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Fred Radix et le chant du bistanclaque

Archive. Ce fut en août 2004, lors de l’ultime festival Les Oiseaux rares, à Saint-Julien-Molin-Molette. Une pièce musicale qui rêve de lendemains qui chantent. Avec Fred Radix jouant à domicile et, entre autres, Amélie-les-Crayons.

Radix en inflexible contremaître à l'époque, pas si lointaine, où existaient encore des usines… (archives DR)

Nous sommes dans l’usine-atelier d’Olga et de Wilfried, parqués à attendre on ne sait quoi. Tout à l’heure, quinze femmes ont quitté le groupe ; puis, longtemps après, une quinzaine de gars. Là, c’est de nouveau un groupe de femmes qu’on a embarqué… On nous appelle enfin, sans ménagement aucun. On a beau être des festivaliers, tout est confus déjà, les repères se font la malle. Et on en mène pas large…
Toise, ou presque. C’est Rouillère, Baptiste Rouillère, le contremaître de l’usine Saint-Victor, strict col cassé, barbe en étroit collier aussi droit qu’on compte en T, un pète-sec qui nous met au pli tout de suite. Et au pieu, en ce dortoir où seule cette nuit nous protège encore du boulot : «Six heures au lever, sept heures au travail !» On est les bleus, qu’on blouse un peu. Là, des ouvrières (Amélie sans ses crayons, Réjanne Bajard et Laura Tejeda) dans leur lit, chemise de nuit en gros draps, qui peinent à dormir. Et parlent du boulot, harassant et répétitif. De la sueur, de la peur, du tout petit salaire : « On rit, on pleure / Sur notre labeur ». Félicie est là depuis trois jours et pratique déjà dix métiers ; Marie, la bobineuse, a quelques semaines d’activité ; Rosalie caracole de longévité : cinq ans et seize métiers. Toutes s’épuisent à la tâche dans l’infernal « bis-tan-claque » (*). Et filent mauvais coton. On les écoute quasi pleurer sur elles. Nous, les larmes sont pour demain, dès notre entrée en enfer. Elles nous découvrent : « Oh, il y a des femmes et des enfants ! Et des hommes, aussi ! » Gourmandise… Il y a aussi l’Étienne et le Jacques, deux gars d’Annonay qui, prétexte à la révolution qu’ils disent fomenter, s’en viennent plus sûrement visiter les filles… « Eh, tu m’en laisses, hein ! » Rappels à l’ordre du contremaître, raide comme un Radix. Ça conspire tout de même : «Dans les usines / Où l’on turbine / Ça va changer !». C’est un rêve les yeux ouverts que de saboter les usines : «Notre machine de guerre, c’est le bruit qu’on peut faire») et congédier les patrons. Mais lesquels ? Et jusqu’où ? L’Ernest-Antoine ? Et que fera-t-on demain sans ce travail, sans les usines ? Déjà que « L’atelier ne fait plus la maille / Le bistanclaque est à Shangaï »
C’est une p’tite comédie musicale qui, l’air de rien, à les atours d’une grande. Dans mon coin de chambrée, dans mon pieu, y’avait des hommes du village, des vrais, autochtones et pas touristes,qui plus est anciens. Qui ont peut-être plus applaudi encore que nous autres. « C’est tout à fait ça ! » a dit l’un. « Pour sûr, on l’a vécu. Et, en plus, c’est drôl’ment bien fait » a dit l’autre, ému, vraiment ému.
(*) Bis-tan-claque est l’onomatopée du bruit des métiers à tisser.

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