André Prieto : les derniers vers de Guy Thomas

André Prieto, connu pour être un des nombreux interprètes de Ferrat (photo non créditée)
Ce disque est une bonne surprise. Nous connaissons André Prieto, d’abord connu comme repreneur de multiples artistes (Bachelet, Brassens, Candelas, Tachan… mais surtout Ferrat), interprétations sans trop de relief si ce n’est celui, comme un poinçon, une estampille, de son accent du sud par nature chantant. Il fait partie, métier par ailleurs honorable, de ceux qui, de salles en terrasses, colportent le patrimoine, le font vivre. Mais, si l’on compare aux originaux…
Là, à deux titres près – nous y reviendrons – il n’y a pas de comparaison possible : c’est de l’inédit, des textes jamais interprétés, à tel point que c’est André Prieto lui-même qui les a musiqué.
Voici donc douze textes nouveaux de Guy Thomas, décédé en janvier 2020, poète qui fut un des paroliers de Jean Ferrat (également de Francesca Solleville, Jean-Marie Vivier, James Ollivier, Claude Antonini et de quelques autres) : il a ainsi écrit pour l’ermite d’Antraigues-sur-Volane tout l’album Je ne suis qu’un cri de 1985.
L’intérêt de cet album est manifeste, les textes font revivre l’auteur dans sa poésie, sa truculence, ses engagements : « je suis du côté des peuples qu’on opprime / de ceux qui sont pillés par le grand patronat… » Car la plume de Guy Thomas, « stylet trempé dans le vinaigre », est acérée et sait être redoutable (un de mes collègues journalistes en fit un jour l’expérience qui, pour l’avoir énervé, fut cloué au pilori du poète par deux poèmes assassins). Elle est aussi jouissive pour qui sait apprécier les pleins et les déliés de ses superbes vers.
Ces textes, jamais publiés auparavant, sont aussi annonciateurs de la disparition du poète, la mort est là qui guette au coin. C’est particulièrement vrai dans Un jour je dormirai : « Je me reposerai d’un siècle d’insomnies / Comme Gaston Couté dans son champ de naviots… » Rassurons-nous, Thomas n’écrit pas que ça, mais aussi d’autres choses essentielles : « Quand je suis étendu / Rêveur et pacifique […] je penses à mon cul / Dans un monde érotique ». Futur mort mais pour toujours bon vivant !
Deux seules reprises : Aquarelles, titre créé par James ollivier, et Le Bruit des bottes dont le créateur (à savoir l’interprète initial) et compositeur fut Jean Ferrat. Et c’est plutôt bien fait. Mais l’intérêt est presque autre : en ces temps où, de partout, droite extrême et extrême-droite se poussent du col, fascistes, dictateurs, génocidaires et autocrates mettent le monde en coupe réglée, où l’extrême-droitisation devient la norme politique et médiatique, il est utile de chanter plus que jamais cette chanson de 1998, prémonitoire : « C’est partout le bruit des bottes, c’est partout l’ordre en kaki / [...] On a beau me dire qu’en France, on peut dormir à l’abri / Des Pinochet en puissance travaillent aussi du képi ». Une chanson qui, va savoir pourquoi, ne risque plus d’être diffusée sur les ondes… Guy Thomas, qui avait de la suite dans les idées, insiste même dans un de ces inédits, en l’occurrence la chanson-titre de cet album : « Un jour ils seront là, les vaillants lepénistes / Car nous n’aurons pu su t’éviter ce cadeau / Tu vois t’avais raison, ma petite anarchiste / Nous aurions dû plus tôt traquer l’Ordre Nouveau ».
On pourrait passer au crible tous les titres de cet album : ils sont tous dignes d’intérêt. Musiques plaisantes, poésie prenante – je n’ose dire essentielle –, ce disque peut sans mal entrer dans une discothèque soucieuse de pertinence, de qualité.
André Prieto, Le Rouge et le Noir (chante Guy Thomas), autoproduit 2025. Le site d’André Prieto, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Guy Thomas, c’est là.
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