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C’est Bohringer, la nuit

Ça remonte à il y a sept ans, en octobre 2003, sur la scène du Théâtre de Cachan, dans le cadre du FestiVal de Marne. C’est Richard Bohringer, forcément la nuit…

Bohringer, "dans la jungle des rêves, d'horizons déjà taillés très larges" (photo Bruce Pierson)

Archive. C’est imprimé « concert » sur l’affiche mais, même s’il fait le chanteur, le vocable ne concerne pas trop l’acteur. Ni concert, ni récital, ni prestation d’ailleurs… Dans un trip autre, le sien, personnel et universel à la fois. « J’parais tendu, car j’essaye de garder mon énergie : ça tape très fort ! » nous prévient-il. Retour sur l’enfance « dans la jungle des rêves, d’horizons déjà taillés très larges », retour à la mère Afrique : « Il est beau, il est beau, Dieu, il est griot ! » Ça va, savane. Pieds nus, vêtu d’écru, un peu comme un bagnard, voici Richard Bohringer, chanteur qui conte, qui plaque ses mots sur l’ample résonance musicale d’ « Aventures », son groupe de scène : c’est de la dramaturgie, impliquée, rageusement spasmodique. Des mots, parfois, souvent, s’en décollent, s’unissent aux notes et font chansons. « Chaque soir, chaque concert, on ne fait jamais la même chose. Parce que j’en suis incapable. Parce qu’il faut garder le péril de son âme. C’est funambule chaque soir : pas deux fois le clin d’œil qu’on a réussi la veille. »
Bohringer est comme on le devine : vieux desperado, torrent de mots, onctueuse poésie de vie qui hémoglobine ses veines comme ses pas-de-chance. Le possible crooner est cassé, sa voix rouillée, mécanique usée de trop de tout, de toux aussi. Mais qui vous charrie des mots, des impressions, des respirations, de longues plongées en apnée dans le corrosif bain de la vie, là où « je n’fais pas d’la boxe pour donner des coups mais pour les éviter. »
« Aventures », six musiciens, est à l’exacte dimension de Bohringer : affranchi de toutes obligations, au moins en apparence. Hors la trame, les grands axes de circulation de cette ville-belle-la-nuit, c’est en liberté que les membres du groupe s’expriment, comme un catalogue de caractères qui typographie mieux que quiconque les mots errants, les mots de têtes, les mots dits de l’artiste : plein de pleins et de déliés qui délient le verbe, qui l’affranchissent. « Aventures » est enluminure qui éclaire les noires artères.
La chanson de Bohringer est autobiographie : c’est dire si elle est impliquée. « La vie, j’la gagnerai toujours, d’une courte tête. » C’est, en transe comme en transpiration, constante lutte pour et contre la vie, rage de toujours s’en sortir : « T’occupe pas des signaux, file le train, vas-y tout droit ! » L’artiste joue et se rejoue sa nocturne existence, évidemment poétique, follement romantique, entre sombre et lumières, entre Afrique et 42e rue, N.Y. ; entre Paris, cette « vieille pute », et « province et banlieue qui nous ont donné cette patate-là. »
Comme chaque fois, le spectacle est dédié à Roland Blanche et à Philippe Léotard, «mes frères», tant il est vrai que Bohringer n’est pas seul sur la scène de sa vie, et sur celles où il se produit : c’est plein de gens qui fourmillent, qui nourrissent l’émotion du chanteur-acteur. Même si la mort plane parfois, souvent, ça sent intensément la vie.

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