CMS

Barjac 2025, Leïla Huissoud sublime la douleur

Leïla Huissoud en duo à Barjac ©Didier Kovacs

Leïla Huissoud en duo à Barjac Photo©Didier Kovacs

29 juillet 2025, festival Barjac M’Enchante, Espace Jean Ferrat

 -Par Gabriel Kerneis

La scène du château, ce soir à Barjac, est encombrée d’un bric à brac — le matériel, déjà présent sur le plateau, du groupe qui jouera en seconde partie (1). Au centre de cette scène, au milieu du bazar, une estrade circulaire, au bord de laquelle s’assoit Leïla Huissoud. Entre ombre et lumière. Dans ce petit espace qui lui est alloué, accompagnée du guitariste Antoine Graugnard, elle va déployer une heure durant l’histoire d’une guérison.

Tout commence par un confinement. Puis des gares, Avant Nantes, égrenées comme un chapelet : « Ancenis Gare […], Mauves-sur-Loire […], Thouaré-sur-Loire et puis plus rien ». Tout commence par une femme cassée qui a oublié le sens de chanter. Jusqu’à ce qu’une anonyme, au hasard d’un supermarché, lui rappelle que c’est là son métier. Alors elle reprend la route et le chemin de l’écriture.

Leila Huissoud document Magali Lucie

Leila Huissoud Photo Claude Juliette Fèvre

Le concert nous fait traverser ces années de reconstruction. Il dit la douleur sans fard, étalant tripes et entrailles avec une méticulosité chirurgicale, impudique. Leïla chante « les béances à l’intérieur » de tous ces paumés « qui ont quand même choisi la vie ». Elle explore « nos monstres » à travers les siens : « le plus violent est à l’intérieur. » Le mot « dépression » n’est jamais dit mais il n’est jamais loin (on le retrouve sur le disque, dans Déguisée en fille, poignant appel à l’estime de soi). L’honnêteté comme méthode de survie, le partage comme thérapie contre la disphorie. Elle évite toutefois l’écueil du « moi je » en articulant l’intime et le collectif de la plus belle manière : décortiquant les émotions des autres autant que les siennes, la chanteuse espère les apaiser toutes. Son chemin, elle le fait avec le public.

L’humour est présent aussi. Le spectacle n’est jamais plombant grâce à l’alternance de chansons introspectives et de pastilles de vie croquées avec une joie féroce. Ainsi l’observation de « [s]es p’tits passants » dans 1, 2, 3 Soleil, ou le portrait (malheureusement pas sur l’album) d’un surdoué « trop intelligent pour être heureux ». De chanson en chanson, les textes de liaison font rire souvent, et tissent le fil d’une belle évolution.

Leïla Huissoud se présente devant nous en disant qu’elle va mieux. Et je la crois. Car il faut faire ici une confidence : j’ai déjà vu ce spectacle, en décembre 2022, aux Trois Baudets à Paris. Il était alors en chantier, avec déjà les principales chansons, l’émotion brute, mais également de nombreuses maladresses éponymes, des hésitations, l’impression d’une certaine détresse. Parce que ma vie était alors trop agitée, je n’avais jamais fini l’article pour Nos Enchanteurs. Peut-être aussi parce que je ne savais pas trop quoi penser de cette exploration qui renverse les attendus de bienséance et de féminité. Que cherchait-elle à dire, à faire ? Rien n’est lisse ici. Il faut être bien ancré pour recevoir ce monde intérieur qui chavire et se déverse.

Trois ans après, voir et chroniquer cette version aboutie est un grand bonheur. Le rythme est sans faille, les textes précis, les intonations justes. Les arrangements d’Antoine Graugnard, plus ciselés encore en solo que dans les orchestrations du disque, soulignent à merveille une voix qui se fait tour à tour rauque et malicieuse. Le vers est plus libre aussi, l’autrice osant parfois lâcher ses habituelles octosyllabes pour un flot qui colle à sa respiration, à son corps — on se prendrait presque à rêver de métriques impaires sur le prochain album.

Le concert s’ouvre sur une interprétation déchirante de la Niaise, vestige de l’Ombre (son premier album). Il s’achève par les Chansons Tristes, aux derniers mots espoir de lumière :

« Le nez en l’air et l’air de rien
Se donner une chance d’être
Le nez en l’air et l’air de rien
Se donner une chance d’être bien. »

 

 (1) Les fouteurs de joie

Le site de Leïla Huissoud c’est ici ; ce que Nos Enchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. L’album La Maladresse est difficile à se procurer, mais on peut le trouver sur le site du distributeur ou après les concerts. Prochaines dates à Allègre les Fumades (30) le 10 octobre, Châteaubernard (16) le 14 novembre et Épinal (88) le 18 novembre.

« Les Chansons Tristes » Image de prévisualisation YouTube

« Avant Nantes » Image de prévisualisation YouTube

Avant Propos : « La Poussière » (pas une chanson, mais donne une idée des interchansons à défaut de captation live) :
Image de prévisualisation YouTube

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>

Archives