Avocats en goguette…
(photos non créditées fournies par L’Épallle Théâtre – L’Autre Lieu)
« Un procès sans fin », revue du barreau des avocats de Saint-Êtienne, 29 novembre 2025, salle Louis-Daquin, La Ricamarie,
Depuis sa création, NosEnchanteurs se fait l’avocat de la chanson. Mais il en est d’autres. Il y a trois semaines, à Saint-Gély-du-Fesc, nous suivions la plaidoirie de Georges Brassens (p.c.c. Me Didier Leick, du barreau de Paris). Forts de notre tout nouveau bagage juridique, désormais rompus aux prétoires, rendez-vous dans la Loire, où le barreau de Saint-Étienne faisait sa revue bisannuelle, pour la seconde fois ouverte au public (durant longtemps, ce fut strictement réservé à la profession, même les conjoints en étaient exclus), sorte de défoulement jubilatoire, d’exutoire, de catharsis où le principal outil n’est autre que la chanson.
Plus de deux heures en scène pour quinze avocats et, ma foi, sans doute des vocations de chanteurs (de chanteuses surtout) contrariées par le port prolongé de la robe : à The Voice, je connais désormais des gens qui, de droit, auraient toute leur chance.
Incisive, drôle, instructive (on comprend tout ou presque du fonctionnement de la justice, particulièrement du barreau), la version présentée au public était toutefois expurgée de quelques détails vengeurs, notamment de l’accusateur nom de certains collègues. Qu’importe, ça fusait tout de même, avec des allusions tant au local (Perdriau, le maire de Saint-Étienne en attente du verdict de la fameuse sextape*) qu’au national.
Passons sur les sketches, trop longs mais parlants, qui nous livrent une ubuesque comédie au sein du Palais de justice, ce sont les goguettes, nombreuses, qui sont plus encore mordantes. Qui plus est jouissives.
Julien Doré, Superbus, Anaïs, Rihanna, Diam’s, Gilbert Montagné, Asaf Avidian, Daniel Balavoine, Johnny Hallyday et Dalida par deux fois, Pomme, Vianney, Émile et Images, Dave, Black M… : tous sont mis à contribution. Les goguettes sont finement travaillées, à bon escient : toutes en des propos calibrés, avec le mordant qu’il faut, mélange d’humour et de vitriol (il m’est avis que, au moins pour les sujets urticants, ils ont pesé leur propos au trébuchet, faisant sans doute appel à leurs avocats).
Cette revue réunit à elle seule toutes les définitions de « goguette » : les chansons « sur l’air de », la société chantante (ici le barreau stéphanois) et l’« humeur réjouie » synonyme de « partir en goguette ».
La chanson, désormais totalement aseptisée, insipide (au moins dans son expression sur les grands médias), retrouve ici, par cette assemblée de robes noires & épitoges d’hermine, l’une de ses fonctions : celle du social, de la chronique de l’actualité, de la satire, de la politique.
Tout y passe, à la manière d’un livre blanc qui consignerait les maux du métier : des conditions de travail des avocats, d’une justice lente et surchargée (« Elles s’enchaînent le jour même la nuit / Les audiences de l’ennui »), démunie avec des acteurs qui n’y croient plus vraiment. De décisions de justice parfois surprenantes, un peu au p’tit bonheur la mal-chance. Ou de ces gens en robes qui jouent des coudes – pas des coudées franches - : parodiant Balavoine « Et partout au Barreau / J’veux qu’on parle de moi / Dans les couloirs du Palais / J’veux devenir une idole […] J’veux mourir magistrat ». Des clients, pas tous cleans : « On va dealer derrière la Palais / Des barrettes ou des savonnettes / On va dealer sur un parking / Aux marches du Palais ». Des honoraires élevés : « J’ai bien vu que sa main tremble / Quand il fallait signer en bas / Il disait ah ouais ouais mais / L’avocat coûte un bras […] Il faut que tu payes ! »
Des reproches de l’extérieur, de l’intérieur, il y en a à la pelle qui nourrissent ces goguettes. Mais la plus belle de celle-ci reste à l’adresse des populistes (suivez leurs regards autant que le mien) qui attaquent la profession : sur un jus de la chanteuse Pomme « Quand il n’y a plus d’État de droit / On veut faire taire les avocats / La voix du peuple a tous les droits / Elle dit que les avocats mentent / Ou bien sont de mauvaise foi / Mais tout simplement oublie / Qu’ils sont piliers de la démocratie [...] Quand on n’a plus d’État de droit / Qu’on a tué les avocats / C’est l’arbitraire qui s’installe / C’est les pogroms, nuits de cristal ». Il fallait que ce soit dit. Et chanté !
*Le maire de Saint-Etienne vient, ce 1er décembre 2025, d’être lourdement condamné dans cette affaire. Incarcération de quatre ans fermes différée ; il perd, avec effet immédiat, tous ses mandats.


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