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Solleville et Leprest au Théâtre libre

Allain Leprest et Francesca Solleville (photo Michel Kemper)

Allain Leprest et Francesca Solleville (photo Michel Kemper)

19 juin 2010, Théâtre Libre à Saint-Etienne,

 

Je ne m’en plaindrai pas, il ne se passe pas deux mois sans que l’occasion me soit donnée, à proximité, deux trois pas de chez moi, d’applaudir Leprest. Pour l’heure en ce lieu petit et modeste, ce Théâtre Libre de Saint-Étienne, ancien garage devenu atelier de couture, de création de costumes pour le théâtre et de surcroît manufacture d’émotion où on retisse le lien social, où on maille l’absolue complicité. Avec cette fois, en prime, le bonheur, la chaleureuse complicité et tout l’amour de Francesca Solleville. Ce fut, on peut s’en douter, rare événement, précieux collector pour mémoire.

S’il en est un panthéonisé de son vivant, c’est bien l’Allain. De partout on monte des spectacles sur son nom, sur son œuvre, on rivalise d’hommages, on érige la statue, on grave des disques gorgés de ses mots, abreuvés de ses vers. Là, ce sont simplement des stagiaires chanteurs, des anonymes qui ne sont là que pour le plaisir. Et, quitte à faire, se le mettent en bouche : Le Poing de mon pote, Arrose les fleurs, Chien d’ivrogne, C’est peut-être Mozart, etc. Chacun avec sa sensibilité, avec ce qu’il a tiré de quelques strophes, d’un refrain. Chacun avec un éclairage différent, une « version » pas encore ouïe, avec sa propre histoire en filigrane, une possible et inédite dramaturgie, les mains sagement dans le dos où les bras brassant l’espace. Ça touche, même dans le gauche, dans la maladresse, par une voix qui parfois déraille… Chacun chante Leprest sur un titre, laissant ensuite théâtre libre au deux monstres sacrés qui vont s’alterner, se croiser, tricoter ensemble cette soirée.

Leprest oblige, l’occasion est trop belle, Francesca tire essentiellement de son répertoire du Al Dente, ce fameux disque qu’en 1995 Leprest lui offrit et relança sa carrière. Sarment, J’suis caillou, Le Chagrin, Un p’tit cheveu blanc, Elle et lui, Paris Chopin, Les P’tits enfants d’verre et, ensemble et drôlement, Sacré coco. Sacrée bonne femme qui ferait même palpiter des amputés du cœur, dont on dira jamais assez de bien, une sœur laïque qu’on écoute religieusement, un poing serré, l’autre levé. Au piano, Nathalie Fortin, malade à en crever, insolite clavier fait de trois blanches et de deux noires pour chaque éternuement. Et le public qui lui fournit d’abondance des mouchoirs jetables…

Leprest, pantalon froissé, mal fagoté, cravate petite et talent grand. Énorme. J’ai souvent été, non déçu mais insatisfait de ses récentes prestations, attendant toujours plus, encore mieux. Là, c’est l’immense Leprest que voilà, interprète démesuré de ses propres mots, charriant devant nous son p’tit monde, déchirant, tendre et douloureux. Nathalie ne sait pas tout de Leprest et parfois laisse le chanteur seul sur scène, sans notes, nu. Alors, formule sinon inédite au moins rare, l’Allain dit ses chansons, quitte le chanteur pour le récitant et c’est, le savez-vous, de toute beauté. La Retraite (oh combien d’actualité à l’approche de la manif du 24 juin), Mec, Il pleut sur la mer, Sur les pointes… C’est autre proposition encore en cette étonnante, passionnante soirée d’interprètes. Où régulièrement en est évoqué un autre, leur ami d’Antraigues récemment disparu.

Pas de conclusion après un tel récital, un tel festival, un tel bonheur pour cette petite salle bondée comme jamais. Sinon la trace d’un passage en ce lieu, plateau modeste et génial d’un soir. Dans cette ville où la chanson de paroles se fait rare cause à ces salles qui ferment et d’autres qui ne s’ouvrent pas, fasse que ce Théâtre Libre engrange d’autres artistes de cet acabit. Que cette salle à nulle autre pareille suinte d’autres émotions, perle d’autres beautés…

 

Le site d’Allain Leprest ; celui de Francesca Solleville ; et le site du Théâtre libre.

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