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Treize novembre 2015, dix ans

Place Saint-Gervais Document Ville de Paris

Place Saint-Gervais Document Ville de Paris

C’était un joli mois de novembre, où l’été s’attardait à l’automne. Un vendredi soir où certains s’étaient rendus à Saint-Denis au Stade de France pour le match de football France-Allemagne, qui avait bien commencé pour les supporters français, la France ayant marqué deux buts ; les amateurs de rock alternatif s’étaient rendus en nombre – quelque 1500 personnes -  au Bataclan voir le groupe américain d’Indie rock Eagles of Death Metal qui ne croyait pas devoir porter si bien son nom ; les autres profitaient de leur première soirée de weekend et de la douceur du soir  pour se réunir entre amis aux terrasses des cafés et restaurants. Bien sûr on n’avait pas oublié les attentats des 7 et 8 janvier contre Charlie Hebdo et le supermarché casher, il y avait régulièrement des alertes à la bombe, mais l’on continuait à vivre et à espérer. Comme l’a écrit plus tard HK et ses Saltimbanks : « avons nous tort de croire encore / Que nous sommes frères sur cette Terre (…) Ce soir nous irons au bal ce soir nous danserons de plus belle / Nous danserons ma belle tous les deux entre les balles »

Et puis, l’inimaginable, l’équivalent toutes proportions gardées, des attaques du 11 janvier 2001 pour les américains, ces actes de guerre terroriste organisés contre plusieurs lieux, frappant à l’aveugle des parisiens, des provinciaux, des français de toutes origines, des étrangers en vacances, de toutes religions y compris musulmane, des athées, de tous âges mais avec une majorité de très jeunes, inconnus ou connus. Attentats suicides au stade, arrêtés presque à temps, faisant un mort, plus les terroristes ; 90 morts au Bataclan, 40 morts sur les terrasses, plusieurs centaines de blessés marqués à vie, handicapés, sans compter ceux qui se sont suicidés après, même rescapés, se reprochant de l’être, hantés par ce souvenir insupportable, et tous les parents, enfants orphelins, amis et familles endeuillées. S’efforçant de se reconstruire, de croire encore à l’être humain.

Il faut souligner l’initiative du journal Le Monde, qui a publié à l’époque une série de  portraits #en mémoire, pour chacune des victimes afin qu’elles ne restent pas anonymes, une photo, une courte biographie, des témoignages de Vie. Parmi eux beaucoup d’artistes ou de techniciens du spectacle, comme le guitariste Baptiste Chevreau, petit-fils d’Anne Sylvestre, à l’aube de sa vie, à qui est dédié le kiosque de Tonnerre, et à qui sa sœur Clémence s’adresse avec tant de pudeur. Dès le lendemain les artistes se sont mis à écrire compulsivement, pour évacuer l’émotion, la douleur, pour résister aussi, chacun à sa manière. Certains ont supprimé ces chansons après, d’autres les ont enregistrées, certains dix ans après les chantent encore en concert, et ce ne sont pas souvent des chants de haine ; la chanson libère, reconstruit. C’est un cri qu’on ne peut retenir, une respiration. 

De ces chansons consacrées à la mémoire de ce drame, il en existe bien encore une cinquantaine.
Vous pouvez réécouter celles déjà passées sur NosEnchanteurs ici, de la déclaration d’amour à la France de Magyd Cherfi, jusqu’au sens caché de ce Dortoir du Bon Dieu et ses staccati de Nicolas Paugam, en passant par le reportage chrono à la « Belle Équipe » de Luc Alenvers, qui fait penser au Hold-up de Chedid. La litanie lyrique de Damien Saez « Ils étaient de Paris, ils étaient de Province / Ils étaient cœur de pluies qui font mon cœur qui grince », les rimbaldiens « pantins noirs au captagon » du fulgurant Lavilliers, les larmes de Mokaïesh, « Oh, qu’est-ce que c’est ce vol noir de corbeaux (…) Oh j’en ai pire que froid dans le dos », la tendre dérision d’Oldelaf qui interpelle directement Novembre
« On croyait comprendre, que tu serais joli » sur un rythme rock, qui face à son fils de six ans, avoue sa peur : « J’ai peur quand on voit un film, j’ai peur quand je chante des rimes / J’ai peur quand je suis tout seul, j’ai peur même quand j’suis pas tout seul. « Le Credo d’Yves Jamait, les Fleurs de Jann Halexander. 
La compassion du louisanais Zachary Richard, qui invente une rencontre amoureuse au Bataclan, pour amoindrir l’impact de la catastrophe, tout comme ses ancêtres parlaient simplement de « grand dérangement » pour évoquer le nettoyage ethnique dont ils ont fait l’objet. Les cendres qui pleuvent sur Zoé Simpson, d’un deuil intime suivi d’un deuil national « Mon père, ma sœur tombent dans mes bras / Des jeunes tombent dans les attentats ».

Bien d’autres artistes sont à découvrir encore, qu’ils fassent s’exprimer celui qui va mourir (François Fraisse, Adieu amis), s’adresse à celui qui ne reviendra pas (Valérie Mischler, Tu ne reviendras pas) ou donne la parole à un blessé défiguré qui cherche à se reconstruire (Kent, Le revenant). Qu’ils incitent à résister (Ian Dayeur, On reste debout), en transformant le sens du mot Touché : « Touché mais pas coulé » (Jules Nectar), en se tenant par la main (Cali, On ne se lâchera pas la main), en sortant dans tous les lieux de culture et de joie (Pierre Donoré, Vivants). Ou qu’ils bercent la douleur en tendresse (Alexis HK, Marianne)
Qu’ils chantent l’espoir pop-rock (Freddy Petit, Bataclan : « 
Ma chandelle est morte / Je n’ai plus de feu / Je dors contre ma porte / Sans l’amour des dieux »), ou chanson allusive (Céline Ollivier, en duo avec Alex Beaupain, Pour la peine) voire absconse (Batlik, Paradis : « Où les paradis sont construits sur des cadavres ou des adieux ».)
Qu’ils abstractisent le sujet, le transformant en hymne aux petites choses de la vie (Vincent Delerm, Je ne veux pas mourir ce soir) ou au contraire slament pour ne pas faire silence, sur les témoignages des victimes ou des témoins, dans un inventaire Amer, de Lhomé

Et puis ce cri d’amour, Paris je t’aime de Ryadh« Mais c’est lorsque l’on perd quelqu’un / Qu’on se rappelle qu’on l’aime ». Alors on se prend à réécouter les mots de consolation de Victor Hugo, choisis par Yves Vessière « Et reverse leur en pitié tout ce qu’ils t’ont vomi de haine » (Aime, et ne désespère pas, d’après le poème d’Hugo Il fait froid.)

Ce 13 novembre 2025, dix ans après, cette journée a été consacrée à la commémoration des événements dans les différents lieux des attentats où figurent des plaques commémoratives des victimes. Toutes les cloches de Paris ont sonné, et à partir de 17 heures 30 la Place Saint-Gervais, aménagée depuis juin, a été officiellement inaugurée avec des chants  et des musiques, notamment Eddy de Pretto chantant L’absent (Louis Amade/Gilbert Bécaud) tandis qu’étaient projetées les photos des victimes sur un écran géant, Axelle Saint-Cirel chantant la Marseillaise, ou le Requiem des Lumières de Victor Le Masne. Des blocs de granit figurent chaque lieu du drame et le jardin est aménagé en fleurs et graminées de saison, comme un jardin-souvenir mais aussi un jardin familial de vie. 

Plusieurs documentaires sont consacrés ce soir à la télévision à cette commémoration, notamment avec la fiction documentaire Le choix de Sonia (qui a permis d’identifier les terroristes) à 21h15 sur France 2 suivie du documentaire Les ricochets sur les enfants orphelins du 13 novembre.
Sur France 2 également la série franco-belge en huit épisodes Des vivants, visible à la télévision depuis le 3 novembre et en différé, évoque la reconstruction des otages au Bataclan, devenus amis sous le nom de « Potages » (de Potes et Otages).
Le documentaire 13 novembre 2015, nos vies en éclat, est disponible jusqu’au 17 avril 2028

 

Le site du jardin Saint-Gervais sur celui de la Ville de Paris c’est ici. Ce que NosEnchanteurs avons déjà dit des attentats du 13 novembre 2015, c’est là

Ecoutez l’excellent podcast de Marc Schaefer dans sa rubrique Hypersensibilité Culturelle, son analyse réconfortante et son passionnant témoignage personnel, avec de très beaux extraits des chansons ci-dessus.

François Fraisse « Adieu amis » Image de prévisualisation YouTube
Alexis HK « Marianne » Image de prévisualisation YouTube
Ryadh « Paris je t’aime » Image de prévisualisation YouTube
Yves Veyssière « Aime, et ne désespère pas «  Image de prévisualisation YouTube

 

 

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