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Merci, Nicolas !

 

OLDELAF © Vincent Capraro

OLDELAF © Vincent Capraro

« Je t’écris d’une prison si sombre / Ici le soleil ne fait que de l’ombre / Explique moi pourquoi / La colère de ces gens qui nous aimaient tant hier / Ils m’ont dit qu’on t’avait retrouvé / Ils m’ont dit qu’on allait te juger / J’espère que tu va bien / Et j’espère qu’ils t’ont laissé au moins ta montre / De toi à moi / Dis-moi pourquoi les gens ne comprennent pas / Qu’aucun conte de fée ne finit comme ça » (Conte défait, extrait, Stéphane Balmino)

Ça y est, c’est fait ! Nicolas Sarkozy est congédié. Lui qui a perdu toutes les élections depuis cinq ans quitte la scène politique de premier plan sous les huées, après avoir mené la campagne que l’on sait. Il a fait pacte avec le diable, pacsé avec l’ignominie, il aurait tué père et mère pour être réélu. Le voilà parti petit, petit.

Il y a peu, sur France-Info, l’ami Dicale a fait rétrospective, président par président, des chansons leur étant consacrées. De Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand et Chirac. Il peut désormais la clore de Sarko. Précédons-le.

Mais, ne vous déplaise, même si nous le persiflons, rendons hommage au 6e président qu’il fut de la 5e : car jamais locataire de l’Elysée n’aura autant fait de bien à la chanson ! Et je ne parle pas de ce mariage d’intérêt avec Carla Bruni, top-modèle devenue, par on ne sait par quel entregent, par quelle entrejambes, l’égérie non de la chanson mais du showbizness aux intérêts confondus. Non, ce que je veux dire ici, c’est qu’aucun président des cinq Républiques n’a suscité autant de chansons sur lui, en réaction à ce qu’il est, à ce qu’il a fait, à ce qu’il a distillé, à ce qu’il a détruit. En cela, Sarkozy rejoint Mazarin, et les historiens, s’ils daignent considérer cet art du peuple qu’est la chanson, parlerons un jour de sarkozynades comme jadis on désignait les mazarinades, en évoquant, en rassemblant ces vers qui grouillent et longtemps encore grouilleront de saines colères, de pure indignation.

Paccoud (photo Frantz-Minh Raimbourg)

Depuis longtemps, Christian Paccoud chante « Une chanson, ça n’existe pas, Nicolas, ça n’existe pas (…) Ça porte le grand soir et ça rend beau les gens d’en bas (…) et ça pleure et ça rit, ça bouscule aussi ». Si cette superbe chanson s’intitule Nicolas, c’est pur hasard… ou destinée. Car si la chanson existe de nouveau, si elle est de nouveau engagement, Nicolas n’y est assurément pas pour rien. De Jonaz et son Cékika au lendemain de mai 2007 (« Cékika voté Sarko ? Je connais personne qu’a été voter Sarko / Si t’en connais / Vas-y dis qui c’est / Je suis sûr qu’il s’est trompé / Faudrait tout r’commencer » à Dominique Grange et son Dégage ! dégage ! dégage ! qui, à l’approche de mai 2012, ne souffre d’aucune ambiguïté, la chanson a retrouvé une de ses fonctions premières, une de ses origines. Sa fierté ! Tant qu’il est impossible de rendre compte en entier de cette niche de la chanson qu’est la détestation de Sarkozy.

« Ainsi le vieux menteur a quitté le pouvoir / Et l’peuple souverain appelé à voter / A choisi l’Iznogoud le teigneux à l’œil noir / Pour marcher à sa tête pour le représenter » (Michel Bühler, Démocratie). Le voilà donc, ce petit président que certains raillent méchamment (Gilles Servat dans Le prince charmant ; Florent Nouvel et son Petit homme public…), d’autres appelant à la révolte, à la vengeance (Rémo Gary, Le marchand de sommeil est passé : « Le marchand de terreur est passé, marchons, marchez / A défait chaque maille de la fraternité / A grands coups de flicaille nous voilà démaillés / Le marchand de terreur est passé, marchez / Demain la révolte passera, vengerai, vengera. » La personnalité du petit Nicolas est source de pas mal de réjouissance : ainsi chez Michel 3d (Playmobil) qui nous conte un petit garcon un peu teigneux qui veut devenir Président de la République. Même postulat avec les Ogres de Barback (Le petit Nicolas) et fable cruelle avec Alexis HK et son fameux Chiken manager qui oppose Jack le manger et Nic le coq de combat au potentiel de géant, « l’expert de l’attaque dorsale de l’adversaire ». L’omniprésence de Sarkozy (L’Homme électrique, selon Morro) est dénoncée de partout, comme dans Le démago de Prince Ringard : « Sur toutes les chaines, c’est Sarko Show / On sodomise la nation. » On osera aussi dans cette liste le très décontracté Didier Super dans Le nouveau président et que le Trahis d’Oldelaf & Mr D entièrement dédié à Carla Bruni-Sarkozy. Une carla associée à un joli titre (sans doute à multiples lectures) de Duaux : Hey, Nico, t’as bruni.

On peut lister à loisir cette œuvre chantée dont Sarko est, même à son insu, le vrai géniteur. Sur lui bien sûr, sur ce bilan aussi, sur lequel il n’est guère disert. A dresser les uns contre les autres, semer la haine et la discorde. Le Sarkoland de Trust comme celui de Jean-Claude Lalanne brossent en des styles fort différents le portrait d’un édifiant pays : le nôtre sous Sarko. La thématique lepéno-sarkozienne de l’identité nationale a, elle aussi, inspiré nombre d’artistes. Ainsi fait Font (sur l’air du Métèque, de Moustaki, seul ou repris par Nicolas Bacchus – Tiens, en parlant de Patrick Font, dommage que Philippe Val soit allé manger dans l’écuelle du p’tit Nicolas…) ou Bernard Lavilliers, ce dernier abordant aussi, par Bosse, le slogan cher au petit Nicolas du « travailler plus pour gagner plus » alors qu’il serait grand temps d’enfin partager le travail. « Travail, famille, Sarkozy / C’est la compassion pour les nantis / Mais si t’as rien à offrir, prépares-toi à souffrir » chantait il y a peu encore Mano Solo, dans Du vent, en prélude à ce grand soir qu’il ne vivra jamais. Grand soir, lutte, finale ou pas, que chantent Mélismell dans son fameux Aux armes ou Cali dans Résistance. Car On ne lâche rien chantent, résolus et dans la joie, HK et les Saltimbranks.

Ridan, résolu ! (photo Album Madame la République 2012)

Surprenant le nombre de vedettes confortablement installées dans le showbiz qui osent franchir le Rubicon de la chanson et s’exposer. Comme Michel Delpech (Comme on s’traite), Francis Cabrel (Les cardinaux en costume), Nicolas Peyrac (Ne me parlez pas de couleurs) ou Alain Souchon (Parachute doré, un de ses multiples titres qui savent capter l’air du temps). Liste non limitative, dont cette ultime et superbe chanson de Noir Désir : Gagnant – perdants. Stars de la chanson comme chanteurs dans le maquis, jamais thématique n’a autant transcendé la chanson que celle de Sarkozy, jamais. Il y a peu encore, il était de mode, comme élémentaire prudence, de ne surtout pas parler de « chanson engagée », de botter en touche en se proclamant « chanteur dégagé ». Dégagé de quoi ? Là, on ose à nouveau sinon le mot au moins qu’il recouvre. On chante même son engagement. Comme Cyril Mokaiesh dans Communiste, comme Ridan dont tout le récent album baigne dans cette ambiance (Ah les salauds !). « Je t’aime pas je t’aime pas, je t’aime pas, c’est comme ça, Nicolas » chante, navré mais résolu, Digital Affair, constatant qu’« il est possible de planter des cerisiers au mois de mai » tandis que Magyd Cherfi, l’un des Zebda, constate qu’il y a Toujours un connard qui veut sauver la France, que Rodolphe Burger interpelle ce président qu’il me ménage pas (Ensemble) et que Céline Caussimon se fait pédagogue pour expliquer La camisole dans laquelle nous sommes. Le rap n’est évidemment pas sans voix face à Sarkozy et sa politique de stigmatisation permanente, qui fourmille de chansons, tel ce Nettoyage au karcher de Keny Arkana ou encore Ma lettre au Président d’Axiom.

Un tel article ne saurait viser l’exhaustivité. Amis lecteurs, constituez par vos commentaires, vos contributions, l’anthologie sarkozienne de la chanson : toutes ses chansons contre, pour édifier, pour étonner l’Histoire. En mémoire de, au crédit de, chapitre débit il va de soi. Allez, une dernière pour la route, la plus fameuse sans doute, de Jean Duino : ça se nomme IOAAOI et il sont nombreux à s’être joint à l’auteur : Gilbert Laffaille, Clément Bertrand, Joël Favreau, JeHan, Bernard Joyet, Nathalie Miravette et Gilles Roucaute. La belle équipe !

 

15 Réponses à Merci, Nicolas !

  1. Norbert Gabriel 6 mai 2012 à 21 h 01 min

    La contribution de Maurice Fanon

    Dans ce monde mort-né d’avant quelle autre guerre
    Le Japon blessé lèche encore son cancer
    Dans ce monde sceptique où ceux qui ont la foi
    Ne savent plus si Dieu est devant ou derrière
    Dans ce monde d’argent où la banque surnage
    Comme une poisson ventru qui attend le naufrage

    c’était en 1965, « la petite juive »

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  2. Norbert Gabriel 6 mai 2012 à 21 h 07 min

    et celui de Ferrat..

    On m’a dit qu’il fallait prêcher le sacrifice
    A ceux qui n’ont pas pu s’ouvrir un compte en Suisse
    Qu’il fallait balayer tous nos vieux préjugés
    Et que ceux qui travaill’nt étaient privilégiés

    On m’a dit tu comprends tes idées archaïques
    Ne feront qu’aggraver la crise économique
    Ainsi la liberté dans un monde plus juste
    Fait partie des slogans qui sont un peu vétustes…

    mais demain est un autre jour ! et on m’a dit que le désespoir n’est pas inéluctable …

    Répondre
  3. Daniela 6 mai 2012 à 21 h 59 min

    Oh qu’il est beau « Nosenchanteurs » !!! Bravo!

    Répondre
  4. Norbert Gabriel 6 mai 2012 à 22 h 16 min

    et toujours Ferrat, à qui pensait-il Jean d’Antraygues ?? à ceux qui viennent d’être congédiés ?

    Puis d’autres sont venus beaucoup moins présentables
    Qui parlaient de la France en tapant sur la table
    Qui disaient faut changer c’est la loi du pendule
    On va pour commencer supprimer la pilule

    Ensuite il faudra bien flytoxer la vermine
    Rétablir la morale avec la guillotine
    Et pi gn’a qu’à virer les mauvais syndicats
    Pour conserver celui qui plaît au patronat

    Répondre
  5. danièle 6 mai 2012 à 22 h 27 min

    Et voici Nicolas le preux :

    Et l’avénement de Sarkozy a engendré cette colère , cette colère qui grondait dans la rue, quand lui ne voyait rien, n’entendait rien :

    C’est sauter à deux pieds sur l’édredon des ronces
    La rage qui défonce les portes enfoncées
    C’est l’opéra du cri, l’orage de tes bras
    C’est cracher du lilas à la gueule des orties
    C’est un hymne de fou, c’est l’étincelle noire
    Qui porte à la victoire l’agneau contre le loup
    Un baiser en dedans à l’amitié complice
    Qui mord à pleine dents le cul de l’injustice,
    La colère
    Allain Leprest La Colère

    Merci Nicolas pour toutes ces belles chansons .

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  6. Michel TRIHOREAU 6 mai 2012 à 23 h 20 min

    « Tout ça n’empêche pas Nicolas
    Qu’ la Commune n’est pas morte » !

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  7. Michel TRIHOREAU 6 mai 2012 à 23 h 23 min

    http://www.youtube.com/watch?v=WUUC7Z3aaqo&w=420&h=315

    Répondre
  8. Cat 7 mai 2012 à 1 h 04 min

    Bon… c’est pas tout ça ! Maintenant, au boulot !

    http://www.youtube.com/watch?v=dA7CSGIQNY8&w=420&h=315

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  9. Claude Festiv'Art 7 mai 2012 à 11 h 42 min

    Voilà une belle perspective d’écriture, Michel… apparemment un gros travail de collectage en amont pour commencer. Le corpus à déchiffrer se révèle immense, sans doute à la hauteur de ce que ce Président a généré dans les cœurs et les esprits. J’aime l’idée que pourrait se profiler là un travail historique comme on le fait pour d’autres périodes de l’Histoire, la guerre 14-18, la Résistance… Tu sais pouvoir compter sur mon aide, si besoin… en toute amitié. Claude

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  10. bonifassi Eliane 8 mai 2012 à 2 h 50 min

    Je viens de lire de relire votre article « Merci Nicolas ! », vraiment formidable cette somme de travail ! Que tout cela est bien dit et bien documenté. Je veux ajouter simplement, comme le chantait si bien la Grande Barbara : « Regarde, quelque chose a changé, c’est indéfinissable.. ». Le mot « Espoir » termine cette si belle chanson. Merci à toute l’équipe.

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  11. chanteuragages 9 mai 2012 à 20 h 36 min

    Bonsoir, merci pour cet article! et voici une autre petite pierre à l’ édifice ( par YOR, chanteur à gages )

    http://www.youtube.com/watch?v=0H2BMhh4apc&feature=youtube_gdata_player

    les chansons doivent être des leviers de démocratie et des façons de s’ élever!

    Répondre
  12. ALCAZ 15 mai 2012 à 12 h 53 min

    dans la chanson « T’as l’trac » d’ALCAZ
    … »T’as peut-être besoin d’vider ton sac :
    en vrac, en pack, du tacle au tac, Sarko, Mister big mac, l’euro l’irak, l’afrique les farcs les énarques et leurs arnaques…
    On va s’laisser faire jusqu’à quand hein Lacan ?
    Quelle bande de Sarko-Trafiquants » …

    Répondre
  13. Jacques 20 mai 2012 à 19 h 07 min

    C’est beau la liberté…
    C’est beau de pouvoir écrire tout le mal qu’on pense de ceux qui nous gouvernent, « Messieurs qu’on nomme grands… »
    C’est beau de pouvoir le chanter, l’exprimer, sans crainte…
    Où êtes-vous, en ces temps chauds, amis critiques à la dent dure, à Berlin en 38, dans le Moscou stalinien, au Cambodge de Pol Pot, chez Bachar à Damas… non, j’écoutais mes CD, en France, an 2012, sous Sarko… sans crainte…
    C’est beau la liberté …

    Réponse : La liberté, cher Jacques, ne s’use que si on ne s’en sert pas. La liberté c’est aussi de ne pas signer de son nom, mais de son seul prénom : c’est dommage, cette liberté-là manque à mon sens de courage, Jacques… Moi je signe. MK

    Répondre
  14. Jacques 22 mai 2012 à 11 h 52 min

    Cher Michel Kemper,
    Bien sûr il faut user des espaces de liberté qui nous sont encore consentis, et lutter s’ils sont menacés de rétrécissement. Les journalistes ne s’en privent pas, d’ailleurs, et c’est tant mieux. Mais la redondance de certains thèmes est usante à la longue. Le « c’est la faute à Sarko » a bien failli, d’ailleurs, être contre productif. C’est ce côté répétitif, fond de commerce facile souvent, qui ne nécessite pas un courage particulier, vous en conviendrez, chez certains artistes et journalistes, que je déplore à la longue. A la lecture du titre de votre article je me suis dit : « Eh voilà, encore un ! « , et pour vous dire la vérité, je n’ai pas pu aller jusqu’au bout.
    D’accord, on ne peut pas dire que le président sortant, président sorti, se souciait de la culture, et moins encore de la chanson dont il pensait peut-être avoir atteint les sommets par alliance. Pour le président entrant, nous verrons s’il inspire autant les bonnes consciences critiques, journalistiques et artistiques.

    Mon commentaire ne se voulait pas polémique et ne méritait pas votre pique digressive sur le courage, dans lequel je n’ai pas à puiser pour signer de mon nom, ce qui n’apportera rien au débat. Je suis avant tout un vrai passionné par la chanson, depuis toujours, celle que vous mettez ici en lumière avec beaucoup de talent et j’ai beaucoup de plaisir à venir sur votre blog. Mais je préfère y apprendre des choses que y relire une complainte mille fois rabâchée. Quitte à être « politiquement inactuel ».
    Jacques Legras.

    Répondre
  15. Sancho 25 novembre 2013 à 17 h 41 min

    Bonjour,
    Vous avez oublié: « Au royaume des gallinacés » Tit’Nassels.
    « Même pas mal »
    Sancho

    Répondre

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