Nicolas Jules, le roi des aphorismes
Nicolas Jules nous affirme que « la musique, c’est pas sérieux ». Pas sérieux peut-être, mais de plus en plus noir ? Nicolas Jules ne veut pas être un chanteur engagé, pourtant la lointaine rumeur d’un monde sombre ou dévoyé lui parvient aux oreilles, et il ne l’aime pas. Ni ces Perroquets mâles ou femelles, qui dansent sur un cha-cha dissonant, soucieux seulement d’être conformes aux modèles consuméristes.
Désespérés que nous sommes par un environnement d’une modernité inhumaine, comme celui de Six heures et demie – dans une ville détruite où la lumière n’est qu’un souvenir tenace — certains cherchent secours dans l’amour.
Mais lui, ou son personnage, ne rencontre que des femmes lointaines, tout simplement « pas là » : « Comment peux-tu être aussi belle / En n’étant jamais vraie ». Des femmes toxiques, écervelées, nombrilistes, fatales ? La chanson-titre en est un portrait particulièrement acéré… Pourtant, passée cette impression déprimante, on peut s’abandonner à l’univers de Nicolas Jules et y trouver quelques lueurs d’espoir, et éviter de reprendre à son compte « Tu bois pour oublier / Que ta vie c’est l’enfer » , de cette ancienne chanson (2008), Celui qui n’a rien (se creuse la tête et c’est bien / Celui qui a tout / N’a plus qu’à creuser son trou). En gros, un résumé de sa philosophie, même si parfois ça fait fuir les dames. « Là, j’ai peur que tu reviennes / Mais ça n’est que le printemps ».
Parce qu’on ne comprend rien à l’album, plein de sous-entendus cachés, si l’on ignore qui est l’artiste. Quelqu’un qui ne défait jamais ses cartons, ne possède rien et ne range rien dans son frigidaire (oui, je sais, ce n’est pas le mot officiel mais il est beaucoup plus joli – fin de l’aparté), ne fait pas la cuisine, mange au bistrot, sur le comptoir au marché ou parfois au restau lorsqu’il est en veine, et couche à l’hôtel ou dans une « chambre de bonne ». « Ne rien posséder est une joie sans nom » . Remontent dans ses chansons des souvenirs « Je songe aux amours anciennes » où défilent des épisodes du manège de sa vie (pas pu résister au cliché, mais la musique est si évocatrice…) « Je rejoue le film de ma vie ». Ne pas s’installer à l’ombre des persiennes de sa location nouvelle.
C’est donc pour cela qu’il donnera rendez-vous dans un bistrot, préférant toujours la ville, ses passants, ses rencontres, au calme et à l’isolement de la campagne. La rencontre ne se fera pas : « Elle est le souvenir d’un arbre / Et moi qui chante dans son dos je suis le souvenir d’un oiseau ». Un oiseau oriental. Nous, on s’en souviendra, Sept – huit – deux mille vingt trois « J’ai fait une chanson pour toi, le fleuriste était fermé ». Lui seul sait à quoi, à qui correspond cette date. Ou à personne, c’est peut-être un faux indice comme dans les romans à suspense. Pourtant quand elle répond, l’atmosphère s’illumine : « bleu jaune bleu rouge ton sourire sous la Guirlande électrique », il faut dire qu’il faudrait être bien insensible pour ne pas donner suite à une telle invitation : « J’ai construit une ville pour t’y donner rendez-vous / Les bistrots y sont toujours ouverts et mes bras pareil ».
Pourtant au jeu de la vie qui parfois dissone, ponctué en force comme en subtilité par la batterie de Roland Bourbon, enveloppé des cordes des violons de Frédéric Jouhannet, secouées des siennes propres, guitares, basse, c’est Le muscle de [l]a mélancolie qui domine, celle du temps qui passe « Les vieux sont des enfants défigurés », des révoltes impuissantes, « éventrer la pluie, Poignarder la fumée », des amours inabouties ou finies.
Alors, stop ou encore ? Encore bien sûr ! Même si certains (pourtant belges) ne comprennent pas les fulgurances poétiques, s’attachant aux rencontres volontairement triviales de mots, hameçon, poisson, et … cornet de frites, nous on aime bien l’humour belge. Et puis Nicolas a l’art d’assembler des mots qui ne se ressemblent pas, « Le silence pousse des cris » — ou qui se ressemblent – en métaphores hardies ou personnalisations inattendues « Les cheminées ont repeint le ciel / D’un noir éternel ». Et en toute simplicité : « La jolie joie d’être ». Il fait ça dans une abstraction concrète — pour rester dans l’oxymore — dont il a le secret. De plus en plus et de mieux en mieux, en contagion des peintres belges surréalistes, Magritte, Delvaux…, ou tout simplement dans la lignée de ses propres œuvres picturales qui illustraient ses premiers albums – d’ailleurs Nicolas, si tu me lis, pourquoi ne pas renouer avec ces superbes dessins ?
Et puis il y a la musique, d’une grande richesse même si elle ne tombe jamais dans la joliesse. Pas de concessions, ça grince, cogne ou bat comme Un cœur sur la table (1), valse, murmure ou enfle, mêle acoustique, électrique et électro… Et même joue les intermèdes, haiku musical et poétique en mystérieux personnages, Mouche de la Saint-Marc, un moucheron noir et velu dont on ne saura rien de plus, sinon qu’il tourne en rond sur ces quelques notes, ou Robert le diable. Est-ce du sulfureux héros gothique dont il s’agit, en une démarche lourde, un peu dissonante, ou du papillon orange et noir, hantant les parages des bois humides comme les mouches susnommées ? S’en suivent des rêves qui « empêchent de dormir », où la biche n ‘est pas la mère du Faon (2) mais forte de son pieds s’attaque aux coffres-forts : « ce qui ne se vend pas s’offre ». La voix est douce alors, aussi douce que pour un adieu : « Déjà on se prépare à ne plus se revoir / Ou alors pas souvent », et dans la nuit on entend courir Les antilopes, et aussi un superbe solo de guitare rock…
(1) album 2004 (2) album Crève-silence, 2017
Nicolas Jules, La reine du secourisme, autoproduit 2024. Le site de Nicolas Jules, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Nicolas Jules est en tournée de concerts, avec également un nouveau spectacle, September Cohen avec Eric Lareine et Pascal Maupeu.
Rectificatif : Si , NJ cuisine, et rajoute ses talents culinaires à tous les autres…
« La reine du secourisme », clip 2024
« Six heures et demie », clip 2024
Inclassable, vaillant, obstiné et désopilant.. Continue l’artiste…