un lieu d’agitation. En ces temps incertains, on a en plus que jamais besoin. »
Merci pour cet envoi. Y aurait-il d’autres photos que nous pourrions publier dans le journal « Malakoff Infos »
Où nous allons faire un rappel de cette manifestation.
Bien cordialement
Dominique Corrdesse