Watine, le pays étrange de la vie
L’album commence tel une confidence « Il pleut, Albert ». Albert n’est pas un amant, un fils, un père, ou alors spirituel. Albert a, paraît-il, regretté d’avoir donné au monde les moyens techniques de faire pire. « Il pleut des fissions nucléaires / Des gaz, des effets de serre » (1). Seul espoir, « Formons une cohorte / Et faisons en sorte… »
Catherine Watine est musicienne, poète, autrice compositrice, chanteuse, mais surtout peut-être philosophe, si ce mot n’était pas autant galvaudé. Catherine, elle, à l’aune de son expérience intime, n’a de cesse d’embrasser le monde, dans tous les sens du terme. La bonne fée qui s’est penchée sur son berceau n’a pas été avare dans sa distribution de dons humains, artistiques, elle l’a même faite solaire, de cette beauté qui éclaire. Pourtant elle a aussi vécu les pires épreuves qu’une femme puisse subir, et c’est avec une infinie pudeur qu’elle évoque dans sa dernière chanson le fils d’un ailleurs « Il me raconte / Les rayons verts / Et les soleils rouges / Qu’il voit plonger au bout de la TERRE » . Se relevant toujours, et plutôt que de s’aigrir, cherchant la lumière dans la nature, les humains, la force de la vie. Cette chanson évoque la mer comme moyen de ressourcement, à la fois pour son rôle apaisant et pour sa force, elle y revient avec Dessine-moi la mer « Entre l’infiniment petit et l’infiniment grand / Je cherche la sortie désespérement / On construit, on isole pour démesurer le temps / On a peur de mourir (…) Dessine-moi la mer et les cimes de verdure », ou encore dans J’erre sur cette terre, « Lorsque le soleil s’effondre / Au bout de la jetée du bout du monde / C’est là que je vagabonde (…) En attendant que cet amour t’inonde ». Cet amour auquel elle croit encore et toujours, car Nous voulons des anges…
Watine ne cesse d’expérimenter : de l’électro de ses débuts avec Random Moods (2005), du rock au folk et à la pop, du parlé au chanté, en anglais ou en français - Atalaye fut notre première rencontre en français – , elle ne s’interdit rien, pas même la musique expérimentale, avec cet album essentiellement instrumental, Géométries sous-cutanées (2019), où deux textes seulement, en français, évoquaient la puissance sacrée de l’amour sensuel, et une immortalité toute spirituelle, suivi en 2020 d’un six titres, Intrications quantiques, où l’eau, la forêt, les étoiles sont l’écrin d’Eros et Thanatos.
Habituée des collaborations poétiques et musicales, elle a suscité par la richesse de ses thèmes comme de ses musiques seize revisites par pas moins de quatorze artistes différents, regroupés dans Maison Géométries. C’est dire qu’on peut parler d’un œuvre avec ce répertoire complexe et profond. Laurent d’Intratextures, rencontré à cette occasion, se joint à elle dans le groupe Phôs pour créer À l’oblique, en 2019, un post rock progressif presque sériel, où Laurent est à la musique et elle aux textes, en puissants récits, où le drame de la vie, ses cauchemars, ses espoirs déçus, ne cède pas devant son irrépressible volonté de vivre ses rêves : « J’entasse des milliers de choses / Dont un mouton et une rose / Qui ce matin / Avait éclose ». Puis une nouvelle collaboration sur sept titres, Disparition, en 2020, s’attachant à La pensée pour se noyer dans l’Immense, avec une sobre économie de mots qui vous transpercent en pure poésie, renouant avec l’anglais pour certains titres.
En 2021 viennent ces Errances fractales, essentiellement instrumentales mais où se glissent ses pensées, cérébrales ou sensuelles, en français, « Mais ton futur n’est pas présent dans mon avenir », flottant sur des notes de Chopin, des bribes de chansons, des grincements, peut-être le souvenir d’enfance d’une balançoire. Tout l’album est un merveilleux voyage musical filant comme le temps, sans début ni fin, où le piano rêveur fait lien de ces sons, de ces instruments, de voix d’enfant… dans une irrésistible quête, Moving forward !

Suit un sept titres, Cinétique géostationnaire en 2023, fait plus encore d’électro et de collages sonores autour du piano ou du violoncelle, de voix qui se fondent, d’orgasmes sacrés, de sensations, de souvenirs sonores, où l’on atteint des sommets musicaux. On n’a pas surfé sur une musique expérimentale – mais directement accessible – que l’on revient à de petites notes impressionnistes autour du piano. Chaque fois que l’on tente d’assigner Watine à un style, la note suivante vous étonne à nouveau sans vous déconcerter, vous fait comprendre la richesse infinie de la musique, et de la sienne en particulier. Une musique qui nous fait du cinéma sans ou avec des images (ses clips font appel aux meilleurs artistes, elle-même y compris), sans ou avec des paroles.
Revenue au piano en 2024 avec ces superbes Short series of arranged piano, le chemin est tracé pour un retour à un album proche de la chanson : un piano, une voix, une émotion, et parfois en ponctuation une texture sonore, le saxo de Quentin Rollet ou le violon de Gaëlle Deblonde. À peine a-t-elle fini ce projet amorcé en 2022, ce N’être qu’humaine qu’on pourrait écrire aussi Naître qu’humaine, qu’elle amorce déjà une nouvelle thématique, L’enfer, avec ce titre, Possible, repris d’un projet de 2017.
Revenons au présent album, plutôt introspectif, vers l’essentiel, l’émotion pure d’un ressenti mélancolique mais toujours plein d’espoir, avec cette voix confidente et ce piano aux accents de Satie, de Chopin ou de Philippe Glass. L’humour s’y cache dans les regrets d’un amour qui n’a pas duré, dans Les risques de la nuit, où elle se fait jeu de reprendre à son désavantage des expressions idiomatiques : « Mais je ne suis qu’un bûcher pour tes vanités », « Rien ne sert de mourir, il faut partir à point » ou autre « Tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin je me casse ». Et finalement, même s’il y a Des jours comme ça, Catherine est là pour « emprunte[r] des passerelles parmi les hirondelles ».
(1) Vous avez bien-sûr deviné qu’elle s’adresse à Albert Einstein…
Catherine Watine, N’être qu’humaine, 2025 Disponible en numérique, CD et en Vinyle, à commander sur bandcamp où la totalité de la discographie numérique (27 albums) est disponible à prix réduit.
Le site de Catherine Watine, c’est ici. Ce que Nosenchanteurs en a déjà dit, là.
Catherine Watine organise chez elle, une très belle chapelle transformée en habitation et salle de spectacle, des concerts pour des artistes ou pour elle-même, à suivre sur son profil facebook.
« Il pleut Albert » 
« Il me raconte » 
« La force de la vie » 
« Des jours comme ça » 


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